Autodafé d'un coran à Stockholm.

De l’avis de beaucoup de nos contacts en Suède, les autodafés du Coran comptent pour du beurre devant ce qui se passe vraiment, pour les...

De l’avis de beaucoup de nos contacts en Suède, les autodafés du Coran comptent pour du beurre devant ce qui se passe vraiment, pour les musulmans, là-bas. Dès qu’on leur parle de Coran incendié, ils rétorquent que ce n’est rien, que d’autres choses les effraient davantage.

Ce pays nordique, vanté partout comme étant un exemple de modernité prônant le savoir-vivre-ensemble, sombre-t-il graduellement dans des pensées et idéologies «moyenâgeuses » et dangereuses du siècle dernier ? Et, surtout, est-il trop tard? Le Canard a fait sa petite enquête, et les choses sont vraiment très loin d’être ce qu’elles semblent être. (Et c’est peu dire…) Mais, d’abord, commençons par le commencement, en l’occurrence par la face émergée de l’iceberg, qu’on voit à dix mille lieux à la ronde, comme on verrait le nez au beau milieu de la figure : les autodafés du Coran et cette fâcheuse réalité juridique suédoise, dans une société prétendument civilisée, que l’un a le droit de brûler les choses sacrées de l’autre, devant sa gueule, peu importe sa révolte, son choc, sa peine et ses demandes de s’abstenir, et, plus que tout, impunément. Et si ce n’était que ça… avec l’autorisation cachetée de l’Etat en prime (Si c’est cela être civilisé, que signifie une société barbare ?), Etat qui assure que tout se passera bien, pour qu’on ne vienne surtout pas troubler l’extase de l’énergumène; et, pour le comprendre, il faut voir le sourire de Salwan Momika lors de son passage à l’acte, devant l’ambassade d’Irak à Stockholm: énormément de bonheur, de mépris, et… de fierté. Il blesse d’un seul coup les sentiments de milliards de gens et ça l’émeut à un point inimaginable, un point que les expressions de son visage ont apparemment du mal à contenir. On dirait qu’il se sent entrant dans la légende. Et il le fait, il le fait sans doute, mais par les égouts, peut-être bien, oui ! Nous avouons, pour notre part, que nous ne le trouvons que ridicule et d’une extrême puérilité. D’ailleurs, devant ce qui se passe réellement en Suède, nous ne pouvons que conseiller aux musulmans de jouer la carte de l’indifférence si lui ou un autre réitère ce genre d’actes pathétiques, ou mieux : pacifiquement montrer leur désaccord, malgré l’insignifiance du cancrelat au menu du jour en Suède, ou ailleurs, là où on permet de genre de choses. Ça dérange, peut-être, mais on sait ce qui se trame. On connait le pourquoi. Il faut apprendre à saisir et –c’est le plus important- à refléter ces nuances. Ne pas jouer leur jeu, à ces erreurs de la civilisation moderne, et de l’humanité, généralement… Il suffit d’hisser des pancartes avec un sourire immense, comme si nous pointions du doigt non le sagouin lui-même, mais l’autorisation de l’Etat. Sans aucune révolte. Car l’Etat n’a rien brûlé, il ne fait que laisser faire et assurer le bon déroulement de ces étranges rites païens. Un Etat qui promeut indirectement la barbarie, tout en se présentant comme étant évolué, grâce à ces mêmes permissions … c’est pas drôle, ça ?! Mais assez parlé de ce porcelet grotesque de Salwan et de ses sournois congénères –ils n’en valent pas la peine, de ce côté- et revenons à nos moutons.

Liberté ET égalité ? Fraternité ?!

Le Danemark, comme tout le monde ou presque le sait, a adopté récemment une loi criminalisant les atteintes aux écritures considérées comme saintes. Certains médias, notamment français –bien-sûr !-, n’ont alors pas raté l’occasion pour commenter cette belle initiative, parlant d’échecs en tous genres, au Danemark, de défaite des libertés face à la tyrannie, et donnant la parole à des gens d’Extrême-droite pour qu’ils puissent cracher leur fiel, et ce, naturellement pourrait-on dire, sans donner la parole aux gens qui pouvaient parler positivement de cette avancée probante vers le multiculturalisme réel et une société saine et soudée. On trouvait par exemple, dans de « grands » médias (de par la taille, petits de par les idéologies, car ce qui s’est passé au Danemark est on ne peut plus démocratique), que certains intervenants criaient au scandale, affirmant que la Chariâ au Danemark règnera bientôt. Ce n’est pas une blague… C’est ce qu’on y lisait. Et ces médias tentaient de faire passer l’adoption de cette loi pour quelque chose qui a été faite totalement à contrecœur, énonçant par exemple que le ministre Danois de la justice s’était carrément justifié en donnant d’autres exemples de pays, tels l’Estonie et l’Autriche, ou encore l’Allemagne et l’Italie, qui ont des dispositions juridiques similaires à cette loi que nous, nous saluons ! Et pour info, Estonie et Autriche à titre d’exemple (et même le Danemark), en matière de libertés et de droits, sont toujours loin devant ces donneurs de leçons français dans les différents rapports internationaux traitant de ces sujets. Cela étant dit, nous sommes allés un peu de ces côtés-là pour voir, et rapporter, leur manière de voir les choses. Andri Küüts, du service presse du ministère Estonien de la Justice, nous explique avant tout : « Brûler le Coran n’est pas séparément criminalisé en Estonie. Toutefois, il est interdit et punissable de porter atteinte à l'ordre public, et toute activité de trouble, dont les autodafés du Coran qui peuvent être qualifiés comme tels ». Et, pour faire plaisir à nos amis journalistes français, nous lui demandons ce qu’il en est de la liberté d’expression, bien évidemment. La réponse bouche un coin : « La liberté de parole et d'expression est importante pour l'Estonie, mais elle n'est pas et n'a jamais été absolue. Les droits et libertés d'autrui protégés par la loi ne peuvent être lésés sous prétexte de liberté d'expression ». Bien parlé ! Voilà des gens qui ont compris les choses… Si une liberté nuit à autrui, elle ne peut être admise. Et seuls des sots, ou des systèmes législatifs primitifs, refuseraient de se rendre compte de cette évidence. N’oublions pas ici que toute loi porte atteinte à ce qu’on pourrait appeler une liberté. Une loi contre le viol ou le vol, ou le fait de brûler un feu rouge, par exemple, annihile la liberté de violer, voler, et de brûler des feux rouges. Alors prière de ne pas voir le mot liberté comme étant un absolu, une nécessité, ni même comme quelque chose de forcément beau, défendable. La loi doit remettre l’ordre dans les choses qui doivent être permises et celle qui doivent être interdites, et elle le fait depuis la nuit du temps. D’ailleurs la plupart des Etats condamnent l’exhibitionnisme. N’est-ce pas une manière de s’exprimer ? Il faut souvent, ou même toujours, faire attention aux grands mots portant des idéologies prête-à-être-défendues… Ce n’est que de la communication impactante avec des objectifs définis, souvent politiques, comme nous le prouvent sans cesse les médias occidentaux, surtout en ces temps-ci, ou encore durant le séisme de septembre : « Oh ! ils refusent NOTRE aide et ne pensent pas à LEUR peuple ». Ça impacte, n’est-ce pas ? Pourtant, au Maroc, nous savons que tout était faux. Car nous avions une « contre-communication ». Mais tel n’est pas toujours le cas, malheureusement, surtout dans certains pays donneurs de leçons au monde (alors qu’eux-mêmes auraient bien besoin qu’on leur enseigne tout plein de choses)… Et les gens croient ce qu’on leur raconte, si c’est formulé d’une certaine manière, quand bien même ce serait absurde ou totalement faux. Ce n’est qu’une sorte d’alchimie menant à des certitudes. Mais passons…

