La première guerre mondialisée, nous y voilà!

La guerre en Ukraine est porteuse de multiples insécurités...

Victime collatérale au même titre que bien d’autres pays de ce conflit d’un autre âge qui se déroule à environ 4 000 km de ses frontières, le Maroc en paie les conséquences au prix fort.

Devant la persistance de l’agression poutinienne contre l’Ukraine et son peuple héroïque, certains craignent le pire : l’effet contagion qui ferait basculer le monde par le jeu des alliances dans une troisième guerre mondiale. Et si au fond la planète y est déjà entrée sous forme de ce qui ressemble à une guerre par procuration d’un autre genre entre la Russie et l’Occident (principalement les États-Unis) de plus haute intensité que celle qu’ils se livrent en Syrie depuis plusieurs années. Comme au temps de la guerre froide, l’empire soviétique et les États-Unis se sont fait face sans jamais céder à un affrontement direct qui serait très dommageable pour la planète tout entière en raison de leur possession de l’arme nucléaire. Or, la puissance de feu hautement explosive du Kremlin ne s’est pas seulement limitée au théâtre des opérations stricto sensu ; son onde de choc s’est étendue aux quatre coins du globe où elle a fait exploser au-delà du raisonnable les prix des principales matières premières, notamment les hydrocarbures, les métaux, les céréales et les oléagineux, dont la Russie et l’Ukraine sont de gros producteurs mondiaux. Victime collatérale de cette folie guerrière, le Maroc paie le prix fort cette guerre fratricide qui se déroule à environ 4000 km de ses frontières. Face au renchérissement du coût de la vie, induit par ce conflit d’un autre âge, le gouvernement marocain s’est empressé, par la voix de son porte-parole Mustapha Baitas, de rassurer les Marocains – qui craignent pour leur pain quotidien- sur l’approvisionnement du marché national en blé.  

Risque de pénurie

« Ce conflit n’aura pas d’impact sur l’approvisionnement du marché national et la fourniture des denrées nécessaires », a-t-il expliqué lors d’un point de presse jeudi 24 février. Il est vrai que l’exécutif, conscient de la faiblesse pour cette saison de la récolte nationale en blé en raison de l’insuffisance des pluies, a  fait preuve d’anticipation en  important  en janvier et février des quantités importantes de blé correspondant à des réserves stratégiques de près de 5 mois. Si le prix du pain n’a pas augmenté dans le commerce grâce à la suspension des droits de douane sur les importations de cette denrée essentielle, le scénario du pire serait le retour du rationnement drastique des produits alimentaires que le pays a vécu dans la douleur entre 1940 et 1947, connu sous l’expression « Aâm Al boun » (l’année du bon).

Le pire se profile déjà pour les Européens pour lesquels la guerre de Poutine a le goût amer de la guerre froide au sens propre du terme ; puisque 43,6 % du gaz et 48,4% du pétrole importés dans l’UE proviennent de la Russie. C’est dire que le risque est grand de voir les populations du Vieux Continent, qui se chauffent essentiellement au gaz, dormir au cours de l’hiver prochain avec une tenue de ski pour ne pas mourir de froid dans leur sommeil ! Côté mobilité, les automobilistes européens vivant dans les pays non producteurs de pétrole, confrontés à la flambée des cours du baril,  paient plus cher, un peu plus de 2 euros  (contre 11 dirhams au Maroc), le litre de gazole dans les stations-service. D’où le refus des dirigeants des 27 de suivre les États-Unis et la Grande-Bretagne dans leur décision d’imposer un embargo sur les hydrocarbures poutiniens. Au Maroc, l’envolée des prix  du pétrole  fait saigner à la fois la poche des citoyens motorisés et les caisses de l’État, obligé de subventionner les transporteurs ( marchandises, voyageurs) pour atténuer  un peu la spirale de la vie chère provoquée en bonne partie par la hausse du coût du transport. Obtenu par raffinage de pétrole brut ou par extraction de gaz naturel, principalement à usage domestique sous forme de bonbonnes pour la cuisson des aliments, le butane a vu ses prix battre des records et fait du coup exploser la charge de compensation supportée par les caisses de l’État.  

