CANETON FOUINEUR

Les troubles mentaux font de plus en plus de victimes au Maroc

De quoi devenir fou...
La rédaction
3/2/2022 0:41

Les drames provoqués par les malades mentaux se multiplient ces derniers temps au Maroc, alimentant entre vols et viols la chronique...

Les drames provoqués par les malades mentaux se multiplient ces derniers temps au Maroc, alimentant entre vols et viols la chronique des faits divers quotidiens qui dominent l’actualité.

Dernière tragédie en date, un détraqué mental de 36 ans, suivi médicalement pour troubles mentaux depuis 2018. Lundi dernier, il a tué à l’arme blanche son père de 68 ans et l’épouse de ce dernier âgée de 63 ans, qui habitaient comme le forcené le quartier périphérique de Sidi El Khadir, dans la préfecture de Hay Hassani, à Casablanca.

Un jour plus tôt, 33 ans, un autre détraqué mental souffrant d’un handicap physique, a égorgé le samedi 29 janvier sa nièce de 4 mois à Chefchaouen. Une semaine plutôt c’est un homme habitant dans les environs d’Inezgane près d’Agadir qui a causé la mort de sa femme, prétendument habitée par un djinn, après l’avoir violemment battu à l’aide d’un bâton dans une séance exorcisme mortelle. L’ignorance tue.

A Jamâat Shaim, aux environs de Safi, un fou a agressé une femme et un homme à l’aide d’un couteau, semant la panique parmi les passants qu’il pourchassait de manière hystérique. Y aurait-il plus de fous que de raison dans nos murs ? Les Marocains seraient-ils plus enclins à péter les plombs ou bien la schizophrénie ambiante, à force d’une pression forte multiforme, a pris les allures d’une véritable épidémie ? Il y a certainement un peu de tout cela, comme nous l’ont confirmé de nombreux psychiatres qui mettent aussi en cause l’addiction aux psychotropes vendus à ciel ouvert comme des bonbons dans les quartiers défavorisés.

En tout cas, il est frappant de constater le nombre de malades mentaux croissant qui errent dans les rues de Casablanca et certaines grandes villes du pays. Abandonnés et livrés à eux-mêmes, ces derniers sont l’expression de l’échec de la santé mentale au Maroc.

Parent pauvre de la santé au Maroc où les efforts du ministère de tutelle sont orientés vers d’autres priorités sanitaires, la psychiatrie est malade justement de cette négligence qu’un chiffre traduit parfaitement : A peine quelque 2 000 lits à l’échelle nationale. Une capacité tellement très en dessous des besoins que les psychiatres submergés ne délivrent plus de billets d’hospitalisation même pour les fous les plus dangereux.

Et encore, cette capacité d’accueil est concentrée à Casablanca, métropole de 5 millions d’habitants, qui compte quelque 300 lits, répartis entre le CHU, l’hôpital de Mohammedia, le mouroir de Tit Mellil et le fameux asile de Berrechid. Tout le monde se rappelle encore de cette opération lancée le 11 juin 2015 à grand renfort de déclarations à la presse et de prises de position spectaculaires.  

Le ministre de la Santé d’alors, un certain Lahoucine Louardi, est venu, le torse bombé, présenter l’opération Al Karama (dignité) visant à évacuer les malades mentaux du fameux sanctuaire de Bouya Omar réputé, selon un pouvoir magique prêté à ce mausolée, délivrer ses pensionnaires des démons qui les habitent. « Ce sera Bouya Omar ou moi », avait lancé en signe de défi le ministre PPS qui avait fini effectivement par faire sortir les «clients » de ce centre d’un autre âge où ils sont enchaînés, voire affamés et violentés. Pour bien « vendre » son coup de com,

Louardi avait mobilisé 34 médecins et 122 infirmiers ainsi que plusieurs ambulances flambant neuf qui avaient été garées devant le mausolée, pour transporter les malades vers des centres hospitaliers jugés plus respectueux de la dignité humaine…

Moyens

Or, la fermeture de Bouya Omar ne s’est pas accompagnée, comme cela devrait être le cas, d’un investissement dans le dispositif de prise en charge de ces patients particuliers. Entre les bipolaires et les dépressifs, les schizophrènes et les autistes et autres victimes de règlements de l’esprit en liberté, il y a de quoi devenir fou. Sans oublier l’absence de l’accompagnement médico-psycho-social nécessaire aux sujets qui sont dans le déni de la maladie mentale.