Un point de vue très instructif en Autriche

Laurenz Ennser-Jedenastik, politologue et professeur de sciences politiques à l’Université de Vienne, nous parle d’une loi qui remonte à il y a longtemps : « Il est vrai que l’Autriche dispose d’une loi qui criminalise la profanation des enseignements religieux. Je considérerais certainement cela comme une contrainte à la liberté d’expression (comme le sont d’autres lois), même si cela n’a pas une grande signification pratique. Le registre officiel des condamnations recense 49 cas depuis 1976, soit environ un par an. Au cours des 10 dernières années (2013-2022), il y a eu 8 condamnations. De nos jours, la plupart des cas se terminent par le paiement d’une amende». En résumé, les contestataires de ce genre de lois font tout un foin pour une loi qui ne sert même pas une fois l’an. La Chariâ règne-t-elle donc en Autriche, depuis le temps ? Ou alors l’Autriche a-t-elle des enseignements à prendre de la part d’autres pays occidentaux, en matière de liberté et de savoir-vivre-ensemble ? Le professeur Ennser-Jedenastik ajoute : « L'origine de cette loi remonte aux années 1850, lorsqu'il existait des lois strictes interdisant la profanation d'une foi ou d'une église reconnue. Après une réforme en 1975, la réglementation sous sa forme actuelle a été adoptée. Si j'ai bien lu certains avis juridiques, c'est quelque peu difficile à appliquer, car il y a toujours une subjectivité dans le jugement si un acte commis par quelqu'un est susceptible de causer une offense publique (ce qui est l'exigence légale) ». Merci beaucoup, Professeur. Et nous pouvons vous certifier que les autodafés du Coran offensent beaucoup les Musulmans. Il n’y a qu’à voir les différentes et très nombreuses manifestations à chaque fois qu’il y en a un. Et nous mettons bien évidemment tous vos propos, bien que contenant des semblants de réticences, pour ne pas faire comme les médias français qui ne rapportent que ce qui les arrange le plus. Le french job ! Penser que le ton neutre est synonyme de neutralité… Risible ! La neutralité est un fait, pas une forme…

Déposons maintenant bagage en Suède !

