Une loi sur l’archéologie préventive en chantier

Le Maroc regorge de sites archéologiques à protéger et à valoriser...

Après une lutte acharnée, et aidés en cela par l’extrême n’importe quoi qui a eu lieu après le séisme, la loi sur l’archéologie préventive, proposée depuis des années, sera finalement promulguée prochainement.

C’est profitant d’une journée d’étude qui a eu lieu récemment que Le Canard a recueilli  cette info. Cette journée, initiée par l’Académie du Royaume du Maroc, sous le signe « L’archéologie de sauvetage: Tinmel et les sites archéologiques de la région d’Al Haouz », restera certes dans les annales. Nous vous en parlerons plus tard, mais sachez qu’en demandant au directeur par intérim du Patrimoine au sein du ministère de la Culture si la loi sur l’archéologie préventive avait quelques chances de naître, ce dernier, en l’occurrence Abdeljalil Bouzouggar (également directeur de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine), a texto répondu : «Après une large concertation, le nouveau texte de la Loi 22-80 est dans la dernière phase de révision et cette Loi sera prochainement promulguée». Quel sublime optimisme ! (Optimisme car, « si nous ne nous abusons », le Parlement a son mot à dire… Et peut-être que beaucoup de parlementaires –et le patronat, ça se peut bien!- liés au monde de l’immobilier n’apprécieront pas trop cela. Mais cela dépend du contenu de la loi, et de l’aspect de « cela concerne quel genre de sites/bâtiments  ? ». Bref, pour résumer, nous prédisons un débat houleux en perspective, pour réviser cette loi, et qui sait quels énergumènes tenteront même de la faire capoter…)

Dans le meilleur des mondes !

Supposons qu’elle le soit, promulguée, cette loi, comme l’a dit M. Bouzouggar, si vous vous demandez encore pourquoi cette nouvelle serait à ce point excellente, laissez-nous vous donner un petit aperçu du modus operandi (archaïque et bientôt fort heureusement de l’histoire ancienne) des autorités à l’égard de certains sites archéologiques majeurs : pour la mosquée de Tinmel, après le séisme et avant même que les archéologues prennent soin de faire le tri, parmi les débris et gravats, entre ce qui est historique/important et ce qui ne l’est pas, des travaux ont eu lieu et tout ça, oui, tout ça, a été débarrassé à la pelleteuse. Les architectes ont, selon les échos qui nous sont parvenus, jugé eux-mêmes ce qui était important de ce qui ne l’était pas… C’était une vraie catastrophe ! On a eu droit à des images profondément choquantes. Alors même que plusieurs articles de presse sont parus avant, dont l’un des nôtres, justement pour essayer d’éviter ça (NDLR : on nous ignore, snif!). Sans parler de nombreux archéologues qui l’appréhendaient… ou le prédisaient, et le faisaient bien savoir. « Quoiiii ? Je n’ai rien entendu ! », semblaient crier les officiels. A savoir que l’archéologie préventive consiste à détecter et à sauvegarder les éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d’être affectés et détruits par les travaux d’aménagement publics ou privés. Il fallait bien, sans doute, une loi, pour que ce genre de choses dignes des conquérants mongols (et des Talibans), ne se produise plus.
D’ailleurs, quand on demande à M. Bouzouggar si le ministère fera plus attention les prochaines fois en accordant leur place légitime (la priorité) à l’archéologie préventive et de sauvegarde, en le référant à ce qui s’est passé à Tinmel il n’y a pas si longtemps, ce dernier nous répond : « Actuellement, un très bon travail est effectué sur le terrain à commencer par l’inventaire des dégâts causés aux monuments et aux sites dans la région touchée par le séisme du 8 septembre. Tinmel est parmi les sites les mieux documentés depuis les années 90 du siècle dernier, car il a connu des opérations de restauration et d’archéologie depuis plusieurs années. L’équipe qui y travaille actuellement mènera, j’en suis persuadé, un travail selon les normes ». Prenons cela pour un « oui »! Et ne nous occupons pas du reste, même s’il ne confirme pas ce qui s’est passé à Tinmel. M. Bouzouggar est également, pour info, l’un des plus grands défenseurs de l’archéologie. C’est incontestable !

