CANETON FOUINEUR

Assurance maladie Obligatoire

Des chiffres et des maux
Rachid Wahbi
28/7/2023 21:57
Saâd Taoujni.

Au 30 juin 2023, le plan quinquennal de généralisation de la Protection Sociale a parcouru la moitié du chemin prévu. L'expert dans les...

Au 30 juin 2023, le plan quinquennal de généralisation de la Protection Sociale a parcouru la moitié du chemin prévu. L'expert dans les affaires de santé Saâd Taoujni livre son diagnostic en procédant à une analyse minutieuse de la situation de chaque catégorie des bénéficiaires..

Sur les quatre branches de protection sociale retenues par le Maroc, seul le chantier l’assurance maladie obligatoire (AMO) a démarré avec de très nombreuses difficultés, dont la principale a trait au manque alarmant de ressources humaines et à la mauvaise répartition de l’offre de soins. En général, les choses évoluent mais très lentement. Ainsi, la réforme des caisses de retraite attend depuis 1990, celle de l’indemnité dérisoire pour perte d’emploi depuis plusieurs années et le Budget de 2023 n’a rien prévu pour les allocations et les aides familiales, censées démarrer cette année. S’agissant de l’AMO, nous ne disposons pas de données fiables. Le chef du gouvernement a affirmé, le 24 octobre 2022, devant le Parlement lors du Grand oral, que le taux de couverture médicale des Marocains allait passer de 42% à 100%.  Atteindre, en moins de deux mois, les 100% de couverture médicale ferait rêver les pays les plus avancés dans ce domaine. Or, dès avril 2023, l’Agence Nationale d’Assurance Maladie (ANAM) le régulateur de l’AMO, a annoncé que la couverture est de 74 %, soit exactement le même taux qu’à la fin de 2021. En vérité, le taux réel ne dépasserait pas 50%. D’autre part, le taux de couverture est rapporté par le chef de gouvernement à 33 millions de Marocains. Or selon le ministre du Budget, nous serions 35 millions et pour le Haut-Commissariat au Plan (HCP) 37 et l’ONU (FNUAP) 37,8 millions. Où sont donc passés plus de 4 millions de Marocains ? Ces chiffres disparates  confirment l’absence d’une étude stratégique, démographique, actuarielle, épidémiologique fiable et d’une planification financière adéquate. Voir « La Protection Sociale Généralisée au Maroc : le plus complexe des projets ». Taoujni Saâd). Article publié le 28 septembre 2020.  https://taoujnisaad.blogspot.com/2020/04/taoujni-saad-politiques-sociales-defis.html

Le Canard Libéré : Les taux de couverture sanitaire de base des Travailleurs Non-Salariés (TNS) sont-ils conformes à la réalité ? Disposez-vous de données plus fiables ?


En effet, les chiffres présentés au chef du gouvernement sont basés sur des listings établis par les organismes de liaison, qui héritent d’une nouvelle attribution, d’ailleurs mal définie.

Pour mieux comprendre la situation, il faut connaître la fonction d’assujettissement qui est assurée par la CNSS pour les travailleurs salariés auprès des employeurs, à travers les bulletins d’adhésion signés par l’employeur, les bordereaux de déclaration des salaires, le déplacement des contrôleurs de la CNSS chez l’employeur pour vérifier le nombre de salariés, le travail des inspecteurs qui examinent les documents comptables, le recouvrement des cotisations se fait auprès d’un employeur parfois pour des centaines d’employés, etc.

Pour les travailleurs non-salariés, la fonction d’assujettissement a été transformée et attribuée aux ministères, Ordres, associations et fédérations professionnelles, sans que ces organismes n’aient les outils adéquats et les moyens pour en assurer correctement le fonctionnement.

Plusieurs ministères n’arrivent même pas à recenser les fonctionnaires fantômes. Il en est de même de certains ordres, associations ou fédérations.  Les organismes de liaison ne jouent pas le même rôle que la CNSS et l’employeur pour les salariés. Or, il y a 270 000 entreprises affiliées à la CNSS, contre plus de 3,3 millions de Travailleurs non-salariés (TNS). Le recouvrement doit s’effectuer auprès de chaque individu. Les organismes de liaison ne sont pas responsables du paiement des cotisations ouvrant les droits aux prestations.

