A qui profite l’opération «Bacchus» ?

Une opération coup de poing de grande envergure.

La chute spectaculaire il y a quelques semaines du baron de l’alcool de contrebande et frelaté, qui irrigue une bonne partie du pays, n’a pas livré tous ses secrets…

L’affaire de démantèlement du réseau d’alcool de contrebande et frelaté n’en finit pas de faire vaciller les milieux qui s’abreuvent de ce commerce juteux. Si le baron de ce circuit parallèle d’envergure, Saïd Boukhannouf, alias Oud Lkhribgui, a été expédié à l’ombre en attendant l’ouverture de son procès, ses complices continuent de tomber les uns après les autres. Les descentes policières menées le 4 septembre par les hommes de Abdellatif Hammouchi, simultanément dans plusieurs villes du pays dans le cadre de l’opération «Bacchus», ont permis aussi la saisie de plusieurs dizaines de milliers de bouteilles d’alcool. Et ce dans des divers entrepôts clandestins installés à Casablanca, Had Soualem, Fkih Ben Saleh, Khouribga et Oued Zem…Au cours de ces perquisitions, les enquêteurs ont mis également la main sur des sommes colossales d’argent en liquide et bien d’autres joyeusetés qui révèlent bien d’autres forfaits et soulignent l’ampleur du trafic et ses ramifications…

Un véritable empire prospère qui brasse dans l’informel plusieurs milliards en arrosant des clients implantés sur une bonne partie du territoire national. Certains d’entre eux  ont pignon sur rue. Il s’agit notamment de restaurants et d’hôtels de la place casablancaise et d’autres villes dont les patrons préfèrent faire leurs emplettes en boissons alcoolisées chez Ould Lkhribgui plutôt que sur le marché formel en raison des prix imbattables qu’il pratique. L’alcool introduit frauduleusement au Maroc via des circuits parallèles est naturellement moins cher car échappant aux droits de douane. Ce qui est une bonne affaire et pour le vendeur et pour l’acheteur. Pas pour le consommateur final, habitué des discothèques et autres bars, qui paie bonbon son verre de vodka, de Gin ou de Whisky. Sans compter le risque de santé qu’il encourt du fait de sa qualité douteuse. En effet, chez Boukhannouf, le respect des dates de péremption est tout simplement inexistant. Et pour tromper le client, ce trafiquant sans scrupule doublé d’un faussaire redoutable  n’hésite pas à recourir au changement de la date limite de consommation DLC en faisant imprimer de nouvelles étiquettes. Certes, l’alcool est consommable une fois la date passée mais peut perdre en qualité. La bouteille d’alcool estampillée Boukhannouf s’offre ainsi une nouvelle vie mais les apéros tournent au vinaigre, à l’insu du consommateur, à moins d’être un fin dégustateur doté d’un extraordinaire palais. Plus grave encore, la falsification touche aussi les vignettes fiscales pour faire croire que la marchandise est entrée légalement sur le territoire national après paiement des droits de douane. L’argent liquide coule à flot et à jet continu en même temps que les buveurs  de tout le pays emplissent leurs verres…

En même temps que le tarissement de cette source de profits colossaux, l’arrestation spectaculaire du « roi de l’alcool » de contrebande a provoqué une grosse panique dans les milieux qui traitent avec lui. Surtout que l’accusé s’est mis vite à table et livré la liste de ses « partenaires » aux quatre coins du pays dont certains se sont vus retirer définitivement ou provisoirement la licence de débits de boissons alors que d’autres ont maille à partir avec la justice. Dans sa chute, Ould Lkhribgui a entraîné la mise à l’écart de hauts gradés de la police de Casablanca, coupables aux yeux de M. Hammouchi de ne pas avoir suffisamment lutté contre ce commerce illégal qui a prospéré au-delà du tolérable. Que le mis en case ait pu développer son business hors-la-loi sans avoir à s’inquiéter laisse croire qu’il a bénéficié de complicités solides… A mesure que l’enquête avance, d’autres têtes, impliquées dans la protection de son trafic à grande échelle, risquent de tomber …

Sur la liste des clients du grand manitou des breuvages douteux figurent l’hôtel la Cote (situé sur la corniche casablancaise), propriété de Yassine Zahraoui, actuellement en fuite, qui n’est autre que le fils de Mohamed Zahraoui, l’ex-député UC qui avait séjourné à Oukacha à Casablanca au milieu des années 90, suite à la fameuse opération d’assainissement pour trafic d’alcool importé de Bulgarie et falsification des étiquettes.  

A la tête d’un empire tentaculaire dont trois sociétés, « Les Caves des provinces Sarl », les « Caves Kensoussi » et « Caves La Gironde Beverages distribution », Saïd Boukhannouf est devenu un acteur important de la distribution d’alcool au Maroc, développant au fil du temps une forte addiction envers l’illégalité et l’argent facile.  

A telle enseigne qu’il a commencé, à faire de l’ombre à certains opérateurs du secteur et non des moindres qui opèrent dans la légalité. Il s’agit notamment les magasins Nicolas, actuellement au nombre de 5 (deux à Casablanca, 2 à Rabat et le dernier à Marrakech) qui appartiennent au réseau de distribution du groupe français Castel. Présent au Maroc via le Groupe des Boissons du Maroc (GBM) qui compte cinq entreprises dont la SVCM (société de vinification et de commercialisation du Maroc), la Clé des Champs (les Magasins Nicolas), Castel fait partie des belles réussites étrangères au Maroc. Le site Internet de GBM affiche des chiffres impressionnants : 1500 collaborateurs, 4 unités d’embouteillage de bière, 2 brasseries, 3 unités de conditionnement d’eau, 1 structure de conditionnement de vin, 1500 hectares de vignes, 600 hectares d’oliveraie et plus de 2,5 milliards de DH de chiffre d’affaires. Fondée en 1919 par le Groupe BGI, le groupe des Boissons du Maroc, coté en bourse, était une filiale du groupe SNI jusqu’en 2003, date de son rachat par le français Castel à travers la Marocaine d’investissements et de Services (MDI).

Après avoir longtemps sévi dans l’impunité totale, la DGSN a sifflé la fin de la récré pour Saïd Boukhannouf et ses protecteurs qui risquent gros. Le principal accusé se voit déjà réclamer la bagatelle de 1 milliard de DH par l’administration de douanes en guise de dommages et intérêts. Oud Lkhribgui, devenu subitement lucide, en a connu des gueules de bois. Mais celle-là, elle est d’acier…

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