Les dates clés d’une entreprise de pompage scandaleuse…

Mohamed Al Amoudi le fossoyeur de la raffinerie de Mohammedia.

La Samir n’est pas une affaire économique. Sa privatisation relève d’une transaction politique conclue sous le Maroc ancien. Et c’est ce qui causa justement sa descente aux enfers.

1997 : Privatisation de la Samir, unique raffinerie du Maroc, au profit de Corral Holding Maroc appartenant officiellement à Cheikh Mohammed Al Amoudi. Celui-ci en devient l’actionnaire de référence contre la bagatelle de quelque 4 milliards de DH (Rachat de 67,7% de la Samir et 81,3% de la Société chérifienne des Pétroles (SCP) de Sidi Kacem). Une première tranche de 30 % de la Samir avait été déjà introduite en Bourse en mars 1996.

Né en Éthiopie en 1940 au sein de la diaspora hadramie, Al Ammoudi, naturalisé saoudien, est réputé être l’homme de paille de l’ex-ministre de la Défense saoudien, le prince Sultan Ben Abdelaziz Al-Saoud décédé en 2011, qui était un grand ami du pouvoir au Maroc.

2000 : Abderrahmane Saaidi, décédé en mai 2020, est nommé au poste de directeur général de la Samir. Conflit d’intérêts criant car c’est lui qui a supervisé le processus de la cession de la Samir en tant que ministre de la Privatisation.

Le nouveau repreneur s’est engagé dans le cahier des charges de la privatisation à réaliser au cours des cinq premières années un programme d’investissement d’un montant de 6 milliards de DH pour moderniser les installations de raffinage (1 milliard de DH pour la raffinerie de Sidi Kacem et 5 milliards pour celle de Mohammedia où devait être installée une unité d’hydrocraquage visant à transformer le pétrole brut en essence, kérosène, carburéacteur ou diesel). En échange, le gouvernement s’engage sur la protection du monopole pétrolier de la Samir par l’application de droits de douane sur les importations de pétrole par les distributeurs de façon à ce qu’ils soient obligés de s’approvisionner auprès de la Samir.  Pas un seul centime ne sera débloqué par les dirigeants saoudiens pour cette mise à niveau, et les pouvoirs publics, fait encore plus curieux, n’interviennent pas non plus pour obliger le nouveau repreneur à respecter ses engagements. Or, ce dernier avait largement les moyens de mettre en route le programme d’investissement en question, obligatoire et non facultatif, puisqu’il a bénéficié pendant 5 ans (depuis sa privatisation en 1997 jusqu’à juillet 2002) d’une structure de prix très favorable basée sur un coefficient d’adéquation fixé à 6,5%. Objectif : lui permettre justement d’exécuter le plan de développement sur lequel les nouveaux actionnaires se sont engagés formellement.

2002 : Le secteur national des hydrocarbures se prépare à sa libéralisation censée entrer en vigueur cette année-là conformément au contrat de privatisation de la Samir. Ce qui implique une réduction des droits de douane sur l’importation des produits raffinés et la non-obligation pour les distributeurs d’acheter les produits raffinés de la Samir. Surtout que les normes marocaines de qualité du gasoil sont devenues contraignantes mais que l’outil de production obsolète du raffineur ne peut pas assurer, faute justement de sa modernisation. Visiblement, Al Amoudi qui traîne des pieds cherche à gagner du temps pour continuer à bénéficier d’un monopole précieux qui ne cadre pas avec son statut d’entreprise étrangère. Or, dans sa tête, la Samir est une belle vache à lait qu’il doit traire indéfiniment jusqu’à la dernière goutte en faisant miroiter aux pouvoirs publics un plan d’investissement virtuel.