Parlons donc de cette journée d’étude !

Abdallah Fili, enseignant et chercheur en histoire et archéologie médiévales, à l’université d’El Jadida, nous raconte tout plein de choses dont nous ne mettrons que le suc (désolé, professeur. Pas de place pour le reste, malgré son intérêt certain !) : « Cette journée d’étude constitue la première réunion scientifique d’ampleur spécifiquement et intégralement dédiée à l’archéologie de sauvetage ou à l’archéologie préventive au Maroc même. Jusqu’à aujourd’hui au Maroc, l’archéologie s’exerçait très majoritairement dans un cadre programmé (recherche fondamentale pluriannuelle). Or les interventions dans des contextes dits de sauvetage ou préventifs (étude préalable des bâtiments et des monuments en amont des interventions de mise en valeur patrimoniale) deviennent de plus en plus prioritaires, à mesure que les travaux d’aménagement et d’infrastructures se multiplient. Les moyens techniques et humains doivent d’abord se déployer sur des sites qui vont disparaître ou qui sont, de manière exceptionnelle comme lors du séisme du 8 septembre dernier, touchés par une catastrophe naturelle ». Il aura fallu attendre 2023, en décembre (autant dire 2024), et un séisme, pour une journée traitant d’un point aussi… aussi… aussi élémentaire que ça ! Dans un pays plurimillénaire comme le Maroc ! C’est assez ouf, n’est-ce pas ?! Car, pour qui ne le sait pas, des sites historiques il y en a une flopée  au Maroc, et même les anciennes médinas et autres pourraient –et devraient- être répertoriées comme telles. Tout ce qui a été construit il y a longtemps, pour vulgariser ! Nous ne parlions pas de réticences potentielles au Parlement pour rien… (ou de texte de loi ne prenant finalement pas en compte tout ce qui est archéologique et important).
Mais passons ! Toujours selon notre estimé professeur Fili : « L’archéologie « islamique » n’est plus une discipline auxiliaire de l’histoire des textes, mais une science autonome des sites, des objets et des traces matérielles des sociétés humaines des périodes médiévale et moderne, parallèlement aux autres types d’approche. Il ne s’agit plus comme autrefois d’une archéologie du monument, mais d’une archéologie de site ; et au-delà même, une archéologie du territoire». Et question résolutions, professeur, y a-t-il un certain éveil que l’on puisse espérer à l’avenir ? « Certaines recommandations, explique M. Fili, concernent la mise en place de l’archéologie préventive avec un cadre juridique permettant d’intervenir avant le début des travaux d’aménagement, en la dotant de moyens financiers nécessaires pour dévoiler des pans de notre patrimoine voués à la destruction par ces aménagements. Il va sans dire que la mise en place de cette archéologie nécessite la formation de ressources humaines compétentes dans ce domaine capables d’intervenir rapidement sur le terrain». Donc, il a aussi été question de cette loi… Mais il n’a bien sûr pas été question que de ça.  Par exemple, le professeur Fili déclare : « Pour le site de Tinmel, les spécialistes présents ont appelé à mettre en place une véritable approche méthodologique pour sauver ce qu’on peut encore en termes d’archéologie du bâti, capable de mettre en exergue des techniques de construction inédites révélées par le tremblement de terre, avec une étude minutieuse de celles-ci dans leur contexte en adoptant une approche pluridisciplinaire et collaborative ». Et… point très important : « L’autre point central, concernant Tinmel, est de lancer une fouille de sauvetage dans la mosquée et ses environs pour inscrire cet édifice emblématique dans son environnement urbain au lieu de le voir comme un îlot isolé de tout ».
C’était, pour résumer les choses, une longue journée, très instructive, et certaines vidéos circulent sur Internet pour qui veut en savoir (beaucoup) plus. Chose que nous conseillons !

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