Au final, les TNS ayant les droits ouverts ne dépassent pas les 250 000 et non pas 2,4 millions selon les listings. Nous sommes à moins de 8% de 3,3 millions de TNS, bien loin des 70% annoncés euphoriquement par les responsables gouvernementaux, et repris en chœur par les médias. Le gap est énorme entre les statistiques des listings incomplets et mal renseignés des organismes de liaison et celles fournies par la CNSS relatives aux assurés ayant payé leurs cotisations et dont les droits sont ouverts aux prestations et au remboursement des frais de soins. Les chiffres schizophréniques annoncés par les responsables gouvernementaux basés sur les listings créent des confusions et remettent en cause la crédibilité de nos données nationales.

Qu’en pense le HCP ? Sinon, il faut se doter d’un organisme réellement indépendant pour des statistiques nationales fiables.  

Les difficultés inhérentes aux TNS, aux indépendants et aux professions libérales ont été identifiées et annoncées dans un article publié le 1er février 2016 par Panorapost. (Saâd Taoujni : « il faudra attendre plusieurs années avant la généralisation effective de la CSU » Février 2016).

La généralisation de l’AMO aux TNS est basée sur la Loi 98-15, promulguée en juin 2017. Il y a donc rien d’inédit, si ce n’est l’accélération de la publication des décrets fixant le revenu moyen pour chaque catégorie d’indépendants quels que soient leurs revenus réels, qu’ils soient établis dans des régions riches ou pauvres, offrant ou pas des soins. Aucun changement de méthodologie n’a été constaté.


Et pour les Travailleurs Salariés ?


Les salariés ont été exclus de l’actuelle réforme tandis que la fraude à la déclaration des salariés à la Sécurité sociale est colossale dans un contexte de résistance de certaines mentalités à tout changement. Les salariés ne sont pas tous correctement déclarés dans des secteurs aussi importants que le tourisme, l’agriculture, le textile, le bâtiment, l’artisanat, le commerce les professions libérales, la restauration, les clubs de sport, le personnel de maison, les agents de sécurité, (esclaves des temps modernes), etc.

Le salaire moyen déclaré dans le secteur privé représente la moitié de celui du secteur public. Pourtant leur taux de cotisation est supérieur et les taux de remboursement sont inférieurs.

Les organismes gestionnaires (une quarantaine) n’ont toujours rien en commun en matière de tarification, de panier de soins, de taux de cotisation ou de remboursement, de plafonds, d’exclusions, de règles de gestion, de contrôle médical, de feuilles de soins, de système d’information, de plan comptable…. Autant dire qu’il n’y a pas d’égalité non plus dans cette catégorie aussi.

D’autre part, de quelle solidarité parle-t-on, si 2% des salariés du secteur privé structuré, dont la couverture de base est gérée encore par les compagnies d’assurance privées, capitalisent 34% de la masse salariale globale déclarée à la CNSS ? Cette dernière gère donc la couverture des bas salaires et des pensionnés dont le revenu moyen mensuel est de 1600 DH. Aucun gouvernement n’a osé mettre fin à cette situation transitoire prévue par l’article 114, en intégrant tous les salariés du privé à la CNSS pour une meilleure solidarité.


Et les personnes capables de payer des cotisations et n’exerçant aucune activité rémunérée ou non rémunérée…


Il s’agit d’une quatrième catégorie non prévue dans le discours du Trône de 2020.  Ils sont près de 4,6 millions et ils vont poser à la CNSS les mêmes problèmes que ceux évoqués ci-dessus pour les TNS avec les organismes de liaison. La CNSS n’a pas les moyens d’assurer cette nouvelle mission. D’autres catégories attendent la régularisation de leur adhésion à l’AMO comme les travailleurs du secteur informel et les « aides » familiaux (appelés ainsi par le HCP). Comment peut-on prétendre atteindre les 100% dans ces conditions ?


AMO Tadamon


Les données relatives à la couverture des démunis et des pauvres (ex-RAMED) transmises par l’ANAM à la CNSS en décembre 2022 étaient en baisse d’un million d’individus par rapport aux 11 millions annoncés dans le discours Royal du 29 juillet 2020. Après leur immatriculation à AMO-Tadamon, de nombreux patients démunis souffrant de maladies chroniques ont commencé à recevoir des soins lourds et coûteux pris en charge par la CNSS.