Anders Malmsten est avocat dans un grand cabinet de Stockholm. Ce dernier nous donne quelques clarifications d’ordre juridique : « La loi sur la liberté d'expression est une loi fondamentale et fait donc partie de la Constitution suédoise. La liberté d'expression est la règle principale. Tout discours est autorisé, hors ce qui n'est pas expressément interdit par la loi. Depuis 1970, les religions peuvent être critiquées et rejetées, mais il n'est pas permis d'inciter à la haine contre les gens en raison de leurs croyances religieuses. En d’autres termes, il est légal de brûler une Bible, une Torah ou un Coran, mais il n’est pas permis d’inciter à la haine ou au mépris contre des personnes chrétiennes, juives ou musulmanes ». Mais, Maître, le fait de brûler un Coran ou une Torah n’est souvent qu’une manière détournée de faire montre d’Islamophobie ou d’antisémitisme, histoire de rallier les meutes portées sur l’idée de supériorité de soi ou d’infériorité des autres. Que se passerait-il si, au bout du compte, à force de rallier des gens comme ça, une nouvelle sorte d’Hitler prend le contrôle du pays ? Et ce cher Maître de répondre : « Si un parti raciste remporte 51 % des voix, il est probable qu’il veuille apporter des modifications à la constitution. Cela nécessite une majorité au Parlement à deux tours de scrutin, entrecoupés d'élections publiques. Le parti ouvertement raciste en Suède (NDLR : les Démocrates de Suède, bien entendu. C’est un secret de polichinelle. Tous les Suédois le savent raciste et islamophobe…) a obtenu 21 % lors des dernières élections (2022) ». Voilà qui ne sent pas bon, pour nos coreligionnaires en Suède. Mais racisme ? Tout de même… N’est-ce pas un grand mot ? Jonas Otterbeck, professeur d’études islamiques à l’Aga Khan University de Londres (un Suédois), le confirme : « D'une certaine manière, nous sommes dans la situation que vous décrivez. Le gouvernement actuel est soutenu par un parti ouvertement islamophobe qui affirme tolérer l’islam et ne critiquer que l’islamisme. Cependant, ce qu’il entend par islamisme semble couvrir à la fois la religion conservatrice et l’islam politique. Ils ont commencé à affirmer que le droit constitutionnel doit changer pour que l’État puisse agir. Heureusement, il existe une nette résistance à cela, mais dans la situation que vous décrivez (NDLR : remporter la majorité à lui-seul), il existe de réels dangers pour les minorités, les intellectuels et les femmes en général ». Sexiste aussi ! On dirait que les libertés orientent vers le règne des instincts les plus bas de l’humanité, et non vers la Chariâ… « Eh bien, je suis d'accord, affirme le professeur Otterbeck. La vie est précieuse et les humains ont le don d’être méchants, nous en avons plus qu’assez de preuves. Et nous devons protéger à la fois les individus et les groupes ». Mais peut-on vraiment être impunément raciste, en Suède ? C’est assez fou, au 21ème siècle. Le Docteur Otterbeck, pourtant, l’assure : « Techniquement, le racisme en tant qu'idéologie est légal en Suède. Ce qui n’est pas légal, c’est de discriminer quiconque en fonction de la race, de l’appartenance religieuse, du sexe, de la sexualité. Il s'agit généralement de discrimination sur les marchés du travail et du logement, dans l'éducation, en tant qu'employé, etc. La liberté d'expression inclut la propagation de votre religion et si quelqu'un souhaite affirmer (comme l'EI l'a fait contre l'ijma') que l'esclavage est autorisé dans l'Islam, ce n'est pas illégal, mais propager dans votre congrégation que les musulmans devraient avoir des esclaves et ignorer les lois suédoises (et internationales en la matière) est illégal ». Drôle de pays ! Dangereux pays ! Surtout vu à quel point les gens sont influençables dès qu’on leur promet plus de pouvoirs sur autrui… Preuve en est ce qui se passe actuellement à Gaza. Et ce qui s’est passé durant la seconde guerre mondiale… Et autres conquêtes ou horreurs de pays et de peuples soi-disant civilisés, ou s’affirmant l’être, contre toute logique. Et tout cela qui débute par de la simple expression… De la simple communication…

Comme quoi…

Tom Nilsson est maître de conférences à l’université de Malmö et enseigne les sciences politiques. Selon cet estimé professeur : « La constitution suédoise est très forte en matière de liberté d'expression, et elle impose très peu de limites à ce que vous pouvez dire. Étant donné que les autorités ne peuvent agir qu'avec le soutien de la loi, la police et le gouvernement suédois disposent de peu d'options pour faire taire les citoyens. C'est donc dans une certaine mesure que toute la (malheureuse) situation peut être comprise par le droit des citoyens à exprimer leurs opinions et par « l'État de droit » ». Mais, pour ce dernier : « Nous devons distinguer les actions des provocateurs individuels de la position du gouvernement suédois. Les provocateurs ont été vivement critiqués par les représentants du gouvernement (NDLR : plusieurs de nos contacts nous ont affirmé que pas assez !). Nous avons auparavant eu de nombreuses provocations lorsque la Bible ou la foi chrétienne ont été la cible de provocateurs. Même sans que le gouvernement n’interdise ou n’interdise ces actions. À mon avis, l’accent a été mal placé : ni le gouvernement ni la majorité suédoise ne sont contre l’islam ou les musulmans. Il s’agit d’actions soutenues par quelques extrémistes individuels et non soutenues par le gouvernement ou la majorité de la population ». On peut être d’accord comme on peut ne pas l’être, mais, pour le professeur Nilsson, il faut voir également autre chose : « Chaque croyance religieuse est également protégée. Cela pourrait être illustré par le financement important par l’État des organisations de la société civile. Il existe de nombreuses organisations arabes qui peuvent mener leurs activités grâce au financement de l’État ». Par contre, tout n’est pas rose, toujours à en croire le même professeur Nilsson : « Ensuite, bien sûr, il y a de tristes inquiétudes et il y a des gens et des mouvements nationalistes et xénophobes. Nous constatons une polarisation croissante et, malheureusement, nous avons un grand parti nationaliste (les Démocrates suédois) qui peut être qualifié de « raciste » et qui s’est montré très critique à l’égard de l’islam en Suède. Il y a donc des raisons de s'inquiéter. Mais jusqu’à présent, je maintiens mon opinion selon laquelle le gouvernement suédois a été neutre et a protégé la liberté d’expression. Ils sont très critiques à l'égard des autodafés du Coran dans les discours publics et agissent autant qu'ils le peuvent dans le cadre de la loi, mais il ne leur est pas possible d'agir au-dessus de la loi ».
Oui, nous avions également compris les choses aussi, d’où nos multiples requêtes de criminaliser les atteintes aux écritures religieuses. La liberté d’expression peut se révéler très dangereuse. Et même si le professeur Nilsson n’en démord pas, il est tout de même d’accord avec cette réalité : « Oui, bien sûr, la parole et les idées peuvent être dangereuses – mais il peut également être dangereux de limiter la liberté d’expression, et il est difficile de créer des lois générales qui trouvent le bon équilibre. À mon avis, c’est préférable à vivre dans une société répressive et autoritaire ». Donc entre deux maux en choisir le moindre, en attendant mieux ?! Sauf qu’on parle de minorités, là, et non d’une quelconque structure de pouvoirs. Des minorités qui risquent vraiment gros. La logique de la liberté d’expression pour contrer les puissants ne tient pas forcément… Et le professeur Nilsson semble finalement d’accord : « J'ai de nombreux amis musulmans, vivant en Suède mais aussi à l'étranger. Je connais leurs sentiments à l’égard des autodafés du Coran et je sympathise. J'accepterais volontiers et serais heureux si notre gouvernement interdisait de brûler les écritures religieuses et trouvait un moyen raisonnable de préciser ce qui doit être considéré comme une écriture religieuse». Eh ben voilà… Nous vous remercions, professeur !
Anders Hellström, autre Maître de conférences de sciences politiques, à la même université de Malmö, et chercheur, entre autres, en philosophie politique, en populisme et nationalisme, nous éclaire sur d’autres plans : « La religion a un rôle secondaire (NDLR : pour ceux qui incendient des corans) ; il s’agit de mener des attaques là où vous pensez que cela fait le plus mal, de démontrer que l’autre n’a pas sa place ici. En général, brûler des livres au nom de la liberté d’expression est une sorte de contradiction dans les termes.
En résumé, brûler le Coran revient à manquer de respect aux droits des minorités, ce que vous considérez naturellement comme n’ayant pas sa place ici ». Donc les gens savent que le fait de brûler des Corans, en Suède, ne concerne la liberté d’expression ni de près ni de loin. Bon à savoir ! Par ailleurs, le professeur Hellström nous fait part, entre autres choses, d’un nouvel aspect très instructif sur cette question : « Les propos dénigrants contre les musulmans incitent au dénigrement par les actes. La façon dont nous parlons de l'autre a également des implications sur la manière dont nous agissons. Il y a donc certainement un effet d’entraînement, suite à un « changement discursif » ». L’heure semble donc indéniablement être aux mesures adéquates !

