CANETON FOUINEUR

Fin politique tragique pour Abdelwahab Belfkih

Chronique d’une mort annoncée
Ahmed Zoubaïr
23/9/2021 2:29
Feu Abdelwahab Belfkih.

Le suicide du PAM Abdelwahab Belfkih, qui a provoqué une onde de choc dans tout le pays, reflète le geste désespéré d’un homme assoiffé...

Le suicide du PAM Abdelwahab Belfkih, qui a provoqué une onde de choc dans tout le pays, reflète le geste désespéré d’un homme assoiffé de pouvoir, pris dans un engrenage politique infernal. Récit...

Le suicide de leurs hommes politiques ? Les Marocains n’ont pas l’habitude de ce genre de faits divers. Forcément quand un drame pareil frappe le microcosme partisan, cela crée un immense choc dans tout le pays accompagné de questions sur les raisons du geste désespéré de la victime : Le PAM Abdelwahab Belfkih qui s’est visiblement donné la mort à l’aide d’un fusil de chasse, mardi 21 septembre, dans son domicile à Sidi Ifni. Entre la vie et la mort car gravement atteint, il est évacué d’urgence dans une ambulance de la protection civile vers l’hôpital militaire de Guelmim, où il succombera à ses blessures. Certaines rumeurs, relayées par des sites électroniques, ont évoqué instantanément la thèse de l’assassinat. Sur quels éléments tangibles fondent-ils leur assertion ? Rien de solide, si ce n'est que la victime a reçu une balle dans l'abdomen qui ne pouvait avoir été tirée que par un tueur. Les partisans de la thèse du meurtre, dont certains ont poussé la fatuité jusqu'à jouer les Sherlock Holmes en se filmant sur Internet, considèrent que les gens qui se suicident par armes à feu se tirent généralement une balle dans la tête. Et dans le cas de M. Belfkih la version du suicide est jugée d'autant plus troublante par ces détectives autoproclamés  qu'il est très compliqué de pointer un fusil de chasse sur  son propre ventre... Viser la tête avec une arme pourvue d'un canon long n’est pas commode non plus...

En fait, les suicides par armes à feu sont souvent déroutants et seules des investigations minutieuses peuvent résoudre les énigmes qu'ils peuvent représenter pour déterminer s'il s'agit d'un crime, d'un suicide ou d'un assassinat déguisé en suicide... : Mais qui aurait pu attenter à la vie de Abdelwahab Belfkih et pour quelle raison? Là aussi, les défenseurs de la version du meurtre politique se livrent à de pures spéculations découlant de leur propre croyance que le défunt était devenu un homme encombrant et donc à abattre pour avoir menacé, après sa mise à l’écart par  le PAM de la candidature à la présidence de la région Guelmim-Oued Noun, de révéler en temps voulu des dossiers compromettants sur une supposée dilapidation des deniers publics destinés aux projets programmés pour cette région… Un communiqué rendu public dans le courant de la journée par le procureur général du Roi près la Cour d’appel de Guelmim privilégie la piste du suicide. Les premiers éléments de l’enquête, menée par une équipe de la  police judiciaire sur le lieu du drame où elle a découvert l’arme du crime saisie pour expertise ainsi que des traces de sang, laissent penser que le défunt aurait attenté à ses jours, indique le communiqué.

L’affaire n’est pas close, les investigations policières se poursuivent pour déterminer les tenants et les aboutissants de cette tragédie politique. Cette dernière, qui a jeté un voile de tristesse sur la scène politique, est survenue dans un contexte électoral régional très tendu, riche en intrigues et coups bas qui mériteraient, selon certains connaisseurs des dessous des cartes, de servir de trame à un film dramatique. Originaire du douar Aït Abdallah de la tribu des Aït Baamrane, Abdelwahab Belfkih convoitait la présidence de la région de Guelmim-Oued Noun. Pour arriver à ses fins, il  se présente aux élections régionales sous la bannière du PAM qui en fait son secrétaire régional  alors qu’il était jusqu’ici une notabilité influente de l’USFP au Sahara dont il était président sortant du conseil municipal de Guelmim.

Investiture

Mais pourquoi ce retournement de veste du bon côté ? Non pas que le parti de Lachgar a refusé de lui accorder l’investiture mais l’intéressé, en délicatesse avec la justice sur sa gestion jugée douteuse de la municipalité (voir encadré), a dû voir dans le PAM,  toujours crédité de sa proximité avec les cercles du pouvoir, un bouclier politique qui pourrait se renforcer s’il décroche la chefferie de la région… Entre le secrétaire général du PAM Abdellatif Ouahbi et sa nouvelle recrue du désert qui la reçoit chez lui, quelques mois avant le triple scrutin du 8 septembre, l’entente semble parfaite. Les deux hommes qui se connaissent bien sont tous les deux berbères et leurs villes natales respectives (Sidi Ifni et Taroudant) ne sont distantes que de quelque 215 kilomètres. Le scrutin régional consacre le PAM premier parti, la liste dirigée par Abdelwahab Belfkih ayant récolté 12 sièges sur 39 que compte le Conseil de la région Guelmim-Oued Noun.