Toujours en 2002, les patrons de la Samir annoncent publiquement leur intention d’injecter 12 milliards de DH pour mettre à niveau les installations du raffinage. Mais en coulisses ont fait pression sur le gouvernement en conditionnant la réalisation de cet investissement à un report de 2 ans de l’échéance de la libéralisation du marché des hydrocarbures. En novembre de la même année, un incendie ravage la raffinerie de Mohammedia et porte le coup de grâce à un outil de production déjà mal en point. Pour éviter la pénurie, le gouvernement suspend les droits de douane sur les importations des produits pétroliers, ce qui a permis aux distributeurs de s’approvisionner directement sur le marché international pour pallier la défaillance de la Samir. Du coup, les relations entre Samir et les distributeurs deviennent tendues. Ces derniers ne sont plus obligés d’être les clients dociles du raffineur monopolistique surtout que les produits pétroliers raffinés importés sont moins chers et de meilleure qualité que ceux traités localement.  

2006 : Ce n’est qu’à cette date que les dirigeants de la compagnie acceptent de rénover l’outil de production. Al Amoudi fait financer l’investissement, 6 milliards de DH, non pas par des fonds propres, mais via des prêts bancaires! Et les bénéfices pharamineux réalisés par la société, à raison d’1 milliard de DH par an ? Transférés à l’étranger, pardi ! En d’autres termes, Al Amoudi veut le pétrole et l’argent du pétrole et il arrive à ses fins au-delà même de ses propres espérances.

2011 : Les problèmes financiers de la Samir qui fait travailler un millier de personnes commencent à remonter à la surface avec un endettent qui flirte avec les 14 milliards de DH. Les banques de la Place dont fait partie la BCP commencent à s’inquiéter et exigent une restructuration de la dette. Une augmentation du capital d’un montant de 1,75 milliard de DH est validée en mai 2012, mais elle ne sera jamais effective. Alors que l’entreprise est déjà en faillite (frauduleuse), AL Amoudi et consorts parviennent curieusement à obtenir encore des facilités dont un crédit de douane, TVA et TIC de quelque 12 milliards de DH accordé par l’ex-ministre des Finances de l’époque, un certain Nizar Baraka, aujourd’hui en charge de l’Équipement et de l’Eau.

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Mohamed Al Amoudi avec son complice Jamal Ba-amer lors d’une visite du site de Mohammedia.

Décembre 2014 : La Samir annonce son premier « Profit Warning » sur l’exercice 2014 pour une perte de 2,5 milliards de DH ! Pourtant, la société avait réalisé un résultat net au premier semestre 2014 en progression de 57,5%, à 293 millions de DH !

La Samir qui affichait à l’époque une capitalisation de 3,35 milliards de DH avait réalisé en 2013, un chiffre d’affaires de 49,22 milliards de DH contre 55,03 un an auparavant pour un résultat d’exploitation négatif à -5 millions de DH. Les commissaires aux comptes de l’entreprise certifiaient-ils des comptes bidon en couvrant ce qui ressemble à une faillite frauduleuse ?  Le titre Samir s’écroule en bourse et perd environ 42% de sa valeur. Les petits porteurs trinquent ;  leurs économies passent par pertes et profits. Sans autre forme de procès.

En guise d’explication de cette troublante contre-performance, l’entreprise met en avant la baisse continue des cours du pétrole brut et des produits raffinés. Comme solution pour limiter les dégâts,   les dirigeants optent pour « la réduction du niveau des stocks, la maîtrise des risques de change et la mise en place d’instruments de couverture contre les fluctuations des cours des matières premières ».

Février-avril 2015 : L’entreprise, soumise à un pompage infernal de ses ressources, signe à cette époque un accord « murabaha » (produit de la finance islamique) d’un montant de 235 millions de dollars avec la Société Internationale Islamique de Financement du Commerce, filiale de la Banque Islamique de Développement. La BCP met également la main à la poche et accorde au raffineur défaillant un crédit de refinancement à long terme de 1,2 milliard de DH. Le fonds américain Carlyle, lui, consent à son tour une facilité de 350 millions de dollars pour mener ses activités d’import du brut.

