Jamil Manar
19/1/2022 22:48
Khalid Aït Taleb, ministre de la Santé.

De nombreux secteurs économiques, notamment le tourisme et l’événementiel, ont laissé des plumes dans la crise sanitaire ou plutôt...

De nombreux secteurs économiques, notamment le tourisme et l’événementiel, ont laissé des plumes dans la crise sanitaire ou plutôt sa gestion où il y a à boire et à manger. Explications.

Le taux de croissance en 2022 vient d’être revu à la baisse par l’agence de notation Fitch : 3,2% au lieu de 3,4 prévu initialement. En cause, la vague Omicron ou les mesures « les plus drastiques dans la région Mena », prises par les autorités marocaines : la fermeture des frontières depuis le 30 novembre pour se protéger contre les contaminations venues de l’extérieur. Une pure vue de l’esprit, puisque la stratégie d’anticipation n’aura servi qu’à achever le tourisme et ses différents prestataires de services, contribuer davantage à l’érosion d’un pouvoir déjà faible, car le premier cas Omicron ne sera annoncé que le 16 décembre à Casablanca et il n’est pas venu de l’étranger. La personne infectée, une femme casanière de 30 ans, n’avait pas bougé de chez elle au cours des dernières semaines. Ce qui laissait croire qu’il s’agissait d’une mutation locale du virus.

L’apparition de ce premier cas qui allait ouvrir la voie à une propagation rapide d’Omicron sur le sol national a du coup remis en cause la pertinence du maintien de la fermeture des frontières vu que Omicron était déjà parmi nous. Au lieu d’annoncer la levée de cette mesure dévastatrice, un communiqué officiel tombe comme un couperet annonçant sa prorogation jusqu’à fin janvier 2022 ! De quoi dérouter le plus avisé des stratèges ! Surtout que le nouveau variant, découvert le 24 novembre en Afrique du Sud avant de se répandre à grande échelle en Europe et aux États-Unis, a montré qu’il est hautement contagieux mais moins dangereux que la version originale apparue en Chine en décembre 2019 et ses autres variants apparus plus tard dont le Delta.

Certes, Omicron se propage comme une trainée de poudre mais se distingue par un taux de létalité très faible générant des symptômes ici comme ailleurs semblables à ceux de la fièvre saisonnière (fatigue, toux, fièvre et maux de tête). L’inquiétude qui s’est emparée de la planète dans la foulée de son apparition s’est progressivement estompée pour laisser la place à un certain soulagement. En dépit de ces nouvelles rassurantes, le Maroc a fait le choix difficilement défendable de reconduire son auto-embargo aérien et maritime au lieu que le ministère de la Santé fasse son travail en faisant tester, aux principaux points d’entrée du pays, les étrangers désireux de se rendre au Maroc.  

Bulletin quotidien

Comble de l’incompréhension, cette solution de bon sens a été refusée y compris aux Marocains du Maroc, qui se trouvaient sous d’autres cieux au moment de la fermeture du pays.  Faute d’avoir été tous rapatriés en raison de la suspension le 23 décembre dernier des vols de rapatriement,  nombre d’entre eux, souvent à court de ressources, sont condamnés jusqu’à aujourd’hui à la précarisation et au désespoir ! Cette solution de bons sens, économiquement et socialement responsable, aurait permis de ne pas condamner à la faillite l’écosystème touristique et à la disette financière  les milliers de familles urbaines et rurales qui vivent directement et indirectement du secteur des loisirs, qu’ils soient inscrits à la CNSS ou pas.  

Auto-embargo maritime et aérien : Une crise qui en cache plusieurs...

Sans compter le manque à gagner considérable en termes de rentrées en devises que le tourisme domestique, compte tenu de différents facteurs, n’a pu compenser que dans des proportions insignifiantes. En deux mois d’enfermement, Omicron a fait plus de victimes économiques et sociales que des décès dus aux contaminations à proprement parler ! L’interdiction des rassemblements, festivals et autres manifestations, a porté un coup dur au secteur de l’événementiel et de la culture et asséché les finances des clubs de football en raison de la fermeture des stades au public alors qu’en Europe et dans plusieurs pays arabes comme le Qatar les autorités ont laissé les gradins se remplir au plus fort des contaminations. L’exception marocaine !

