Les architectes veulent plus de briques

La reconstruction s'annonce problématique...

A peine le groupe Al Omrane a-t-il lancé son appel à manifestation d’intérêts, pour la reconstruction post-séisme, que les critiques fusent déjà dans le milieu des architectes qui se disent déçus, surtout côté rémunération. Explications.

Le cahier des charges établi le premier de ce mois par la holding Al Omrane, à l’attention des architectes désireux de participer à la reconstruction des régions sinistrées par le séisme du 8 septembre, ne fait pas l’unanimité.  Les griefs qui lui sont opposés ne sont pas d’ordre technique mais financier. D’abord, La rémunération proposée pour chaque chantier est  jugée  modeste: 3.000 dirhams TTC, en deux phases, une phase d’étude et une phase de suivi. La somme de 1.200 DH pour la première phase, payable uniquement après l’obtention de l’autorisation de construire, et 1.800 DH  TTC pour la seconde phase de suivi. Les  délais, ensuite: une assistance technique de l’architecte sur une durée de… 12 mois. On y parle aussi de nombre de constructions suivies par l’architecte, le groupement d’architectes ou la société d’architecte. En résumé, les architectes sont invités à tabler sur la quantité, et ce, seulement s’ils obtiennent l’autorisation de construire. Imaginez ici plusieurs architectes «candidatant» pour un seul chantier.
Et, finalement, soulignons que pour reconstruire les gens sont obligés d’avoir les autorisations nécessaires, concernant  environ 50.000 habitations démolies par le séisme. Pour la communauté des architectes, ou du moins la plupart de ceux que nous avons interrogés, il est hors de question de travailler pour des broutilles. Et la solidarité nationale, bon sang ? Celle dont ont fait merveilleusement  preuve la population marocaine et de nombreuses entreprises à l’égard des sinistrés ? La profession aurait pu apporter sa pierre à l’édifice de l’entraide en acceptant une rémunération symbolique… Dieu, la patrie et les victimes  leur en sauront  gré. Mais les intéressés ne l’entendent pas de cette oreille, qui voient dans le chantier colossal de la reconstruction une opportunité rêvée pour  décrocher de bons contrats…Tel n’est pas visiblement  le cas et les mécontents prédisent par conséquent  une reconstruction chaotique…
« Oussama Moukmir, professeur et entrepreneur spécialisé en construction écologique et parasismique est catégorique (il n’est pas architecte mais les chantiers et les gens du métier, ça le connait) » : « Comment voulez-vous qu’un architecte fasse le suivi de son chantier ? Il faut d’abord qu’il se déplace pour aller voir le chantier, il faut qu’il fasse une conception, un plan, etc. Et qu’il obtienne une autorisation via Rokhas, c’est-à-dire qu’il doit payer en plus 400 dirhams et quelques. Il va lui rester grosso modo 2500 dirhams hors taxe. Ensuite il faut qu’il suive le chantier, c’est-à-dire qu’il faut au moins 5, 6, ou 7 visites de chantier. Ça veut dire pour vous résumer les choses que c’est un architecte qui va payer de sa poche s’il veut faire du bon boulot. Ce n’est même plus du bénévolat, c’est un travail où les architectes vont investir dans des chantiers». Et que risque-t-il de se passer, dans les faits? «Etant donné la quantité de commandes potentielles, nous explique M. Moukmir, il y aura beaucoup d’architectes qui vont juste obtenir le permis de construire et puis c’est tout. Et ils laisseront les gens se débrouiller.
C’est quand même grave pour un territoire aussi sensible et fragile ». Et quand nous disons à M. Moukmir qu’il est tout de même encore possible que la bonne foi, le bon cœur et le patriotisme l’emportent contre l’avidité, avec pour résultat final un travail fait comme il faut, dans les règles de l’art, ce dernier n’est absolument pas convaincu : «Ces architectes gagneront moins qu’un architecte signataire. Et un architecte signataire c’est un architecte qui ne travaille pas, c’est un architecte qui ne fait que vendre entre guillemets son cachet à un technicien. Et cet architecte qui ne fait rien, il touche 5 ou 6.000 dirhams. Alors imaginez un architecte qui doit travailler alors qu’on ne lui donne en retour que 3000 dirhams TTC, c’est-à-dire 2.600 après paiement de l’autorisation via Rokhas.
Ça ouvre la porte à des choses vraiment très graves. Vous allez voir… » Il  aurait sans doute  mieux valu que ce soit dès le départ  un appel franc et direct à du bénévolat. Elie Mouyal, architecte spécialiste dans la construction traditionnelle en terre, livre sa vision des choses: « Le contrat-type proposé aux architectes et relayé par les instances ordinales démontre que la situation chaotique et les potentielles solutions du terrain sont ignorées au profit d’une reconduite (dans la zone de confort de tous) des mécanismes habituels en ville.

