La chirurgie esthétique ne fait pas que des miracles.

Dans la course folle à la perfection du corps, pas de limite éthique qui vaille. Ceux qui sont prêts à tout pour soigner leur paraître...

Dans la course folle à la perfection du corps, pas de limite éthique qui vaille. Ceux qui sont prêts à tout  pour soigner leur paraître se lancent à corps perdu dans des interventions qui tournent souvent au massacre...

Il a fallu une émission de TV, diffusée dimanche 7 février sur TF1 et consacrée à la chirurgie esthétique au Maroc, intitulée, « Maroc, la folie du bistouri » pour que les chirurgiens plasticiens du cru sortent de leur mutisme via la Société marocaine de chirurgie plastique réparatrice et esthétique (SOMCPRE). Dans un communiqué rendu public, cette association a exprimé son indignation en pointant « la représentation qui a été donnée dans ledit reportage » qui à ses yeux ne reflète pas « la réalité de la chirurgie plastique réparatrice  et esthétique  telle qu’elle est exercée au Maroc ». Les membres de ce syndicat ont également indiqué exercer leur métier dans le respect des « règles de sécurité » en vigueur dans le monde. Passons sur les clichés et autres stéréotypes véhiculés dans ce reportage qui a fait le buzz et  dont les médias français ont du mal à se défaire dès qu’il s’agit d’aborder un sujet en relation avec le Royaume. Affaire de  paternalisme post colonial certainement !

Ceci étant, le Maroc n’a pas échappé à la mode de la chirurgie esthétique qui n’est plus l’apanage de la société libanaise et du monde occidental. L’occidentalisation des esprits et des modes de vie, conjuguée à la médiatisation de cette industrie de la beauté, a contribué à son essor spectaculaire au Maroc. A telle enseigne que la pratique ne se limite plus seulement à une clientèle select formée essentiellement des stars et des femmes de la bourgeoisie. Dans la course au corps parfait où  toute considération morale ou religieuse est mise à part, rien n’est trop chère pour refaire sa poitrine, faire grossir ses lèvres ou s’offrir une MBL, pour Moroccan Butt Lift, une opération chirurgicale popularisée au Brésil, baptisée Brazilian Butt Lift (BBL). De plus en plus prisée par des jeunes filles issues de divers milieux sociaux y compris des milieux modestes qui rêvent d’un postérieur proéminent dans une silhouette longiligne, cette technique consiste à prélever de la graisse dans une autre partie du corps, généralement le ventre, pour l’incorporer dans les fesses.  

« Non, il n’est pas nécessaire d’avoir le nez de Cyrano pour éprouver le besoin de se cacher aux yeux du monde (…). Changer de nez peut alors tout changer », clame en préambule le site d’une chirurgienne esthétique de Marrakech qui ajoute : « On peut pratiquer cette intervention à partir de 16 ans. Beaucoup d’adolescents vivent très mal les anomalies de l’image corporelle (…) ». Nous sommes bel et bien dans la dictature du corps et surtout des apparences. Moins que par nécessité que par confort. Ainsi de la nymphoplastie ou labiaplastie qui correspond au nom médical de l'opération, réalisée sous anesthésie locale, consistant à réduire les petites lèvres (petites lèvres tombantes) du vagin. Pas besoin d’aller à l’étranger, désormais, ce genre d’opérations se fait au Maroc où les médecins spécialisés ont bien mesuré l’importance du filon. Une affaire juteuse.  

Corps parfait

Certains experts s'inquiètent de la demande grandissante sur de telles interventions. Selon eux, la diffusion notamment via les films X d’une norme esthétique provoque des complexes chez certaines femmes ou adolescentes. Certains sexologues considèrent que la réduction de ces zones très riches en capteurs sensitifs comporte des risques sur le plan des sensations. C’est pour cela qu’ils recommandent de limiter la prescription de cette technique aux seules femmes pour lesquelles la taille des petites lèvres représente un inconfort mécanique. Or la chirurgie esthétique s’accommode très peu de l’éthique et de la morale, même si la SOMCPRE a mis en avant dans son communiqué désapprobateur de l’émission de TF1 « une spécialité médicale régie par des règles éthiques et déontologiques ». La question est de savoir si ces règles sont respectées dans les faits dans ce qui ressemble de plus en plus à un marché qui obéit avant tout à la loi de l’offre de la demande. « Un praticien compétent et doté d’un sens éthique ne dit pas systématiquement oui à tous les désirs exprimés par sa ‘patientèle’ ». Il refuse l’opération lorsqu’il est convaincu que celle-ci ne répondra pas aux attentes de son client.  C’est pourquoi le médecin doit prendre le temps nécessaire pour expliquer les limites de la prestation demandée.

La chirurgie esthétique, qui vise à embellir un homme ou une femme,  ne fait pas que des miracles. Certes, elle enregistre des réussites mais aussi beaucoup de ratages qui sont plus retentissants que les succès dans les milieux des célébrités qui considèrent la chirurgie esthétique comme un accélérateur de carrière ou un argument de beauté incontournable. Passer sur le billard comporte, donc, de gros risques et l’impact sur la vie du sujet peut être terrible. Or, dans ce domaine, le chirurgien n’a pas obligation de résultat mais d’information et de moyens. Ailleurs, il est responsable des erreurs commises lors de l’intervention et doit agir pour les réparer. Les contentieux ( indemnisation, assurance, qualité des produits utilisés par le médecin …)  pouvant naître  d’une opération inaboutie sont souvent complexes.  

Au Maroc, ces questions ne se posent même pas. Les plasticiens font signer à leurs clients un simple formulaire de consentement alors que la chirurgie esthétique est loin d’être un acte banal et sans conséquence puisqu’il partage avec les autres actes chirurgicaux les mêmes complications (infections, saignements, problèmes de cicatrisation, troubles thrombœmboliques) censées être communiquées au préalable au patient. En plus d’une absence de garantie de résultats, le patient doit se préparer à un autre risque, celui de l’erreur médicale qui peut lui coûter la vie. Des drames pareils surviennent régulièrement y compris au Maroc où plusieurs patientes sont décédées au cours de ces dernières années. Le dernier accident en date est survenu en juin 2020 dans une clinique à Rabat et la victime était une blogueuse de 32 ans qui a été admise pour une liposuccion. Mourir suite à une opération aussi simple  n’est pas franchement  très esthétique…

Prestation marchande...

Mode en pleine extension, le tourisme esthétique a contribué à populariser les actes liés à cette discipline. Pour un éclat de jeunesse, une augmentation mammaire ou un visage sans rides, bien des gens n’hésitent pas à se rendre dans des pays qui ont développé ce genre de tourisme. Le Brésil, le Japon, l'Italie et le Mexique figurent parmi les principales destinations internationales de choix pour les chirurgies esthétiques. La Russie, l'Inde, la Turquie, l'Allemagne et la France complètent le top dix, selon la Société internationale de chirurgie plastique et esthétique (ISAPS). Se faire opérer en Tunisie, en Thaïlande ou au Maroc, a l’avantage d’être abordable ( Jusqu’à deux fois moins cher qu’en France par exemple). Dans ces pays, les cliniques touristiques offrent, histoire de booster leur business, des packages avec un prix « discount » sur une augmentation mammaire cumulée à une opération des paupières. Là où l’on voit que la chirurgie esthétique s’est libérée de règles éthiques pour se transformer en prestation marchande au même titre que les autres services touristiques… L’éthique c’est l’esthétique du dedans, avait dit Pierre Reverdy. Dans un monde de plus en plus régi par la dictature du dehors, cela relève de l’utopie…

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