Les réseaux sociaux ont relayé dernièrement une rumeur selon laquelle le directeur de l’épidémiologie et de la lutte contre les maladies aurait démissionné de son poste suite à un conflit avec le ministre de la Santé. Qu’en est-il vraiment ?
Ce pourrait être le prologue d’une pièce dramatique connue de tous, ou la scène que nous jouent Khalid Ait Taleb, ministre de la Santé et Mohammed Youbi, directeur du département de l’épidémiologie et de lutte contre maladies.
Depuis le début du confinement général, les Marocains ont pris l’habitude de retrouver la même tête à la même heure, celle de Youbi qu’ils attendent de pied ferme pour connaître l’évolution journalière de l’épidémie. Alors quand du jour au lendemain, ce dernier, devenue une star nationale à force d’apparaître sur le petit écran, cesse de communiquer sur le grand sujet du moment, les téléspectateurs se posent des questions.
Depuis quelques jours en effet, le rôle du communicateur officiel sur le coronavirus est joué par d’autres responsables du ministère. On dirait que Mohamed Youbi a été retiré brutalement de la circulation. Mais pour quelle raison ? Aurait-il commis un grave impair qui lui aurait attiré les foudres de ses supérieurs ou a-t-il simplement demandé de sursoir à cette tâche pénible, le temps de reprendre son souffle ? Sur les raisons de ce changement, les spéculations vont bon train. Tout ce que l’on sait c’est que le coronavirus a provoqué une tension entre les deux hommes, rendant leur relation moins cordiale qu’elle ne l’a été au tout début de la crise. Se propageant à la vitesse du coronavirus sur les réseaux sociaux avant d’être reprise par certains journaux, la rumeur a même prêté à M. Youbi un acte extrême : la démission. Dans un moment d’énervement, en pleine face-à-face-avec le ministre, il aurait donc claqué la porte. L’affaire a mis en émoi la Toile. « Ce n’est pas le moment de démissionne», implorent certains posts sur Internet. « Ne prenez pas la place de Youbi », renchérissent d’autres. Il n’ y a pas de fumée sans feu et visiblement rien ne va plus entre les deux hommes. L’absence d’un communiqué officiel qui infirme ou confirme, l’opinion a pris la rumeur pour argent comptant.
Les cloches ne sonnent plus de la même manière au niveau du ministère. Une source proche du dossier a bien voulu lever le voile sur cette histoire. Les deux hommes ne sont pas d’accord, c’est un fait, et de longue date. Au départ déjà, l’épidémiologiste, d’un tempérament discret, ne tenait pas spécialement à présenter lui-même les bilans journaliers, même si c’est sa propre cellule qui les réalise. A en croire une source hospitalière, les deux responsables se sont étripés sur la question du déconfinement dont ils ne partagent ni le timing ni les modalités. La confrontation a commencé au sujet de la durée de la quarantaine pour les Marocains en cours de rapatriement de l’étranger où ils sont coincés depuis le mars dernier. Le ministre est partisan pour un isolement de 9 jours tandis que le directeur de l’épidémiologie propose de porter le délai à 14 jours. Du haut de sa longue connaissance des épidémies, M. Youbi a défendu mordicus son idée, arguant que 9 jours ne sont pas suffisants pour détecter le virus qui pourrait, ainsi continuer à se propager parmi la population…Le ton entre les deux hommes serait subitement monté d’un cran, faisant vibrer les parois du ministère et ils étaient à deux doigts d’en venir aux mains. La vision du directeur traduit un souci purement épidémiologique centré sur la seule courbe des contaminations qu’il voudrait faire baisser de manière importante en cassant la chaîne des infections avant d’organiser le déconfinement du pays. Tel n’est pas l’avis du ministre qui estime, tout comme l’argentier du Royaume Mohamed Benchaaboune et son collègue du Commerce et de l’Industrie Moulay Hafid Elalamy que la situation épidémiologique est devenue suffisamment maîtrisable, au vu de la baisse du nombre de cas positifs, pour accélérer la reprise de l’activité économique qui commence à urger.
Recevable sur le plan sanitaire, l’approche précautionneuse de M. Youbi a cependant le défaut d’être ruineuse sur le plan économique. Une approche qui n’arrange pas évidemment les affaires du gouvernement dont le ministre défend le point de vue qui doit vite amorcer la sortie du confinement qui a coûté plusieurs dizaines de milliards au pays alors que le compteur des décès affiche au mercredi 3 juin à peine 206 morts… D’ailleurs, la décision de prolonger le confinement jusqu’au 10 juin a été inspirée par M. Youbi et que plusieurs membres de l’exécutif, à commencer par M. Benchaâboune, sont loin de partager. D’où la sortie publique de Moulay Hafid le lendemain de l’annonce de cette décision, exhortant les usines de reprendre leur activité juste après Aïd El Fitr… Cela fait un peu désordre.
Lors de leur échange vif qui n’a rien de personnel, Khalid Aït Taleb aurait fait comprendre à Mohamed Youbi qu’il a outrepassé ses prérogatives de fonctionnaire et que le timing du déconfinement ainsi que la durée de la quarantaine pour les Marocains de l’étranger relèvent de la responsabilité politique du ministre et du gouvernement. Une remarque qui aurait fait sortir M. Youbi, d’habitude calme, de ses gonds. D’où sa menace, plus une réaction épidermique qu’une décision mûrement réfléchie, de démissionner de son poste. «M. Youbi est un homme compétent qui craint qu’un déconfinement hâtif et non maîtrisé ne se traduise par un rebond des contaminations », explique un proche du ministre qui ajoute : « M. Aït Taleb n’a pas aimé que M. Youbi empiète sur ses attributions en lui dictant la marche à suivre qui relève globalement du gouvernement ». En somme, un conflit professionnel tout ce qu’il y a de normal et sain dans un ministère que plus de trois mois de coronavirus a mis les nerfs à rude épreuve…