CANETON FOUINEUR

Entre le plein potentiel fiscal et le financement des politiques publiques

L’éternel jeu d’équilibrisme
Hassan El Ktini
29/7/2021 16:28
L'impôt touche à plusieurs domaines stratégiques...

Le système fiscal n’est pas un simple aménagement des techniques d’imposition ; il est, avant tout, un fait moral et politique qui,...

Le système fiscal n’est pas un simple aménagement des techniques d’imposition ; il est, avant tout, un fait moral et politique qui, à ce titre, répond, à bien des égards, à des orientations stratégiques et des principes directeurs établis par le gouvernement en exercice. Tout système fiscal, appréhendé à un moment déterminé, est, ainsi, porteur d’un projet sociétal décliné aux plans économique, social et politique.

«L’histoire fiscale d’un peuple constitue une part essentielle de son histoire tout court » Le système fiscal n’est pas un simple aménagement des techniques d’imposition ; il est, avant tout, un fait moral et politique qui, à ce titre, répond, à bien des égards, à des orientations stratégiques et des principes directeurs établis par le gouvernement en exercice. Tout système fiscal, appréhendé à un moment déterminé, est, ainsi, porteur d’un projet sociétal décliné aux plans économique, social et politique. Néanmoins « la fiscalité n'est pas une construction abstraite, ni même un amoncellement de règles et techniques comptables, juridiques ou financières, mais l'expression d'un projet de société. Un système fiscal reflète une vision politique et se bâtit sur des principes d'équité sociale et d'efficacité économique ». La fiscalité n’est, en fait, que le reflet des frustrations refoulées et un amas d’idées croisées, traduisant l’ampleur des intérêts et d’enjeux politiques, économiques et sociaux, difficiles à faire cohabiter dans une seule structure.          

Ainsi, il serait vain de chercher des solutions toutes faites, ou de procéder à des approches d’extrapolation exogènes pour les acclimater avec le système fiscal marocain. Ce dernier est une construction prétorienne qui nécessite une réflexion pragmatique prenant en considération la spécificité de la société marocaine, afin de trouver une formule respectant le dosage nécessaire des différents objectifs assignés à l’impôt comme instrument de politique publique. A l’instar des autres systèmes fiscaux, celui du royaume n’échappe guère à cette règle. Cette approche, certes relativement statique, n’est pas dépourvue d’intérêt, du moment qu’elle permet d’évaluer la portée et l’enjeu budgétaire de l’impôt et son rôle prioritaire pour alimenter les caisses de l’État en ressources suffisantes et ce, pour permettre aux décideurs de mener à bien leur plan stratégique de développement. Ce même plan stratégique impose à l’État de pratiquer, en concomitance, une politique incitative, dépensière, cette fois ci, par le biais du même système fiscal censé collecter l’impôt et non le dilapider, en instituant un dispositif dérogatoire chargé d’octroyer des aides fiscales.

L’histoire du Maroc durant ces trois dernières décennies foisonne d’exemples de grandes réformes qu’a connues le pays. Mais parmi la plus marquante d’entre elles reste, sans doute, celle portant sur la réforme fiscale, un chantier toujours d’actualité, d’une grande envergure, compte tenu du rôle que joue l’impôt dans le financement des politiques publiques et en tant que levier incontournable au service du développement économique, social et environnemental du pays.

Ces trois décennies passées ont été très riches en événements ayant impacté la gouvernance et la gestion des finances publiques du Maroc. Plusieurs réformes majeures ont été entreprises dans le contexte d’une conjoncture internationale peu reluisante. La politique budgétaire prônée s’est assignée, comme objectif prioritaire, de concilier une stratégie de soutien à la croissance économique et le rétablissement progressif des équilibres macroéconomiques.

Afin d’y parvenir, les pouvoirs publics ont engagé un vaste projet de réformes, à la fois fiscales et budgétaires, dont la pierre angulaire est de renforcer les marges de manœuvre permettant une stabilité budgétaire et d’assurer, dès lors, la soutenabilité, à moyen terme, des finances publiques.

Les actions de pilotage menées, dans cette perspective, visaient, principalement, la maîtrise des dépenses combinées à la mise en place d’une bonne gouvernance de la gestion publique, ainsi que l’optimisation des ressources fiscales et le renforcement du contrôle. Ainsi, ce sont ces grandes lignes qui ont présidé à l’ensemble des vastes chantiers de réforme qu’a connus le Maroc contemporain, notamment, depuis les années 1980 à nos jours et dont le seul mot d’ordre était l’équilibre budgétaire des finances publiques. Ces dernières ont toujours été marquées par de nombreuses fragilités et difficultés majeures. Pis encore, les effets néfastes se sont accentués à cause des crises économiques planétaires conjuguées à une baisse de la demande mondiale. Ce qui a acculé les gouvernements à procéder, bon gré, mal gré, à l’accroissement massif des dépenses publiques dont le but principal était de financer la paix sociale.