On aurait pu avoir une idée plus ou moins précise sur l’ampleur du désastre si le décompte journalier relatif au Covid-19 fourni de manière assidue par le ministère de la Santé intégrait le nombre de destructions d’emplois, de pertes de revenus, de fermetures d’entreprises et de suicidés. Là, on aurait été plus édifié sur la véritable ampleur de la crise sanitaire et de son choc socio-économique au-delà de ce bulletin quotidien qui péchant par son insuffisance opaque y compris côté épidémie (âge des morts, leur état de santé, nature de la comorbidité, vaccinés ou pas.) ne renseigne que très superficiellement sur la situation pandémique nationale. A l’opacité des indicateurs s’ajoute l’absence de débat contradictoire. Les quelques experts maison ou considérés comme tels, qui font en même temps partie du comité scientifique et technique, se contentent de jouer juste les colporteurs de la parole officielle dans les médias-relais en incitant jusqu’à la redondance les gens à compléter leur schéma vaccinal et à observer les gestes barrières. La langue de bois pandémique est née et elle a fait des émules, suscitant des vocations de chercheurs autoproclamés en matière des systèmes de santé. Pas de transparence non plus du côté du centre marocain de pharmacovigilance dont la sortie de sa directrice générale Rachida  Soulaymani Bencheikh, via un webinaire  remonte à novembre dernier sur les effets indésirables  post-vaccinaux dont les chiffres ont été communiqués à cette occasion alors que les services de Khalid Aït Taleb avaient auparavant opté pour la stratégie du déni.  

Propos déplacé

Cette initiative a été organisée à reculons par le ministère de la Santé devant la multiplication sur les réseaux de vidéos faisant état d’effets indésirables graves (décès, hémiplégie…) qui ont eu comme effet d’alimenter la méfiance envers les vaccins. La troisième dose a généré à son tour une vague de vive appréhension auprès des citoyens à mesure que sont relayés des cas d’effets secondaires attribués à ce dernier rappel. Les autorités ont beau forcer sur la dose de la sensibilisation à grand renfort de publicité radiophonique, dans la tête de bien des Marocains s’est incrustée l’idée que les vaccins anti-Covid sont plus dangereux que le virus. Le discrédit qui frappe la parole officielle, aggravé par la crise sanitaire et surtout la manière dont elle a été gérée, a grandement contribué à la perte d’adhésion aux mesures de protection.  

D’ailleurs, la majorité des Marocains vivait au quotidien comme s’il n’y avait pas de Covid. Une vie sociale presque normale en total décalage avec les discours anxiogènes ambiants, expression d’une peur panique des responsables. En cause, une crise de communication chronique et quand celle-ci existe elle est confuse avec comme seul vecteur des communiqués secs et laconiques non accompagnés d’explication du pourquoi du comment.  Cette situation a fait naître y compris chez le citoyen lambda le sentiment du troupeau qui n’a qu’à suivre les consignes sans se poser de questions…

Difficile d’empêcher les gens de s’interroger : Les autorités ont-elles à ce point peur pour notre vie ? Dans un pays où le système de santé n’est pas réputé pour sa performance et où l’on peut mourir facilement pour négligence médicale sans que cela ne tire à conséquence pour les responsables ni perturbe le sommeil du ministre de la Santé, agir comme si la lutte contre le Covid était le seul  vrai enjeu de santé publique, l’unique problème qui mérite la mobilisation des pouvoirs publics, a de quoi en effet étonner les moins enclins à douter… Peu importe de mourir de faim, les poches Covid, malheureux et désargenté ! L’essentiel est ne pas décéder du Covid ? Cette insensibilité à la détresse de milliers de familles marocaines, qui ne sont pas toutes éligibles à la dérisoire indemnité forfaitaire de 2.000 DH par mois - pas suffisante pour payer le loyer d’une pièce misérable - se trouve traduite dans le propos déplacé de la ministre du Tourisme de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire Fatim-Zahra Ammor tenu  devant la 20ème  session de l’Assemblée générale de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) qui a eu lieu  le 1er  décembre 2021 à Madrid : « Le Covid-19 fait partie désormais de l’équation et nous offre une opportunité unique pour transformer le secteur du tourisme en nous adaptant aux nouvelles réalités du marché, en anticipant les changements de mode de consommation des voyageurs et en tirant profit des opportunités offertes », a-t-elle cru judicieux de déclarer.