Avis d’une Marocaine « calée » de Suède

Naïma Chahboun est maroco-suédoise et est docteur en sciences politiques. Cette dernière qui, comme on peut aisément le déduire, porte les préoccupations et du peuple Suédois et des minorités musulmanes en Suède, tout en ayant étudié exactement ce qu’il faut pour avoir un avis intéressant et suffisamment objectif (mais un avis qui reste néanmoins personnel), nous explique les choses et ses propos méritent la plus grande attention : « Nous observons aujourd’hui en Suède, comme dans de nombreux pays d’Europe occidentale, une rhétorique de plus en plus hostile à l’encontre des immigrés en général, et des immigrés musulmans en particulier. Cette évolution est profondément inquiétante et menace non seulement les groupes minoritaires mais aussi la démocratie libérale en tant que telle. Il est de la responsabilité des dirigeants et intellectuels occidentaux de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour inverser cette tendance ». Mais les choses ne sont pas si simples que ça, pour cette dernière. Selon elle, il y a l’art et la manière, pourrait-on imager : « Nous devons néanmoins réfléchir très attentivement à la manière dont nous réagissons à des provocations de ce type. Les réponses autoritaires qui restreignent la liberté et politisent l’administration de l’État imitent en réalité la politique autocratique du populisme de droite (comme nous l’avons vu par exemple en Hongrie et en Pologne). Les restrictions légales à la liberté d'expression doivent, à mon avis, constituer un dernier recours, à utiliser uniquement lorsque toutes les autres mesures se sont révélées insuffisantes ».
Mais, Naïma, ne trouvez-vous pas révoltant que le Coran soit brûlé en public (ou en privé) ? Cela ne doit-il pas plutôt être interdit ? « En ce qui concerne les récents incendies de Corans en Suède, vous dévoile le Docteur Chahboun, mon opinion personnelle est qu’il s’agit de provocations brutales, stupides et creuses qui cherchent à accroître la polarisation et constituent ainsi une menace pour le bon fonctionnement d’une démocratie. Comme beaucoup, je regrette profondément que le gouvernement suédois n'ait pas fait davantage pour soutenir la communauté musulmane lors de ces événements, par exemple en s'adressant directement aux dirigeants musulmans centraux pour leur assurer que les autorités de l'État et la Suède en tant que pays les soutiennent et condamnent les incendies. Derrière cet échec se cache bien sûr le fait que notre gouvernement actuel ne gouverne qu’avec le soutien du parti populiste de droite des Démocrates de Suède, qui est aujourd’hui la principale voix de la rhétorique antimusulmane en Suède ».
Mais… son avis ne s’arrête pas là : « Toutefois, je ne pense pas que les récents incendies constituent une menace pour la sécurité ou la dignité humaine des musulmans au point d’en faire des actes de discours de haine au sens juridique du terme. Plutôt que de justifier la violence contre les musulmans, l’autodafé des Corans cherche à inciter les musulmans à commettre des actes de violence contre les membres de la majorité. En cas de succès, cette stratégie permettra aux populistes de présenter tous les musulmans comme des terroristes potentiels et ainsi d’obtenir le soutien populaire pour leurs politiques strictes de migration et d’assimilation. Même si elle vise en fin de compte à nuire à la minorité musulmane, le succès de cette stratégie dépend des réponses de la communauté musulmane. Jusqu’à présent, aucune violence n’a eu lieu et les provocateurs se retrouvent donc sous l’adage : tel est pris qui croyait prendre ».

Il ne serait question ni de musulmans ni de Coran, mais d’Otan !

Le docteur Naïma Chahboun, et sans doute tout plein de gens en Suède, pensent que les autodafés du Coran en Suède ne sont qu’une sorte d’arme, ou de stratagème, utilisé à l’échelle « macropolitique ». En effet, Naïma déclare : « Lorsqu’on réfléchit aux incendies suédois du Coran, on remarque le fait qu’ils ont eu lieu lors de la demande d’adhésion de la Suède à l’OTAN.
Nous savons qu'au moins certains des incendies étaient liés à des membres des Démocrates suédois, un parti qui s'oppose fermement à l'adhésion de la Suède à l'OTAN. En offensant la communauté musulmane du monde entier, les incendies ont donné au président turc Erdogan une raison de retarder le processus d’adhésion de la Suède (même si sa véritable intention était sans doute de faire pression sur les États-Unis pour qu’ils vendent des avions de combat à la Turquie) ».
Cette théorie est la même que nous révélait un parlementaire suédois, dans un article précédent, à savoir Stefan Olson, qui affirmait : « La raison pour laquelle nous avons des provocateurs qui brûlent le Coran est que certains tentent d'empêcher l'adhésion de la Suède à l'OTAN. Dans moins d’un an, tout redeviendra normal ». Hum… Et en effet, les propos de Naïma ne prête à aucune confusion : « Si la véritable cible des incendies du Coran n’était pas les musulmans suédois ou les musulmans en général, mais plutôt le président Erdogan, cela devrait radicalement modifier notre compréhension des événements. Personnellement, je ne serais pas surpris si nous ne voyions plus d’autodafés de Coran en Suède une fois le processus d’adhésion à l’OTAN terminé ».