Alors que le gouvernement a fondé la loi de finances 2022 sur un gaz butane à 450 dollars la tonne, le prix a été pratiquement multiplié par 2 sous l’effet conjugué de la reprise économique post-Covid et de la guerre en Ukraine. Il y a fort à craindre pour l’équilibre budgétaire, déjà malmenée par deux années de crise sanitaire, si cette tendance haussière vertigineuse devait se poursuivre. De quoi conseiller aux ménages marocains d’opérer un retour au bon vieux charbon de bois qui a l’avantage d’être moins cher, écologique et de produire une nourriture meilleure au goût ! A vos barbecues en terre cuite qui seraient en plus « healthy » avec un léger assaisonnement en huile d’olive de Beni Mellal ou d’Essaouira. Bannissez l’huile de table dont le prix a battu à son tour des records absolus au Maroc et en Europe qui importent leur tournesol d’Ukraine et de Russie dont les exportations mondiales représentent respectivement 53 et 30%.

La guerre en Ukraine fait craindre une crise alimentaire majeure du fait d’un risque de pénurie vu que plusieurs produits agricoles ukrainiens sont soumis à autorisation ou au système des quotas pour être exportés. Selon un décret pris dimanche 6 mars, une licence est désormais nécessaire pour exporter le blé, seigle, sarrasin, avoine, viande de volaille œufs, ou huile de tournesol. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), à un moment « où le monde est déjà confronté à un niveau sans précédent de famine, il est particulièrement tragique de voir la faim apparaître dans (un pays) qui a depuis longtemps été le grenier de l’Europe ». La situation est d’autant plus préoccupante qu’avec l’arrivée du printemps, la période des semis pourrait être fortement compromise par la persistance de la guerre. Tout en révélant au grand jour l’ampleur de la dépendance d’une bonne partie de la planète des produits énergétiques et agricoles russo-ukrainiens, cette dépendance interroge sérieusement la stratégie agricole nationale qui dépend des précipitations pour la récolte en céréales.

Perspicacité royale

Discours prémonitoire de S.M le Roi Mohammed VI, prononcé le vendredi 8 octobre 2021 devant le Parlement ! Dans son allocution, le souverain a appelé à la « création d’un dispositif national intégré ayant pour objet la réserve stratégique de produits de première nécessité, notamment alimentaires, sanitaires et énergétiques et à la mise à jour continue des besoins nationaux en la matière ».  Le plaidoyer royal prend toute son importance avec la sale guerre de Poutine contre l’Ukraine et son peuple et sa spirale infernale de hausses vertigineuses des produits pétroliers et céréaliers qui percute durement l’économie nationale, fait saigner des finances publiques déjà éprouvée par deux années de crise sanitaire et aggrave le taux d’endettement du pays. Côté énergie (Pétrole, charbon, gaz et fuel), le Maroc est très dépendant des importations à hauteur de 98% et c’est pour en réduire le poids qui représente une facture salée que le Royaume s’est lancé depuis plusieurs années dans les énergies renouvelables, solaire et éolien. L’objectif fixé pour 2020 d’une part de 42% dans le mix électrique devrait être atteint en 2022 et celui de 52% en 2025 au lieu de 2030. Selon de nouvelles prévisions, la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique sera de 64,3 % en 2030, avec une puissance installée de 20.254 MW. En attendant, le Maroc subit encore une fois de plein fouet une envolée spectaculaire du prix du baril qui alimente la hausse des prix des denrées alimentaires et la grogne sociale. Sur ce plan, le Maroc, troisième consommateur africain de blé derrière l’Égypte et l’Algérie avec plus de 10 millions de tonnes de cette céréale par an, s’en sort avec un soutien conséquent du prix du blé par la suspension des droits de douane. Loin d’atteindre l’autosuffisance, le Maroc importe en moyenne environ 5 millions de tonnes de blé même si la récolte céréalière est bonne. Les évolutions erratiques des cours mondiaux, inhérentes au recours aux importations des produits de grande consommation comme les céréales et les oléagineux, sont préjudiciables aux économies fragiles comme la nôtre.  Il y a assurément pour les décideurs marocains une grande leçon à tirer de ces retournements de conjoncture spectaculaires résultant d’une instabilité mondiale multiforme, qui préfigurent des désordres économiques et géopolitiques de grande ampleur.

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