Toute la problématique de la réforme fiscale au Maroc est, foncièrement, centrée sur l’enjeu budgétaire de l’impôt, afin d’adapter son rendement avec la croissance des dépenses publiques. A cet effet et afin de pouvoir rééquilibrer leur budget, les pouvoirs publics ont opté pour leur système fiscal en vue de donner du sang neuf à leurs finances publiques et stopper le creusement du déficit budgétaire qui ne cesse d’enfler, avec un seul mot d’ordre : la réforme fiscale.

Saga des réformes

Dans ce contexte, le Maroc n’a pas dérogé à la règle et, depuis plus de trente ans, le système fiscal n’a pratiquement jamais connu de trêve. Il a fait, souvent, l’objet d’interminables ajustements. Et la saga des réformes n’a pas l’air de prendre fin, et la toute dernière est, sans doute, celle envisagée par les pouvoirs publics suite aux recommandations issues des Assises nationales de la fiscalité tenues en 2019 , corroborée, tout récemment, par les orientations stratégiques préconisées par le nouveau Modèle de développement dans l’optique de mettre en place un système fiscal efficace, juste, équitable et équilibré couronnée, tout fraîchement, par l’adoption de la loi-cadre relatif à la réforme fiscale et dont l’un de ses objectifs phares est de renforcer la contribution de la fiscalité au financement des politiques publiques en vue d’asseoir un développement économique équilibré tout en préservant la cohésion sociale.

L'on fait de l’impôt ce que l’on veut, mais sa mission principale demeure celle consistant à mobiliser les ressources fiscales et collecter les fonds dont l’État a besoin pour faire face à ses différentes missions stratégiques. Cette fonction devient plus cruciale dans un contexte général d’envolée débridée des dépenses publiques. Pour y faire face et en l’absence d’autre procédé alternatif, l’attention se focalise, chaque année, sur la manne fiscale à collecter et les voies à emprunter pour l’accroître, afin de promouvoir le développement économique et social du pays.

Ainsi, l’impôt touche-t-il plusieurs domaines stratégiques pour le pays : santé, justice, sécurité et infrastructures collectives. Il constitue, à ce titre, un levier prioritaire de la croissance économique des pays émergents. Cette offre des différents biens publics implique de la part de l’État une attention particulière afin de renforcer sa capacité budgétaire par une mobilisation optimale de ses ressources de financement endogènes et exogènes, ces dernières lui permettant de faire face à ses charges publiques permanentes. Ainsi, les gouvernements se sont, souvent, trouvés confrontés à l’impérieuse nécessité de la mobilisation optimale des ressources financières, afin de pouvoir faire face aux besoins grandissants des populations. Le marasme économique n’a fait qu’empirer les choses, en révélant le degré de vulnérabilité des structures du pays. Il a été jugé crucial de déployer des efforts colossaux afin de développer des ressources financières propres et pérennes constituant le point nodal pour la promotion du développement économique et social.

Docteur en Droit Privé de l’Université Grenoble Alpes-France.

A cet effet, le souci majeur des gouvernements est d’arriver à un équilibre entre les dépenses et les recettes publiques. Pour ce faire, le recours à l’impôt et sa fonction la plus classique, celle consistant à obtenir les fonds nécessaires pour assurer le bien-être des citoyens, devient incontournable. Mais devant l’emballement incontrôlé des dépenses publiques, les décideurs sont en toujours en quête de l’optimum fiscal dont le produit de l’impôt collecté est en mesure de couvrir les différentes catégories de charges occasionnées, induites par la gestion de la chose publique. Par essence, la fiscalité est le garant de la cohésion sociale puisque les impôts financent des services publics touchant une variété de domaines chapeautés par l’État pour des raisons historiques, économiques ou politiques. Hormis ses prérogatives régaliennes intimement liées à la notion de souveraineté, l’apanage de l’État s’est vu largement étendu, et presque tous les secteurs sont touchés : industrie, agriculture, tertiaire, etc. En somme, l’État a pour mission de rendre aux citoyens de nombreux services qu’il finance, dans leur grande partie, à partir des ressources provenant de l’impôt. Par ailleurs, comme le salut ne peut venir que de la fiscalité, il a été question de procéder, chaque fois que le besoin se fait sentir, à la réforme du système d’imposition mis en place pour alimenter le budget de l’État. Toutefois, si la réforme fiscale a toujours fait l’objet d’un consensus national, les divergences autour de sa mise en œuvre sont légion. Ces désaccords sur l’approche pratique et opérationnelle à entreprendre traduisent, en fait une tendance générale, tendant à défendre la perpétuation des acquis pour une certaine catégorie de contribuables dits privilégiés.