Le diagnostic de ce dernier est tardif voire inexistant, et faute de moyens, de médecins en nombre suffisant et de centres dédiés, de plus en plus de malades investissent les rues sans être pris en charge.

Dans les milieux défavorisés, les familles qui ont un détraqué mental à gérer recourent souvent à la sorcellerie et autres charlatans, faute justement de moyens pour acheter en serait-ce que les médicaments qui sont excessivement chers.

Alors que 48% des Marocains souffrent de troubles psychiques selon un rapport de 2019 réalisé par la Ligue marocaine des droits de l’homme (LMDH), la santé publique compte moins de 200 psychiatres, un chiffre en dessous de la moyenne mondiale. Quant aux structures d’accueil, elles n’offrent qu’un lit pour 100.000 habitants, soit moins que la norme internationale qui est de 4,4 lits. Ce qui n'est pas du tout raisonnable.

La psychiatrie a droit de cité en islam

Les savants arabes embrasseront toutes es branches du savoir et accorderont immanquablement aux choses de l’esprit une part constante et dominante dans la vie et la destinée des êtres humains.

L’islam a depuis longtemps régi l’administration des biens des malades mentaux, en recommandant expressément de les colloquer et de chercher à les guérir. La psychiatrie a su tirer profit des valeurs islamiques de charité, de bonté, de miséricorde et de solidarité interhumaines, renforçant ainsi patience, acceptation sereine des malheurs, détermination et courage.

La psychiatrie connut alors une avancée considérable et fut pendant des siècles en avance sur le reste du monde (VIIe au XIIe siècle). L’histoire de la psychiatrie a été édifiée par d’éminents médecins d’expression arabe, tels Ibn Sina (Avicenne), Ibn Omrane, Ibn Khaldoun, Ibn Rochd (Averroès) ou Arrazi (Rhazès). Les auteurs persans ou arabes s’illustrèrent notamment par des descriptions cliniques de troubles mentaux variés et l’élaboration de théories étiopathogéniques rationnelles intégrant des explications psychosomatiques.

Le Persan Arrazi (850-932), dont les grands hôpitaux psychiatriques des pays du Maghreb portent le nom, fut un grand psychosomaticien. Il fut le premier à évoquer le terme « El Illaj El Nafsani » (psychothérapie). Ibn Sina (980-1037), le prince des savants et le plus célèbre, travailla sur les démarches diagnostiques et thérapeutiques. Il approfondira les relations du corps et de la pensée «les remèdes psychiques doivent toujours aider la thérapeutique médicamenteuse et la compléter en accroissant la capacité de résistance du malade». Ishaq Ibn Omrane, premier représentant de l’école de Kairouan, auteur d’un magistral traité de la mélancolie dans lequel il décrit avec précision les différentes formes cliniques des états dépressifs et leurs origines, proposait des traitements chimiothérapiques, psychothérapiques et sociothérapiques. Bien d’autres auteurs s’illustreront tels que Ibn Tofail, Ibn Bajja (Avenpace), Ibn Jazzar, Ezzahraoui, Ibn Hazm, Ibn Zohr…

Le grand essor de cette double médecine du corps et de l’esprit en terre d’Islam ne pouvait nécessairement qu’être le fruit d’études théoriques et d’observations pratiques fouillées, aussi bien dans l’Orient que dans l’Occident arabes. Nombreux furent en effet les traités, ouvrages, maximes, opuscules, épîtres qui seront rédigés au cours des siècles par les médecins arabo-islamiques à propos des relations du corps et de l’esprit, dans la triple perspective diagnostique, prophylactique et thérapeutique.

Source Cairn.info

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