Autant pour nous…

Mais pourquoi ne pas tout simplement interdire ce qu’on souhaite ne plus voir ? Naïma, pour cette question, a une position bien tranchée : « Pourquoi permettre de brûler des textes religieux ? Eh bien, je pense qu'il y a deux choses à retenir lorsqu'il s'agit de liberté d'expression et d'autres libertés. La première est que les libertés libérales ont été « inventées » en réponse aux guerres de religion entre protestants et catholiques aux XVIe et XVIIe siècles. Leur objectif était de préserver le droit de vivre selon votre foi, même si d’autres se sentent offensés par vos opinions ou vos engagements. Cela inclut sans doute le droit de nier l’existence de Dieu ou la vérité de tout credo religieux. Certaines façons d’exprimer ce déni peuvent être plus réfléchies que d’autres, mais en règle générale, les discours et les actes blâmables constituent des éléments importants de la liberté de religion ».
Ça, c’était pour la première chose. «La deuxième chose à retenir, poursuit le Docteur Chahboun, est que bon nombre des libertés libérales, telles que la liberté d’expression et la liberté de réunion, jettent les bases d’une démocratie qui fonctionne bien – à savoir le droit de protester contre les opinions et les actions de l’État. Dans ces conditions, il est important que les atteintes de l’État à ces libertés soient minimes et ne constituent qu’un dernier recours pour garantir l’ordre social ou protéger les groupes vulnérables contre la violence ou la discrimination. Bien que nous puissions arriver à un point où brûler un Coran peut être interprété comme un signal pour attaquer les musulmans, ou comme un déni de leur égale valeur humaine, je vois peu de preuves que nous en soyons là ».

Il y a pire et il y a mieux…

Notre interlocutrice met finalement le doigt sur ce qui la préoccupe vraiment et voit d’autres solutions, autre que la criminalisation des profanations des objets considérés comme sacrés : « Néanmoins, nous devrions tous œuvrer pour mettre un terme non seulement aux incendies mais aussi à la propagation des attitudes xénophobes et islamophobes en général (ce qui m’inquiète en fait bien plus que de singulières provocations). Je pense qu’il existe de nombreuses façons pour l’État et la société civile de contrecarrer cette évolution, sans aller jusqu’à la criminalisation. Initier un dialogue public, éduquer les enfants sur le credo musulman et lutter contre la ségrégation en matière de logement et de travail ne sont que quelques exemples de moyens qui pourraient contribuer à surmonter les peurs et les antipathies des Suédois (principalement des hommes et peu instruits).
Le fait que les gens se sentent en insécurité ou acquièrent un statut de « citoyens secondaires » constitue bien entendu un problème majeur. En cela, je crois que la rhétorique hostile contre les immigrés (ils prennent nos emplois, ils vivent des subventions de l'État, ils commettent des crimes, etc.) exprimée à l'origine par les partis populistes de droite, mais qui se propage maintenant à la droite dominante, constitue un problème bien plus vaste. Et un problème qui ne peut être résolu par la criminalisation ».
En outre, cette compatriote éclairée propose autre chose : « Une autre loi qui pourrait mieux remplir cet objectif est ce qu'on appelle en Suède « l'agitation contre un groupe ethnique ». C'est pour cette raison que vous pourriez être poursuivi, par ex. porter une croix gammée ou un heiling (le salut hitlérien) en public. De nombreuses voix suédoises ont réclamé des poursuites contre les brûleurs de Coran en vertu de ce paragraphe. À ma connaissance, aucune action en justice n'a été engagée, ce que je considère comme le signe que les avocats ont jugé que les incendies ne répondaient pas aux critères stipulés par la loi. Cependant, si la situation devenait encore pire, au point que brûler un Coran équivaudrait à justifier la violence contre les musulmans, ou à nier l'égalité du statut humain des musulmans (comme le salut hitlérien est censé le faire à l'égard des Juifs), cela pourrait être considéré comme criminel, en vertu de cette loi. Là encore, les actes qui relèveront de la loi dépendent du contexte et peuvent donc varier dans le temps ».
C’est en effet intéressant car le salut hitlérien n’est qu’un salut, ce n’est que car ce qui s’est passé durant la Seconde guerre s’est passé qu’il « équivaut » actuellement à ce qu’il « équivaut ».  Bien pensé, Naïma. Merci pour vos lumières. Nous ne voulons pas que des lois soient ajoutées, nous souhaitons simplement que les autodafés du Coran cessent, peu importe la manière ! Car les choses semblent vraiment très graves, de l’avis d’académiciens suédois eux-mêmes. Ces insultes et provocations répétées à l’égard des musulmans, à travers l’Islam, ne présagent, vraiment, rien de bon.

Mue, ou métamorphose, du sentiment de supériorité suédois ?!