Dérogations incitatives

Ainsi, une fiscalité dont l’ossature est fondée sur les dérogations incitatives et corporatistes tend, inéluctablement, à mettre les finances publiques dans une mauvaise posture. La problématique de la réforme fiscale au Maroc se résume, somme toute, à deux tendances diamétralement opposées. La première préconise l’universalité de l’impôt pour une meilleure vie en collectivité basée sur l’égalité devant l’impôt, alors que la seconde défend une fiscalité dérogatoire fondée sur l’octroi d’avantages fiscaux, au profit de structures corporatistes et de contribuables spécifiques. Partant de ce constat ayant accompagné les différentes réformes fiscales qu’a connues le Maroc, la dynamique des changements portant sur le système fiscal mis en place s’annonçait toujours très ardue et ne pouvait, en aucun cas, se faire sans heurt. Divers objectifs sont, généralement, assignés à la réforme fiscale. Mais l’objectif principal et prioritaire reste, sans doute, l’impératif budgétaire qui permet de mobiliser des ressources suffisantes pour égaliser la croissance des dépenses publiques et, chemin faisant, pouvoir amorcer une politique visant la baisse des taux d’impositions.

Ainsi, les gouvernements sont constamment en quête du schéma idéal qui leur permettrait d’adapter le niveau de leurs dépenses publiques la croissance des recettes fiscales. C’est un jeu délicat d’équilibriste difficile à réussir. Au Maroc, si les performances budgétaires de l’impôt ont été très satisfaisantes, la tendance haussière des dépenses de l’État reste encore loin d’être compensée par le seul rendement fiscal. En dépit de la multiplicité des rôles de l’impôt, la prédominance de sa fonction budgétaire demeure cruciale, au point d’être considérée comme le premier levier de croissance économique et de paix sociale. Devant cet état de fait, les efforts portent sur la quête de l’optimum fiscal capable de drainer suffisamment de ressources pour assurer les services publics essentiels tels que l'éducation, la sécurité et la santé.

Le Maroc, à l’instar de tous les pays en voie de développement, est confronté à une crise de financement due à un déficit budgétaire chronique. Pour y faire face et faute d’autres alternatives financières, le grand salut ne peut venir que de l’impôt. C’est la raison pour laquelle la réforme fiscale est toujours au cœur des débats publics. Mais, si la nécessité de ce chantier est devenue presque consensuelle, les modalités de sa mise en œuvre font, encore, l’objet de divergences. Chacun a, en fait, sa petite idée et tente de prôner un diagnostic, souvent, alarmant, mais, sans toutefois, aller proposer des idées novatrices et des solutions appropriées aux différentes problématiques fiscales, quand bien même le discours ambiant contient, en lui-même, des objectifs contradictoires et peu homogènes. Dans chaque argumentaire et le déploiement d’une proposition, il faut s’attendre à lire son opposé dans le même plaidoyer.

Le comble du paradoxe est, qu’au sein de ce même système fiscal qui a connu plus de trois décennies de réajustements considérables, et d’interminables changements, dont l'objectif prioritaire était de mobiliser davantage les ressources pour les adapter au rythme de la croissance des dépenses publiques, on ne rechigne pas à octroyer, à dessein, des avantages fiscaux appelés, conventionnellement, des dépenses fiscales. Ces dernières représentent une manne importante du produit de l'impôt que l’État renonce, délibérément, à collecter. Les définitions classiques de l’impôt se contentent de ne lui assigner pour finalité que le renflouement des caisses de l’État pour couvrir ses charges publiques : « il y a des charges publiques et il faut les couvrir ! ». Mais avec le temps ; l’impôt a évolué et s’est fait assigner une autre fonction consistant à appuyer l’économie (orientation) et à réduire les inégalités sociales (répartition). Pour ce faire, il est fait appel aux légitimes dérogatoires (incitations fiscales). Ainsi, parallèlement à sa fonction initiale qui consiste à drainer des ressources pour financer les politiques publiques, l’État s'implique fortement, par le truchement des incitations, pour booster l’économie et réduire les disparités des revenus.

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