Architecte archi-inspiré !

Le système réglementé en cours a et continue de produire la ville moderne, à l’instar du laminoir qui forge des barres». Notre interlocuteur continue : « La réalité des habitats de l’Atlas, leur isolement physique dans des vallées profondes, et l’orientation identitaire réaffirmée par notre roi dès les premiers jours, ceci milite pour, à situation extraordinaire, qu’une approche globale et nouvelle, pragmatique, soit élaborée (par la nouvelle génération?) en dehors des sentiers battus. Imposer le cadre rigide du permis de construire à des gens qui n’ont pas de toit, pas de plans et actes cadastraux, qui ne lisent pas les plans, ce n’est pas responsable ».
« Nous autres hommes de l’art savons les biais que la division du travail introduit dans le processus de l’édification, même en auto-construction. Il faut renoncer à nos outils de plans établis en préalables car ils seront contre-productifs et nous ne pourrons pas, vu les distances et le manque de repères habituels à nos professions, faire en responsabilité tous les actes requis par nos lois. Et Elie Mouyal de livrer sa proposition : « Privilégions  un exercice d’assistance technique en accompagnement pas-à-pas des auto-constructeurs, laissés libres de leurs besoins et donc de leurs bâtiments. Ce dialogue au pied du mur, avec traçage, ficelles et chaux au sol, sera entendu s’il est conduit avec respect et sans ego. Nous devons apporter une aide à la décision sur place, introduire les dispositions de la loi au séisme rédigée spécialement pour les auto-constructeurs de terre et pierre, apporter les espaces et équipements d’hygiène sans polluer l’environnement, introduire l’isolation thermique pour éviter de brûler la forêt et milles autres améliorations simples à comprendre et faire adopter dans une démarche d’appui à l’individu et à son collectif (voisins, douar) ». On ne tarit pas d’éloges au sujet des habitations traditionnelles, alors il faut faire le pas et les accepter, telles qu’elles sont, et surtout telles qu’elles ont été conçues.
Ce n’est pas parce que ces habitations sont devenues une affaire nationale qu’il faut les encombrer de nouvelles nécessités administratives (car tout le monde sait à présent que nos regards sont pointés dessus et qu’on ne peut plus faire comme si on ne voyait rien…). Il faut du courage pour cela, certes, mais le réalisme facilite les choses : il suffit là-bas de construire comme cela se faisait avant, administrativement également. Admettre l’existence d’un génie, même sans diplômes ni bric-à-brac administratif officiel ! Ne pas renier l’histoire de ce style architectural dont tout le Maroc est fier et qui en attire, des touristes ! Tout en assistant les constructeurs en parallèle, afin d’améliorer leurs conditions de vie et prévenir les risques liés aux potentiels séismes futurs. Voilà ce qui nous semble le mieux pour le Haut-Atlas qui mérite une reconstruction digne de ce nom,  lancée sur des bases solides, avec au bout du processus un bâti respectueux du cachet local.

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