Quelques mois après leur inscription dans le Registre National de la Population (RNP) et le Registre Social Unifié (RSU), leurs droits ont été fermés sur la base de critères contestables à plus d’un titre même pour des personnes exerçant des activités génératrices de très faibles revenus ou des personnes en situation d’handicap (Critère non pris en considération).

La CNSS a donc dû interrompre la délivrance des prises en charge et les patients ont par conséquent  arrêté les soins.

Le choc moral est colossal pour ces nouveaux bénéficiaires ayant traîné des maladies chroniques diagnostiquées tardivement ou mal suivies.

Les patients ayant commencé à recevoir des soins après avoir déposé des chèques de garantie en attendant la délivrance de la prise en charge sont confrontés au risque de chèques présentés au protêt et peuvent faire l'objet d'une contrainte par corps et ne recouvrer la liberté qu’après paiement de la créance.

Le nombre d’exclus d’AMO Tadamon par le RSU ne cesse de croître. Il ne fait l’objet d’aucune communication officielle. Combien sont-ils ?  Deux, trois millions ou plus ? Mais si l’on considère les données fournies par le CESE en 2019, indiquant que les éligibles au RAMED étaient de 15 millions, le nombre réel des exclus dépasserait largement les 7 millions. Si, en plus on prend en compte la paupérisation consécutive à la crise Covid, le nombre d’exclus dépasserait vraisemblablement les 10 millions.

D’autre part, tous les bénéficiaires d’AMO-Tadamon, ayant besoin de soins externes dans le secteur privé sont obligés de payer eux-mêmes les frais de soins  et d’attendre le remboursement. Déjà, pour les mêmes raisons, de nombreux travailleurs salariés aux faibles salaires n’y parviennent pas. Il est donc difficile de considérer les pauvres et les démunis comme bénéficiaires d'une couverture sanitaire universelle de base tout comme les autres catégories de bénéficiaires.

Le reste à charge pour  le patient dans le secteur privé est élevé voire prohibitif, et il faut également y ajouter les frais de transport et de séjour. Résultat: certains sont contraints de renoncer aux soins et ne reçoivent pas de traitement précoce qui assurerait un potentiel de guérison bien plus élevé. Pour l’OMS, les paiements directs ont de sérieuses répercussions sur la santé. Les pauvres n’ont pas l’égal droit d’accéder aux soins comme les autres en contradiction avec ce que stipule l’article 31 de la Constitution.

D’une manière générale, selon les derniers comptes nationaux de la santé, la part des dépenses des ménages dans les dépenses totales de santé s’élève à 60% contre 25% pour l’État, ce qui révèle en creux les choix du gouvernement. En définitive, cette catégorisation/fragmentation, où le gouvernement fait cavalier seul, a créé un système complexe d’AMO avec une infinité de lois cadres, de lois, de décrets et d’arrêtés où il est difficile de se retrouver. Le passage d’une catégorie à une autre est très difficile. La fermeture des droits et l’arrêt des soins sont fréquents. Une Couverture Sanitaire Universelle financée pour les 2/3 des démunis, par l’Impôt, les monopoles et des financements innovants aurait été plus judicieuse.


140 programmes sociaux


Depuis 2020, les crédits ouverts pour le Fonds d’Appui à la Protection Sociale n’ont pas dépassé 10 milliards de Dirhams, dont seulement la moitié est consommée dans 140 programmes sociaux couvrant des millions de bénéficiaires. Le niveau des aides scolaires (de 60 à 100 DH dans le primaire), aux veuves (350 DH par orphelin dans la limite de trois), aux personnes en situation d’handicap (500 millions de DH pour 2,6 millions de personnes) est très faible. Par contre, le budget consacré à l’investissement public ne cesse d’augmenter,  atteignant quelque 300 milliards de Dirhams.

Le Budget de la santé et de la protection sociale est de 28,1 milliards de Dirhams, dont près du tiers est absorbé  là aussi par l’investissement et les équipements.

Les crédits alloués à la masse salariale sont très insuffisants pour attirer de nouvelles compétences nécessaires à l’utilisation optimale  de ces équipements. Les charges de fonctionnement constituent le parent pauvre des dépenses publiques.

Au Maroc, la hausse des exportations des phosphates, de l’automobile, des produis agricoles, etc. et l’accroissement des recettes fiscales, ne se reflète pas dans le budget du Fonds d’Appui à la Protection Sociale dont les crédits n’ont pas varié ces quatre dernières années.

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