Le RNI s’adjuge la deuxième place avec 10 sièges suivi respectivement de l’Istiqlal, USFP et le MP qui ont fait élire respectivement chacun, 5, 4 et 2 conseillers régionaux. Le vainqueur est aux anges, la présidence de la région est à portée de main et ses ennuis judiciaires qui l’empêchent de dormir peuvent être à tout le moins suspendus. M. Belfkih était alors loin de penser que Abdellatif Ouahbi, le patron de son nouveau parti, allait faillir à ses engagements en lui retirant à la dernière minute son investiture à la présidence de la région que se disputent également la présidente sortante et ex-ministre RNI Mbarka Bouaida et l’USFP Mohamed Abdoudrar. La procédure de déchéance de Belfkih a été activée le jour même de la clôture du délai de dépôt des candidatures, soit le mercredi 15 septembre ! La mise à l’écart de M. Belfkih ouvre du coup un grand boulevard devant Mme Bouaida, la candidate de l’alliance du tiercé gagnant du triple scrutin. Elle se  fera réélire le jour même de la mort tragique du candidat déchu du PAM, grâce aussi aux voix de l'USFP dont elle a  accusé  quelques jours plutôt le chef de file et adversaire Mohamed Aboudrar d'avoir détourné des conseillers à Marrakech en allant jusqu'à déposer plainte contre lui...

Abdellatif Ouahbi et feu Abdelwahab Belfkih.

Mais à quoi est dû ce qui ressemble à une disgrâce brutale de l’enfant des Aït Baamrane ? Ce dernier est-il devenu subitement infréquentable alors qu’il était encensé le 28 août dernier sur le site internet du PAM  « M. Belfkih est connu auprès des populations de Oued Noun comme un «homme de principes» et l’un des meilleurs cadres du champs politique dans cette région et au sein du PAM, après avoir brillamment plaidé les causes de la population locale lors de son passage au conseil de la région durant le mandat 2016-2021. Il a également participé à plusieurs forums et rencontres internationales et représenté dignement le Maroc et contribué, en tant qu’ancien conseiller parlementaire, à la promotion de l’action politique et de la société civile dans la région Guelmim-Oued Noun ».

Interrogé sur la triste fin de Abdelwahab Belfkih, M. Ouahbi a refusé de livrer la moindre réaction. Éprouve-il après ce qui est arrivé un sentiment de culpabilité ? Peut-il continuer à vivre comme si de rien n’était avec cette mort sur la conscience? Une chose est sûre : Le défunt, qui aurait refusé de devenir premier vice-président dans un conseil dirigé par une femme qui a pourtant pour elle ce qui lui fait défaut, un bon niveau intellectuel, a dû vivre certainement très mal cette affaire qu’il considérait comme un poignard dans le dos. Et sous le coup d’une grosse émotion rendait immédiatement publique une lettre manuscrite qui a fait le tour des réseaux sociaux où il annonçait son retrait de la vie politique et la démission de ses mandats électifs. En fait, Abdelwahab Belfkih a signé son arrêt de mort le jour où il s’est senti assez puissant pour défier tout le monde en jouant un rôle-clé dans le blocage qui avait paralysé entre 2017 et 2018 le conseil de la région de Guelmim-Oued Noun. Ce blocage, qui a entraîné l’arrêt de plusieurs chantiers de développement dont les conventions pour nombre d’entre eux ont été signés devant le souverain en 2015, est provoqué par la rivalité profonde entre le président RNI Abderrahim Ben Bouaïda et le chef de file de l’opposition qui a réussi  en plus à affaiblir son adversaire en le mettant en minorité après avoir rallié à son camp quelques conseillers.

Cocktail explosif

La crise était telle et les deux hommes à ce point irréconciliables que le ministère de l’Intérieur a dû intervenir en mai 2018 pour suspendre le conseil de la région et convoquer de nouvelles élections pour adouber un nouveau président. Le choix se portera sur la RNI Mbarka Bouaïda. Les ennemis irréductibles sont renvoyés dos à dos. Fin de des tensions politiques alimentées par des intérêts personnels et des rivalités tribales. Tout comme son rival et bien d’autres noms du Sahara, Abdelwahab Belfkih fait partie de cette camarilla de nababs sahraouis qui se sont bien enrichis grâce à un système basé sur les privilèges, la rente et autres prébendes. C’est ainsi que feu Belfkih, que rien ne prédestinait à devenir un homme politique sahraoui de premier plan-il était un simple pompiste chez son oncle maternel- avant qu’il n’accumule une grosse fortune sous l’époque de l’ex-wali de la région Guelmim- Smara (qui deviendra Guelmim-Oued Noun suite au dernier découpage administratif) Ali Kabiri, considéré comme son mentor… Oubliant ce qu’il est réellement, une pure fabrication administrative, faisant étalage de son opulence autant rapide qu’insolente, Abdelwahab Belfkih dépense sans compter et noue des relations incestueuses avec les représentants de l’autorité. Pour un seul et même objectif: asseoir son pouvoir local, s’attirer la sympathie des électeurs et accroître sa fortune. Avec ce cocktail explosif, grisé qu’il était par le pouvoir, il ne savait pas qu’il creusait petit à petit sa tombe politique. Sa tombe tout court.

Un homme de terrains…  

Le suicide de Abdelwahab Belfkih coïncide avec l’ouverture de son procès devant la Chambre criminelle de la Cour d'appel de Rabat dont la première audience était programme mercredi 22 septembre. C’est ce qui expliquerait son geste désespéré, celui d’un homme politiquement mort et qui risquait par-dessus le marché de finir ses jours derrière les barreaux… M. Belfkih, acquitté la première fois par la Cour d'appel d'Agadir, qui a décidé d’abandonner les charges retenues contre lui, devait répondre devant la juridiction de la capitale, d’une série d’actes jugés délictueux en relation avec des affaires de spoliation foncière à Guelmim  du temps où il en était le président du conseil municipal sous la bannière de l’USFP.


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