Et si le problème en Suède était ailleurs… en fait toujours le même ? Il y a certains faits, en effet, qui méritent qu’on s’y attarde. En 1922, par exemple, le Royaume de Suède inaugura le premier institut de biologie raciale d’Europe (financé par l’Etat), et ce, à Uppsala. Au sein de cet institut, un seul mot d’ordre : eugénisme. L'une des premières priorités de recherche dans cette organisation consistait à étudier la fréquence des traits raciaux « nordiques » dans la population suédoise et les inconvénients présumés du mélange racial entre la population majoritaire, les Finlandais et le peuple sami. Ce qui, bien sûr, a donné, entre autres, pas mal d’idées et beaucoup de bases théoriques aux Nazis. D’ailleurs, une loi eugénique est entrée en vigueur en Suède, cela de 1935 à 1976, lors de laquelle la Suède a stérilisé par contrainte 63 000 personnes, sur une population globale de plus de six millions d'habitants. Un autre chiffre de 230.000 stérilisations forcés concerne la période entre 1935 et 1996, selon certains documents. Des stérilisations qui concernent les Roms, les Tziganes et les Samis et prétextant des motifs officiellement économiques, car ces peuples étaient, en Suède, considérés comme improductifs. Ça en dit long ! Et ce n’est pas tout.
Bien que cela puisse être considéré comme de l’histoire ancienne (comme l’est celle des peuples guerriers vikings pour qui la guerre et la soumission par les armes d’autres peuples était du imposé par l’honneur et par la religion même –un peuple qui sacralise la guerre et les massacres), deux professeurs en sociologie politique suédois, à savoir Tobias Hübinette et Catrin Lundström, affirment que l’idée de supériorité n’a jamais disparu de Suède, mais qu’elle a comme qui dirait muté, en autre chose : la supériorité morale de la race blanche ! Bref, c’est une théorie complexe basée sur des données sociologiques (et une conclusion intéressante mais propre à ces deux auteurs), mais, en somme, selon cette théorie, actuellement en Suède l’idée existe qu’il faut nécessairement être blanc pour être antiraciste, féministe, ou plus globalement progressiste. C’est assez paradoxal car c’est comme si on disait que seuls des militaires peuvent être des pacifistes. Mais là n’est pas notre question, bien que tout cela soit d’une extrême importance. Notre question réelle est : ce changement de forme du sentiment de supériorité pourrait-il à nouveau aboutir à de l'antisémitisme, du racisme, de la xénophobie ou de l'islamophobie, si la culture prédominante à un moment donné offre un terrain privilégié ? Et, selon notre humble avis, il vaut mieux envisager que oui. Surtout vu les derniers résultats aux élections des Démocrates de Suède, le parti raciste du coin : 21% ! Comme si, pour rameuter les foules, il suffisait à nouveau de parler, même en langage codé, de supériorité des uns et d’infériorité des autres…
P.S. : sur 6.544.464 votants, 1.330.325 ont voté pour les Démocrates de Suède (la médaille d’argent), 1.964.474 pour le parti vainqueur, à savoir le Parti social-démocrate et 1.237.428 pour les Modérés. L’heure ne semble plus être aux tergiversations.

Interview avec Jonas Otterbeck

Nous ne sommes pas sortis de l’auberge !

Jonas Otterbeck.

Jonas Otterbeck, professeur Suédois d’études islamiques, enseignant à l’Aga Khan University – Institute for the Study of Muslim Civilisations, de Londres, et auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages concernant l'Islam contemporain, l’Islam et les musulmans en Europe, les migrations… souvent avec une pertinence politique.

Propos recueillis par Amine Amerhoun

Que se passe-t-il donc en Suède au nom de la liberté d’expression, cher Professeur ?
La liberté d'expression vise avant tout à garantir la non-oppression des individus par des agents de l'État ou d'autres pouvoirs. Ce n’est jamais sans conditions. Tout d’abord, il n’est pas permis de mentir sur les individus et de les accuser de ceci ou de cela. Dans certains pays, il existe des règles indiquant de qui et de quoi parler librement. De nombreux pays à majorité musulmane ont des règles protégeant le dirigeant, l’armée et la religion. En Europe, la plupart des pays disposent d’une législation protégeant la religion (ou une religion spécifique) de la calomnie. Mais les 20 dernières années ont été marquées par une déréglementation. En Suède, cela s'est produit il y a plusieurs décennies. Cela signifie que vous êtes autorisé à dire ce que vous voulez sur toutes les religions, vrai ou faux. Vous êtes autorisé à utiliser des symboles religieux, des livres, des personnalités artistiques, des blagues ou la culture populaire. Vous avez également le droit de vous moquer de la famille royale suédoise ou des hommes politiques. Personnellement, j’ai grandi avec cette liberté et je l’apprécie. Malheureusement, cela signifie également que les personnes qui aiment exprimer des idées racistes, antisémites ou islamophobes sont libres de le faire, du moins si elles ne sont pas considérées comme menaçantes. Ils pourraient alors être accusés de discours de haine. Les populistes et les racistes de droite ont découvert que s’ils attaquent la religion, ils peuvent éviter les accusations de discours de haine et ils attaquent donc la religion. L’Islam et les symboles islamiques sont alors devenus une cible privilégiée. Pourquoi? Eh bien, en attaquant ou en critiquant l'Islam, ils s'attaquent aux musulmans, surtout si certains musulmans réagissent par la violence ou des émeutes. Ensuite, les populistes et les racistes crient qu'ils ont prouvé que les musulmans ne respectent pas les règles du pays et les méprisent et ne se soucient que de l'Islam, pas de la Suède ou de tout autre pays dans lequel cela se joue. Liz Fekete appelle cela l'économie politique de la haine. Utilisez les opportunités dont vous disposez pour attaquer des personnes, légalement.

Pourquoi les réglementations en vigueur ne prennent pas en compte ces moyens détournés pour attaquer les musulmans ?
La situation est nouvelle pour le système juridique qui n’a pas réussi jusqu’à présent à résoudre les problèmes liés aux expositions telles que les incendies du Coran. Le système juridique essaie de savoir s’il existe déjà des règles qui considèrent cela comme un délit (législation sur les crimes haineux par exemple), s’il peut utiliser la bureaucratie pour l’empêcher (ne pas donner d’autorisations) ou s’il peut y avoir une nouvelle législation, mais cela prend du temps.

