Ces nomades sahraouis qui envoient paître tout le monde…

Les villageois du Souss victimes de pillage de leurs pâturages et d’actes d’agression…

Depuis quelques années, les villageois du Souss sont aux prises avec des mouvements de transhumance extérieurs issus des provinces du sud qui ont fait de leurs champs la principale source de pâturage pour des élevages principalement camelins… Les conflits entre les deux parties se multiplient et commencent à dégénérer. Explications…

Les actes d’agression perpétrés pratiquement tous les jours par les nomades dans plusieurs villages du Souss se poursuivent de plus belle. Dans l’indifférence des autorités locales et gouvernementales. Dimanche 11 septembre, la tension est montée d’un cran après qu’un groupe de nomades originaire du Sahara a débarqué sans crier gare dans plusieurs villages de la région, Tafraout et la vallée d’Ammeln qui dépendent de la province de Tiznit.  Le motif de ce débarquement en force des bergers? Faire paître leurs troupeaux de bétail dans les terres des villageois sans leur autorisation. Ce qui provoque naturellement la colère de ces derniers face à ce qui relève d’une violation flagrante de propriétés privées. Lorsqu’ils défendent leurs terres, ils sont pris à partie par les « envahisseurs » qui agissent en terrains conquis.  Ce dimanche, le scandale a pris une tournure plus violente que les fois précédentes puisque les groupements de nomades, selon les habitants d’un village attaqué, se sont comportés en milices armées de matraques, pierres et couteaux, transportés dans des 4X4. Selon une source locale, les nomades ont fait appel à une logistique lourde et se sont organisés en bandes pour intimider les villageois qui s’empressent de les chasser à la première incursion.

Tension

Cette situation conflictuelle tourne systématiquement à des accrochages plus ou moins violents dont les séquences sont souvent immortalisées dans des vidéos postées sur les réseaux sociaux.  Des deux côtés fusent invectives, menaces, jets de pierres. Ces scènes d’extrême tension sont devenues habituelles.

« Ces criminels sans foi ni loi, arrogants et méprisants,   se permettent d’envahir nos champs et pâturages pour y faire paître leurs chameaux et chèvres au nom de l’on ne sait quelle loi et quand nous protestons contre ce comportement d’un autre âge ils manifestent leur mécontentement en nous agressant sauvagement », s’emporte un jeune villageois qui dénonce en colère la passivité des autorités locales. Un homme d’un certain âge tout aussi énervé ajoute : « Non seulement ils pillent nos ressources naturelles mais s’en prennent physiquement à ceux qui osent se plaindre et défendre leurs terres ».

Ces incidents, devenus récurrents, ont donné lieu à une flopée de plaintes introduites par les victimes auprès des caïdats de la région. En vain. Devant cette indifférence que d’aucuns expliquent par le caractère sensible du sujet (le Sahara et ses tribus), une idée commence à faire son chemin dans les esprits : créer des comités et d’autodéfense et protéger leurs biens et communauté contre les pasteurs du Sahara.  Ce désir de vouloir faire justice soi-même est porteur de dérapages et de troubles sociaux encore plus graves… « Personne n’est au-dessus des lois. L’impunité et l’injustice ça suffit», lance en pestant le chef d’une coopérative agricole.  

Cette affaire de pâturage qui fait chauffer les esprits   met en lumière un problème complexe vieux comme le monde : la gestion des espaces pastoraux et les conflits en relation avec l’exploitation des ressources naturelles. Le caractère désertique des provinces du sud qui induit la raréfaction du couvert végétal et de l’eau pousse les éleveurs transhumants à s’aventurer au-delà de leurs zones tribales qui s’étendent de Oued Noun jusqu’à Oued Eddahab. Au nom de la liberté de circuler sur tout le territoire national, ils se déplacent tout au long de l’année en permanence avec leur cheptel qu’ils chargent dans des camions à la recherche de terres plus fertiles. Dans cette quête constante de pâturage, ils repoussent toujours les frontières en parcourant des centaines de kilomètres (Tiznit est distante de Laâyoune de 558 kilomètres et de 1071 km de Dakhla).  Lors de la saison sèche caractérisée par le manque d’eau et de végétation,   la caravane motorisée remonte généralement vers le nord (région de Souss-Massa) -elle lui arrive de pousser parfois jusqu’à El Haouz ou El Gharb – où les éleveurs laissent pacager leurs dromadaires, chèvres et brebis…

Les fourrages fournis par les pouvoirs publics aux pasteurs sahraouis étant jugés insuffisants, les terroirs villageois de ces régions notamment du Souss offrent pour les nomades sahraouis les seuls espaces pastoraux pour nourrir leur bétail. Mais ces derniers, soumis à une exploitation intensive aggravée par la rareté des pluies au cours de ces dernières années, ne présentent plus d’offre abondante y compris pour les populations sédentaires. D’où l’éclatement des conflits au grand jour, qui ne sont plus latents comme par le passé.

