Au Maroc, les employés des call centers vivent une détresse sociale et professionnelle incroyable. Ils sont menacés par plus grave que ...

Au Maroc, les employés des call centers vivent une détresse sociale et professionnelle incroyable. Ils sont menacés par plus grave que le Covid-19, le virus de la rapacité de leurs patrons qui s’échinent à les faire travailler dans un contexte de très faible protection. Enquête.    


Le droit de retrait qui permet à un travailleur de se retirer d’une situation professionnelle présentant à ses yeux des motifs pouvant représenter un danger pour sa santé  existe dans plusieurs pays occidentaux. Comme la France, par exemple, où de plus en plus de salariés exerçant notamment dans la grande distribution ont fait valoir le droit de retrait  pour cause d’insuffisance de mesures d’hygiène et de protection contre le coronavirus.

Au Maroc, le droit de retrait n’existe pas dans la législation du travail.  Ce qui se traduit par ceci dans les faits :  Soit tu continues à travailler à tes risques et périls, soit tu es viré comme un malpropre. C’est la situation périlleuse à laquelle  sont confrontées les petites mains de certaines activités qui sont en contact direct avec les clients. Ainsi des supermarchés où les mesures de protection déployées se limitent dans le meilleur des cas à du gel hydroalcoolique et à des masques à l’efficacité douteuse. Egalement en première ligne dans le combat de la  maladie, les soldats de l’ombre que sont le personnel soignant dans les hôpitaux et les forces de l’ordre appelées à faire respecter les mesures du confinement, sont tout aussi moins protégés.

La situation est non moins problématique dans d’autres secteurs comme celui des centres d’appel dont les propriétaires ont usé de mille et une manœuvres pour continuer à s’enrichir sur le dos de leurs employés. Parmi celles-ci figure le recours aux congés soldes pour ceux qui  ne les ont pas encore épuisés et même les congés par anticipations pour 2021  ! Résultat : ces bataillons de confinés en vacances à domicile ne peuvent plus réclamer leur droit au repos si la situation revient à la normale. Les combinards du combiné ne manquent pas d’imagination pour continuer à essorer leur personnel même en temps de crise gravissime.    

Ces stratagèmes, que leurs auteurs ont vendu comme une faveur accordée aux pauvres employés résignés, ressemblent fort à bien aux tenanciers des call centers dont les pratiques professionnelles relèvent de l’esclavagisme moderne. En profitant  de la crise sanitaire du coronavirus pour réduire les effectifs sans bourse délier, ils se sont assurés de gagner sur toute la ligne alors même que leur business a subi un ralentissement à cause de la pandémie. Le renvoi du gros des effectifs pour congés annuels forcés a eu comme effet immédiat de diminuer de manière drastique le nombre des téléopérateurs sur les plateaux. Place alors aux caméras pour montrer sur leurs sites internet des gros bonnets du secteur, des lieux de travail propres et sécurisés où les mesures d’hygiène et de distanciation sociale sont respectées. Le rêve quoi! Certains opérateurs comme Majorel et Comdata qui ont  fait le choix de faire travailler leurs employés sur les plateformes malgré les risques qu’ils encourent n’hésitent pas à multiplier les communiqués  payants dans certains médias. Objectif :  vanter de prétendues mesures anti-Covid-19 telles que la prise de température des forçats du télémarketing, les couloirs d’attente avec espaces de sécurité ou l’aseptisation tous les soirs des lieux de travail…L’épanouissement au travail forcé et risqué à l’heure du coronavirus! En ces temps de méfiance sociale et professionnelle poussée à son paroxysme, les centres d’appel au Maroc ont réussi le tour de force d’installer une ambiance de travail apaisée et pas anxiogène pour un sou. Alléluia !    

Cette mise en scène n’a pas trompé les syndicats des centres d’appel de nombreux pays (Maroc, France, Espagne, Portugal, Tunisie, Cameroun) qui ont lancé un appel intitulé   « Coronavirus, nos vies valent plus que leurs profits ». Dans cette pétition datée du 27 mars, traduite dans diverses langues, les signataires dénoncent des conditions de travail favorables à la propagation du virus. « Depuis plusieurs semaines, des millions de travailleur-ses à travers le monde, continuent de travailler dans leurs centres d’appels afin de prendre des appels voire d’en émettre pour vendre des abonnements téléphoniques ou des assurances… », lit-on dans le préambule de cette pétition qui tire la sonnette d’alarme: « Chaque jour, les salariés du secteur sont obligés de se déplacer pour travailler au risque d’attraper le Coronavirus ou de le transmettre…


Détresse sociale


Le but ? Assurer le service client, vendre ou animer les réseaux sociaux… pour les UBER, Google, Engie, Orange et autres Amazon, Air B’N’B, Bell Canada ». Et de s’interroger : en quoi, au vu de l’urgence sanitaire « que nous vivons », le travail des téléopérateurs est-il essentiel ? Il est essentiel pour continuer à enrichir les patrons de ce business dangereux grâce aux petites voix inaudibles du très lucratif marketing téléphonique.  Les syndicats UGTT (Tunisie, Sud-Solidaires (France), UMT (Maroc), CGT (Etat espagnol), SYNTO (Cameroun), STCC (Portugal) dénoncent la mise en danger de  la vie de leurs  collègues et de leurs  familles « en continuant à produire un service sans sens et sans sécurité » tout en réclamant la mise en place du télétravail « partout où le réseau et les conditions le permettent ». Pas sûr que ce cri de détresse soit écouté par ceux qui  ne répondent qu’à l’appel du surprofit… Au Maroc, le travail à distance a été adopté par certains centres d’appel sans que les patrons donnent à leurs employés les moyens de travail nécessaires, notamment les outils logistiques adaptés (téléphone, ordinateur…)  et la prise en charge d’une bonne connexion internet. Livrés à eux-mêmes dans des conditions déplorables, sans aucune garantie sur leurs salaires des mois à venir, dépourvus de la possibilité de faire valoir leur droit de retrait,  ils sont nombreux au Maroc et sous d’autres cieux à  vivre une grande détresse sociale. Entre le risque de choper le coronavirus et celui de perdre leur emploi déjà crevant et précaire, ils n’ont jamais été propulsés aussi dangereusement en première ligne par l’irresponsabilité de leurs employeurs.

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