Le décrochage démarre en douce

Menace sérieuse sur l’emploi via des plans sociaux non déclarés. Le gouvernement doit réagir.

Opérant au Maroc dans le secteur de la relation client, un groupe etranger a mis en route en catimini un plan social d’envergure.

Il s’en passe des choses dans le secteur de l’offshoring au Maroc. Le groupe espagnol Konectanet, qui a acquis récemment Comdata, vient de gratifier son personnel, a quelques semaines de l’expiration de 2023,  d’un drôle de cadeau de fin d’année. Celui-ci se présente sous forme d’un document de rupture de contrat de travail à l’amiable que les employés ont été invités àrestituer en trois exemplaires  après signature et légalisation  au département RH de l’entreprise . Sauf que ce formulaire en arabe, intitulé «accord conclu dans le cadre d’une réconciliation préliminaire définitive » portant l’emblème du ministère de  de l’Inclusion Économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des compétences, ne mentionne pas l’essentiel. A savoir le montant  des indemnités que le salarié est censé percevoir en échange de la rupture du contrat de travail. Difficile  de ne pas  soupçonner  de la part de l’employeur une tentative d’entourloupe puisque la légalisation dans ces conditions par le collaborateur  de  de sa signature équivaut à un chèque en blanc. Dès lors, le patron  pourrait mettre dans la case vide le montant qui lui plaira. Agissant de bonne foi ou péchant par  manque discernement, certains salariés ont tout de même  légalisé l’imprimé en question sans se mettre d’accord à l’avance avec son patron sur la somme qui lui sera versé… Chapeautant  plusieurs centres d’appel notamment à Casablanca sous diverses enseignes (B2S, Data Base Factory, CCA International, Grupo Konecta Maroc) actifs notamment  dans le domaine de la gestion de la relation client, le groupe Konectanet a lancé ainsi  en catimini un plan social non déclaré dont l’ampleur n’est pas encore connue. Selon une source proche du dossier, la réduction des effectifs toucherait principalement  le middle management, les fonctions support ainsi que les comités qualité. En entourant du plus grand secret son plan de licenciement, le groupe cherche à éviter le scandale que représente son projet de destruction des emplois qui mettra à la rue plusieurs dizaines  de personnes…Ce qui viendra aggraver le chômage des jeunes déjà élevé au Maroc pour les raisons que l’on sait. Pour un scandale, c’en est véritablement un. Car  l’offshoring, cette délocalisation de certaines activités vers des pays comme le Maroc, trouve sa principale, sinon unique, raison d’être dans les coûts de production moins élevés offerts par les pays hôtes de ces transferts d’activités. En échange de l’embauche d’une main d’œuvre corvéable à merci pour des salaires de misère, les opérateurs d’externalisation des services bénéficient d’une batterie de mesures incitatives. Parmi lesquelles figurent une exonération totale de l’impôt  sur les sociétés  pendant cinq ans et un taux d’imposition réduit après la fin de cette période, un remboursement sur le crédit TVA,  exonération de taxes sur  les biens d’investissement et autres intrants.  

Le gouvernement doit agir rapidement pour  mettre fin aux ruptures de contrats de travail dans le secteur de l’offshoring, porteuses d’une aggravation du chômage des jeunes.

Le programme « Tahfiz »  offre  dans la limite de 10 employés sur une année l’exonération de l’IR plafonné à 10.000 DH. Côté formation, l’Anapec finance à hauteur de 70% les programmes de formation au profit des salariés des opérateurs en question. Ces derniers, quand ils sont  installés dans les P2I ( plateformes industrielles intégrées),  bénéficient, cerise sur le gâteau, d’une contribution aux frais de la formation à l’embauche et de la formation continue de chaque nouvelle recrue sur une période de 3 ans. Le contrat insertion offre un potentiel de privilèges tout aussi délicieux en les dispensant de plusieurs charges : les cotisations à la CNSS au titre de l’AMO, la part patronale de la couverture sociale et de la taxe de la formation, professionnelle (TFP) pendant 12 mois,  et exonération  à hauteur de 6000 DH par mois des charges CNSS, taxe de la formation professionnelle, IR sur une période de stage de 24 mois. Que demande le peuple ? Avec autant de cadeaux inestimables et inespérés, Moulay Hafid Elalamy a gâté l’offshoring dans le cadre du Plan Emergence .
En couvrant ce secteur de cadeaux fiscaux et autres exonérations sociales, Celui qui a présidé aux destinées du ministère du Commerce, de l’Industrie, de l’Investissement et de l’Économie numérique entre 2013 et 2021 a aussi  et surtout favorisé son business de relation client  qui dans le cadre de son alliance en 2019  avec son partenaire depuis 2004, le groupe allemand  Bertelsmann,  a donné naissance  à une entité commune du nom de  Majorel.  Laquelle a  été rachetée  en avril 2023 par  Teleperformance,  le  leader mondial du secteur  pour  la bagatelle de 3 milliards  d’euros. Le jackpot. Voilà un homme  qui ne perd jamais le fil…de ses propres intérêts et qui a vendu ses billes au bon moment… Car
le plan social secret mis en route par le groupe Konecta préfigure un grand décrochage  dans  l’outsourcing marocain   qui  revendique quelque 150.000 emplois. Ces emplois sont aujourd’hui menacés en raison de l’apparition de destinations concurrentes socialement  moins disantes que le royaume mais aussi et surtout à cause de changements majeurs induits par l’évolution rapide du paysage technologique du fait notamment de l’intrusion brutale de l’intelligence artificielle  dans de nombreux métiers. Dans le secteur de la relation client, des agents  robotisés  fournissent  déjà un service  jugé plus rapide et plus fiable que celui des téléopérateurs humains en répondant à toutes les questions de leurs interlocuteurs dont ils arrivent même à détecter. En plus, ces machines offrent l’immense avantage de bosser gratuitement et sans risque de faire ni  grève ni grève de zèle.
C’est dire que l’IA est le nouveau gisement que compte exploiter à fond les opérateurs de l’offshoring au Maroc après avoir pressé comme un citron les ressources humaines en profitant d’une multitude d’avantages exorbitants que rien ne justifie a priori. Les employés humains sont bien partis pour être remplacés par des algorithmes au nom de la ritournelle de la réduction des coûts et de la compétitivité. Le gouvernement doit agir rapidement pour  mettre fin aux ruptures de contrats de travail dans le secteur de l’offshoring, porteuses d’une aggravation du chômage des jeunes.

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