Victimes

Désormais, les querelles gagnent en intensité et risquent de se radicaliser encore plus à l’avenir devant la passivité des responsables et surtout l’absence d’une loi qui protège les terres des paysans sédentaires Soussis du pastoralisme sahraoui de plus en plus gourmand en pâturages  (voir encadré). Car la transhumance en question a changé de dimension et ne présente plus le même profil classique de nomades dans son acception traditionnelle et vivrière. Selon un agriculteur de Tiznit, les paysans de sa région sont aux prises avec des « éleveurs pastoraux » pour ne pas dire des businessmen en élevage dont les troupeaux, destinés à la vente sur  le marché local et national,  vont bien au-delà  de quelques dromadaires et chèvres. « Nous avons souvent affaire dans notre région, poursuit notre interlocuteur, à des élevages impliquant des centaines de têtes de ruminants ». Cette situation pose effectivement problème et fait des villageois du Souss les victimes d’une activité d’élevage qui a besoin de filières d’alimentation appropriées. « Les éleveurs n’ont qu’à mettre la main à la poche pour nourrir leur bétail », fait remarquer un membre d’une coopérative agricole à Tiznit. Pour le moment, aucune solution ne semble se dessiner à l’horizon en raison du caractère sensible du dossier…  

Malgré quelques manifestations organisées à Casablanca et Rabat à l’appel de plusieurs associations amazighes pour dénoncer entre autres « injustices » le pastoralisme sauvage sur leurs terres. Une situation qui ne passe pas. Les Soussis, qui n’arrêtent pas de ruminer ce qu’ils qualifient d’agressions récurrentes, ont du mal à la digérer…

Transhumance pastorale : La loi existe mais…

L’arrivée des éleveurs nomades est devenue une préoccupation majeure pour l’État et les autorités locales dans la région du Souss. Si pour les villageois le souci réside dans la dégradation des ressources agricoles, forestières et pastorales, pour l’État la question est devenue sensible en raison des troubles apportés à l’ordre public et les conséquences sur la paix sociale et la coexistence entre communautés. Face à l’urgence, l’État a promulgué en 2016 une loi relative à « la transhumance pastorale, la gestion et l’aménagement des espaces pastoraux » (loi n° 113.13)38. L’objectif de cette loi est de mettre en place un cadre juridique spécifique et approprié » pour remédier à la situation critique des terrains de parcours causée par l’activité d’élevage extensif. Elle est la première loi dans l’histoire du Maroc qui vise à encadrer juridiquement la transhumance pastorale. Il est à noter que parmi les objectifs de ladite loi la définition des « sanctions et pénalités afin d’éviter tout conflit à travers la responsabilité des parties notamment l’État, les collectivités territoriales et les bénéficiaires » et définir « les instances et organes chargés de la transhumance pastorale notamment à travers la mise en place des structures spécifiques chargées de la gestion du phénomène et les conflits qui en découlent ». L’État a reconnu les faits et les conséquences des pratiques pastorales sur les relations entre groupes : « la rareté et la dégradation continuelle des ressources pastorales dans les parcours traditionnels conjuguées à l’accroissement naturel des populations et les contraintes d’amélioration des conditions de vie et de développement de leurs activités ont accentué davantage le phénomène de transhumance des populations et de leur cheptel, ce qui a engendré dans certains cas des conflits sociaux importants, en plus des implications sur le plan social économique et environnemental ». La loi a aussi défini des aires de nomadismes. L’application de cette loi est conditionnée par un certain nombre de lois organiques, or, jusqu’à présent une seule loi organique de mise en application de cette loi est approuvée par le gouvernement (mars 2018), il reste encore 17 lois qui n’ont pas encore vu le jour, ce qui rend la mise en œuvre de cette loi compliquée dans l’immédiat (…).

Extrait de « Pastoralisme nomade et tensions sociales au Sud du Maroc » de Boubrik, Rahal, Revue Africaine des Sciences Humaines et Sociales.

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