Cette liberté d’expression encore permise ne comporte-elle pas des risques pour les musulmans ?
Pour répondre à la question : alors, oui ! la liberté d’expression comporte des risques, mais ces risques sont nécessaires pour permettre une société ouverte et non répressive. Lorsque la liberté d’expression est restreinte, comme c’est le cas en Égypte, cela crée un environnement politique claustrophobe.

Nous avons l’impression que même si toutes les religions semblent être sur le même bateau, ce n’est pas le cas. Culture aidant, le Judaïsme (et donc les juifs), par exemple, n’est-il pas mieux loti que l’Islam (et donc les musulmans), en matière de protection ?
À propos de l'antisémitisme. Il existe actuellement plusieurs formes d’antisémitisme en Europe. Cette situation est considérée comme profondément problématique par les hommes politiques, les intellectuels, les journalistes et autres. Mais il existe bel et bien des théories du complot et, malheureusement, dans une version anti-juive spécifique, parmi les migrants musulmans. C’est-à-dire que je ne parle pas de la juste critique de la politique israélienne et des crimes de guerre, mais du ciblage des Juifs suédois et de la circulation des théories du complot.
En raison de la prédominance de groupes opposés à l’antisémitisme, on peut dire qu’il est culturellement interdit, même s’il n’est pas toujours illégal. Malheureusement, les musulmans ne sont pas aussi bien protégés contre l’islamophobie, car il s’agit d’un phénomène que moins d’intellectuels, d’hommes politiques et de journalistes savent gérer. Ils sont peut-être formellement contre la discrimination des musulmans et contre les théories du complot, mais ils n’ont pas l’expérience nécessaire pour le reconnaître dans le langage. Ainsi, les protestations viennent principalement de quelques universitaires comme moi et de musulmans de différents horizons. En un mot, cela signifie que l’islamophobie est plus intégrée dans la vie publique suédoise que l’antisémitisme. Cela changera avec le temps, mais les processus sont lents. Mais depuis que nous avons un parti politique, les Démocrates suédois, qui affirme publiquement que l’islam, tant conservateur que politique, constitue un danger pour l’Europe, les Suédois sont de plus en plus conscients de ce qu’est l’islamophobie. Mais, comme je l'ai dit, c'est un processus lent.

Pourquoi d’ailleurs cette liberté d’attaquer les religions ? Les choses sacrées étant importantes pour les religieux, qui peuvent vouloir empêcher cela… Au nom de quoi ce type de libertés doit-il être permis? Pour dire les choses autrement, pourquoi l’Etat suédois, en bon garant, ne défend-il pas ses concitoyens contre ces attaques psychologiques manifestes?
Il existe un parallèle entre la violence vécue en paroles et en actes contre les religions/symboles religieux et celle contre les individus. Mais l’accent est culturel et il peut donc y avoir d’énormes différences. Dans la plupart des pays chrétiens au cours du siècle, vous étiez arrêté ou battu si vous attaquiez des symboles chrétiens. La protection de tels symboles et contre de tels comportements était inscrite dans la loi et dans la mentalité publique. Cela a énormément changé au cours des 200 dernières années. Bref, l'histoire est comme ça. Depuis la Révolution française, la religion n’est pas seulement considérée comme une culture, une évidence sociale, mais aussi comme une structure de pouvoir. La liberté de critiquer les structures du pouvoir est devenue ancrée dans les débats sur la liberté, le libéralisme et la démocratie. Dans un processus lent et non linéaire, cela a conduit la majorité des États européens à supprimer les lois sur le blasphème qui protégeaient les systèmes religieux de la critique, et à libérer l'utilisation des symboles religieux (y compris les prophètes et les livres) pour qu'ils soient utilisés selon le souhait des citoyens. Dans les arts et culture populaire mais aussi via de sévères critiques. Bien sûr, il y a eu une résistance, pour ce qui est du christianisme, mais finalement les critiques et les moqueries ont fait partie de la normale. Ainsi, lorsque la comédie musicale "Book of Mormon" a été réalisée aux États-Unis, il y a eu d'abord des protestations, puis l'Église mormone a réalisé que davantage de gens pouvaient en prendre conscience et être curieux à leur sujet, alors ils ont commencé à tenir un stand à l'extérieur des spectacles pour partager des informations et parler du mormonisme et en tirer profit.
C'est un bon exemple. Pourtant, même dans un pays laïc comme la Suède, lorsque Jésus était au centre d’une exposition photographique entouré de personnages gays (rappelez-vous que dans la Bible, Jésus tend la main à tout le monde, mendiants, pécheurs, occupants, etc. alors pourquoi pas les gays ? ) là où ceux qui se sont vraiment énervés dans la communauté chrétienne, qui ont protesté, ont attaqué l'exposition (même s'il s'agissait en fait d'un homme de droite), mais ont également menacé l'artiste. Mais c’est ça, l’art à thème religieux bouleverse et suscite des engagements et des discussions qui font partie de l’idée même de la liberté d’expression – on a aussi le droit de critiquer. Cependant, même si, au moment où vous écrivez, les musulmans ont l’habitude de réagir violemment à ces expressions, les chrétiens d’Europe en particulier ont appris à vivre avec ces expressions. En raison de la migration et de la mondialisation, ces différentes manières culturelles de traiter ce type d’expression sont plus mélangées qu’il y a 30 ans.
Les musulmans d’Europe ne se contentent pas de protester, ils profitent également de la liberté d’écrire des romans, de faire des films, de faire du stand-up et d’autres arts qui défient à la fois les sensibilités musulmanes mais aussi l’islamophobie et le racisme en Europe. Les films et romans français en sont de bons exemples. En Europe, la violence est devenue la ligne rouge en matière de liberté d'expression. Vous pouvez critiquer, appeler au boycott, etc. Mais lorsque vous recourez aux menaces et à la violence, vous dépassez les limites. En Europe, lorsque les critiques ou les attaques contre la religion impliquent des violences ou des menaces de violence, on se retrouve dans une zone grise car les croyants et leurs bâtiments sont protégés contre la violence, mais les religions ne le sont pas. Alors, où se trouve l’autodafé du Coran ? Pour l'instant dans une zone grise.