Août 2015 : Après avoir empoché cette montagne d’argent, Al Amoudi s’offre le luxe d’annoncer brutalement l’arrêt de la production de la Samir. Cette décision unilatérale ressemble à une nouvelle tentative de chantage de la part de Al Amoudi, visant à tirer encore le gros lot : obtenir un abandon des créances bancaires et douanières qui se chiffrent à plus de 40 milliards de DH. Visiblement, le Saoudien aux méthodes de truands, qui a vidé la Samir de substance avec la complicité de son homme lige Mohammed Baamer, DG de la Samir, n’est pas encore rassasié. Mais cette fois-ci les autorités marocaines sont décidées de ne pas céder à ses pressions qui lui ont permis de faire de la Samir sa vache à lait. Un événement de taille, qui s’est produit quelques mois plus tôt, est à l’origine du changement d’attitude des décideurs marocains envers Mohammed Al Amoudi et sa bande.  Le 23 janvier 2015, le Roi saoudien Abdallah décède et cède le trône à son demi-frère le prince Salmane alors âgé de 79 ans. Du coup, Mohammed Al Amoudi, jusqu’ici proche des cercles du pouvoir du monarque défunt perd ses appuis. Le clan des Soudayris, qui tient désormais les manettes du régime, ne tardera pas à opérer la plus grande purge de l’histoire du Royaume Wahhabite conduite par le fils du Roi Salmane, Mohammed Ben Salmane, dit MBS : La mise en détention en novembre 2017, justifiée par la lutte anti-corruption, d’une brochette de milliardaires, princes et hommes d’affaires issus ou proches des clans rivaux. Dans le lot figure Mohammed Al Amoudi dont l’arrestation est un signe de sa disgrâce !  

Décembre 2015 : Ayant compris qu’il ne peut plus pomper la boîte comme il l’a fait jusqu’ici, Mohammed Al Amoudi se résigne à déposer auprès du tribunal de commerce de Casablanca une demande de règlement à l’amiable avec ses créanciers.  

21 mars 2016 : Comme il fallait s’y attendre, le juge ordonne la mise en liquidation judiciaire de la Samir.

Le directeur général de la Samir, Mohammed Baamer, l’exécutant des basses besognes de son maître, quitte le Maroc en direction de l’Arabie Saoudite. Sans être inquiété le moins du monde. On le serait pour beaucoup moins que ce qu’il a commis comme actes délictueux ; entre abus de biens sociaux et malversations financières, tout au long de sa gestion désastreuse de la Samir. Quant à Mohammed Al Amoudi, il a sous-traité son affaire d’escroquerie du siècle à son équipe d’avocats marocains.

22 août 2018 : Comme l’État marocain n’a tenté aucune action judiciaire contre le fossoyeur de la Samir, celui-ci prend les devants et saisit le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) pour réclamer à l’État marocain la bagatelle de 14 milliards de DH en guise de dommages-intérêts ! Le fonds US Carlyle porte plainte à son tour auprès de la même juridiction pour obtenir la somme de 400 millions de dollars qui correspond selon ses dires  à sa cargaison de pétrole bruit et raffiné  entreposée dans les citernes de la Samir.  C’est qui finalement le dindon de la farce dans ce monde de brut ? Alors, cette question à 500 barils de brut: La Samir est-elle une affaire économique ou une transaction politique ?

Tout au long de leur emprise sur l’entreprise,  les patrons saoudiens de la Samir avaient  curieusement les mains totalement libres pour agir à  leur guise. Piétiner comme un chiffon les engagements de modernisation de l’appareil de production. Plomber les banques de la place, l’administration des douanes et une kyrielle de fournisseurs. Sans jamais injecter, par-dessus le marché, le moindre dirham  des bénéfices faramineux réalisés. Et cerise sur le gâteau, traiter les autorités marocaines de manière pour le moins cavalière en espérant encore les délester de 14 milliards de DH. Et ce après avoir pompé  dans l’impunité totale les caisses de la pauvre Samir comme ce n’était pas permis…Scandale sans nom, le cas Samir est à rebours des attributs de l’investissement économique conventionnel et présente le visage hideux de la prédation sauvage. En somme, Al Amoudi et sa clique ne considéraient pas la Samir comme un investissement économique mais comme un butin de guerre. Autre question à 10.000 barils de pétrole cette fois : Une vieille vache aux mamelles usées et épuisées à force de traite abusive jusqu’à la maltraitance, puis abandonnée en rase campagne pendant plusieurs années, peut-elle objectivement être sauvée et donner encore du lait avec un meilleur rapport qualité-prix ?

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