Ce propos pour le moins inadapté a choqué plus d’un. Un ministre ne parle pas comme ça, à la manière d’un marketeur chargé de vendre de nouveaux produits. Ce n’est pas le langage d’un responsable en chef dont le rôle est de trouver des solutions immédiates aux acteurs d’un secteur essentiel dévasté par une crise sans précédent. Qui a détruit des centaines d’emplois, mis en déroute plusieurs entreprises, a fait tarir la source de revenus de milliers de familles et généré du désespoir social dans des proportions inimaginables. Face au ralentissement des contagions liées à Omicron et au vu de son taux de létalité très faible, l’Espagne a appelé à gérer le Covid comme une épidémie de grippe qui fait partie du quotidien. Autrement dit, il faut vivre avec et non contre au risque de prolonger la souffrance économique et sociale. Les pouvoirs publics marocains vont-ils emboîter le pas à leurs voisins ibériques ? Une chose est sûre : Rien ne justifie plus le maintien de la fermeture des frontières nationales au-delà du 31 janvier. Sauf si les autorités sanitaires décident dans leur extrême prévoyance de se protéger dès maintenant contre le prochain variant !

Petite bouffée d’oxygène pour le tourisme : A qui vont profiter les 2 milliards de DH ?  

Le gouvernement Akhannouch vient d’adopter un plan de sauvetage du tourisme national, dévasté par une crise sanitaire qui a duré de près de deux ans, d’un montant de 2 milliards de DH.

Pour les professionnels du secteur, cet effort public est louable même s’il reste insuffisant pour compenser les pertes de l’ensemble de l’écosystème touristique, estimées à quelque 82 milliards de DH depuis le début de la crise sanitaire. Fruit de plusieurs réunions entre la ministre du Tourisme Fatim-Zahra Ammor et les dirigeants de la CNT, ce Fonds de soutien se décline en 5 principales mesures :  

•Le prolongement du versement de l’indemnité forfaitaire de 2000 DH durant le premier trimestre 2022, pour l’ensemble des employés du secteur du tourisme, les transporteurs touristiques et les restaurants classés,

•Le report des charges dues à la CNSS pendant 6 mois pour ces mêmes employés,

•L’établissement d’un moratoire relatif aux échéances bancaires sur une durée pouvant aller jusqu’à 1 an, pour les hôteliers et les transporteurs touristiques. Les intérêts intercalaires seront pris en charge par l’État pour une période équivalente aux mois de non-activité en 2021, ainsi que le premier trimestre 2022.

•La prise en charge par l’État de la taxe professionnelle due par les hôteliers en 2020 et en 2021,

•L’octroi d’une subvention de l’État au secteur de l’hôtellerie, pour un montant global de 1 Mrd de DH. L’objectif de cette aide est de soutenir l’effort d’investissement (entretien, rénovation, formation…) des hôtels souhaitant se préparer à un redémarrage rapide de l’activité dès la réouverture des frontières.

Fatim-Zahra Ammor, ministre du Tourisme.

Reste à savoir si les 2 milliards de DH annoncés vont bénéficier également aux principales victimes de la crise sanitaire : les PME touristiques comme les transporteurs et les agences de voyages, les guides et les commerçants dont l’activité est liée à l’industrie des voyages et toute cette main-d’œuvre vivant directement ou indirectement du secteur. Vivant en milieu citadin et rural, cette population n’est pas déclarée à la CNSS et se retrouve de ce fait très lésée. Quid  en effet des différents animateurs et gargotiers de la place Jemaâ El Fna, des bazaristes de Fès, Agadir, Marrakech ainsi que des  guides de montagne de Setti Fatma et de Ouarzazate, des villages situés sur les grands circuits touristiques et  de ces  milliers de petites mains du tourisme culturel et balnéaire ? Le gouvernement doit se soucier de cette population silencieuse qui a perdu son unique source de revenus en raison de la crise sanitaire… Négliger cette catégorie au profit des grandes enseignes touristiques seulement alors qu’elle représente un rouage essentiel de la machine touristique c’est ne pas reconnaître le rôle essentiellement social du tourisme qui va évidemment bien au-delà des recettes en devises qu’il génère et de l’importance effective de sa contribution fiscale.

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