Nous avons compris que ces « belles » libertés sont, pour les citoyens, une sorte de preuve du désaveu des États du pouvoir en puissance (dirait Aristote) des hommes de religion. Alors pour rompre avec les hommes de religion, l’État permet la profanation de la religion. Pour empêcher la religion d’avoir un pouvoir, social puis politique, cela est nécessaire, selon cette perspective, compte tenu du triste passé des religions puissantes, si nous comprenons bien. L’État ne veut-il donc voir que les désastres des religieux, et non ceux des antireligieux (Nazisme, Communisme dans son aspect « Sus aux religions», etc.), à qui il donne carte blanche pour rallier, en utilisant les « armes d’attraction qu’ils veulent » ?
Ce que vous dites est vrai pour la France mais pas de la même manière pour le Royaume-Uni et l’Allemagne par exemple. Le Royaume-Uni a beaucoup de respect pour les religions, notamment les églises, et accorde par tradition une grande liberté aux organisations religieuses et, par exemple, les organisations religieuses organisent une grande partie des écoles primaires et même des formations universitaires. En Suède, nous fonctionnons avec un modèle mixte étrange, la loi est plus proche de la France mais la politique du multiculturalisme inclut davantage de levier pour la religion. Mais il existe de fortes voix antireligieuses (y compris des critiques contre l’Église suédoise), ainsi que des voix politiques islamophobes et antisémites qui sont profondément troublantes car elles sont incohérentes dans leur critique des religions et des peuples. Ils ciblent certains, pas d’autres, et peuvent ainsi se méfier d’avoir des motivations racistes ou véritablement islamophobes par exemple.

Et si quelqu’un s’attaquait à ce que l’Eglise Luthérienne considère comme sacré ?
Je sais avec certitude que vous pouvez commettre un blasphème et profaner des symboles chrétiens clés en Suède et la plupart des gens ne verront pas cela comme une question juridique, mais comme une question morale.
Certains peuvent être mécontents mais il est important de noter qu’une grande partie de la population est très peu intéressée par la religion. Cela fait partie du problème. Quand on n’a pas le sentiment d’une religion, il est difficile de comprendre les gens qui respectent réellement une divinité et ses symboles. Nous parlons d’un grave conflit de valeurs. Un cas où la mondialisation nous lie d’une manière comme il n’a jamais été le cas auparavant. Apprendre à vivre ensemble, c'est aussi apprendre à respecter la différence et à se rendre compte que des gens peuvent mener des vies complètement différentes tout en restant des personnes honnêtes. Ce n’est que le début et je suis d’accord avec vous sur le fait que nous vivons une période à la fois dangereuse et troublante, mais pour des raisons légèrement différentes des vôtres. Les idées sont toujours secondaires par rapport aux inégalités économiques et aux initiatives bellicistes. Tels sont les vrais dangers. Le reste, nous pouvons probablement le trier en faisant attention à notre pluralité.

Il y a aussi autre chose, que nous trouvons particulièrement drôle. Nous l’avons entendu à plusieurs reprises, tant de la part de responsables que d'universitaires : l'État suédois ne veut rien changer à ses lois mais veut que les autodafés de livres s'arrêtent d'eux-mêmes, comme une sorte de chose naturelle. Ils pensent que ces autodafés sont liés à la volonté Suédoise d’intégrer l’OTAN et au fait que certains ne veulent pas ça et, donc, ces gens agacent les Turcs (avec la « bénédiction » de l’Etat suédois) pour que ceux-ci empêchent la Suède d’atteindre son objectif. Donc dès que la Suède intégrera l’OTAN, il n’y aura plus d’autodafé du Coran, selon ces officiels et ces académiciens. Mais… comment peut-on vouloir qu’une chose qu’on condamne s’arrête d’elle-même ? Autant l’interdire, non ?!
De vouloir que ça s'arrête. C’est à la fois vrai et faux. Comme brûler un livre ou un drapeau n’est pas illégal en soi et que la profanation de symboles religieux n’est pas illégale, le gouvernement ne dispose d’aucun outil pour agir. Mais comme ces incendies se produisent en relation avec des manifestations, ce qui peut être fait est soit de changer le lieu des manifestations (c'est-à-dire de ne pas les autoriser à proximité des mosquées ou des ambassades de pays à majorité musulmane, etc.), soit d'essayer de comparer cet acte avec les lois en vigueur, c'est-à-dire les lois relatives aux troubles à l'ordre public, à la perturbation des services religieux et aux crimes haineux. Cela se fait encore au moment où nous parlons. Mais vous savez à quel point les procédures judiciaires sont lentes. Entre-temps, le gouvernement avance des arguments moraux et non juridiques pour s'exprimer contre ces actes. Personnellement, je pense que le gouvernement et la police pourraient être à la fois plus rapides, plus fermes et plus intelligents sur ces questions, mais de manière générale, le phénomène a pris les politiciens et la police par surprise. Cela n’a jamais été un phénomène auparavant, ils n’avaient donc aucune préparation. Je pense que cela explique en grande partie pourquoi cela se produit. Les populistes et les racistes qui voudraient exprimer leur haine et leur mépris, en l’occurrence contre les musulmans, sont des individus et des organisations qui peuvent agir assez rapidement et apprendre les uns des autres, au-delà des frontières.
Les gouvernements sont beaucoup plus lents et ces situations peuvent donc apparaître. Disons que la Suède soit aussi rapide que le Danemark (où tout cela a commencé il y a quelques années) et introduise une loi interdisant de brûler le Coran. Puis le lendemain, les gens brûleront le drapeau saoudien spécifiquement y sont mentionnés les noms Allah et Muhammad, ou une effigie d'un prophète ou Sahih Bukhari (les neuf volumes). Ils trouveront un moyen d’exprimer leur haine de nouvelles manières. Nous sommes donc loin d’une solution, j’en ai peur.

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