Pourquoi le Maroc a peur…

Abdelkader Amara, ministre de l’Equipement, du transport.

Sans en expliquer les raisons, les autorités marocaines continuent à entretenir le secret autour de la date la réouverture  des frontières nationales. Une situation préjudiciable à plus d’un titre. Décryptage.  

Les pays de l’UE ont décidé de rouvrir les frontières de l’Union et de l’espace Schengen à partir de mercredi 1er juillet aux ressortissants issus de 15 pays. Cette short list comprend le Maroc, mais exclut les Etats-Unis. Quant aux citoyens chinois, ils peuvent voyager en Europe, à condition que Pékin accepte en retour de lever les restrictions de voyage pour les ressortissants de l’UE. Mais du côté marocain, c’est le silence radio qui continue à dominer. Aucun calendrier concernant la réouverture des frontières (aériennes, terrestres et maritimes) n’a été communiqué officiellement. Cette absence de visibilité empêche les étrangers de venir au Maroc et les nationaux de se rendre à l’étranger. La même interdiction frappe une bonne partie des Marocains bloqués à l’étranger qui n’ont toujours pas la liberté de prendre un avion et de rentrer chez eux. Seul est autorisé le rapatriement organisé sous la supervision du ministère des Affaires étrangères qui organise depuis plusieurs semaines le retour des Marocains vivant une situation de précarité sanitaire ou financière jugée critique.

Quant aux autres, qui ont les moyens de s’offrir un billet et un kit de dépistage, ils doivent encore prendre leur mal en patience. Impossible de retourner au bercail tant que l’espace aérien national reste fermé à la navigation aérienne. Mais qu’est-ce qui justifie ce qui ressemble à une ligne de prudence qui alimente depuis des mois un fort mécontentement et une colère grandissante parmi les Marocains piégés sous d’autres cieux? Tout se passe comme si le gouvernement attendait l’on ne sait quel feu vert pour  procéder à la réouverture des frontières, évitant d’assumer lui-même la décision du déconfinement des lignes maritimes, terrestres et de l’espace aérien. À en croire une source gouvernementale, les autorités marocaines craignent le risque d’importation d’une souche Covid-19 virulente via les flux des passagers d’Europe et d’ailleurs, ce qui pourrait faire grimper la courbe des contaminations et même des morts, jusque-là sous contrôle, en mettant sous pression les unités de soins nationales. Cette situation catastrophique, vécue par de nombreux pays occidentaux (Europe, Etats-Unis, Brésil…) où la courbe de mortalité a battu tous les records, le Maroc a pu l’éviter en adoptant une stratégie d’anticipation efficace, fondée en grande partie sur la fermeture précoce de ses frontières.

«Entreprendre de les rouvrir à un moment où la situation épidémiologique à l’échelle mondiale est loin d’être maîtrisée revient à faire prendre au pays des risques sanitaires inconsidérés», fait remarquer un haut cadre au ministère de la Santé. Alors, prudence même avec une mise en quarantaine de neuf jours imposée à ses ressortissants rapatriés d’Espagne, France Turquie et d’ailleurs ? « La quarantaine de neuf jours n’est pas une garantie infaillible que la personne n’est pas infectée. Les symptômes peuvent surgir au bout de deux semaines, indique un médecin.» «Et puis, le Maroc n’a pas les structures d’accueil adéquates et en nombre suffisant pour accueillir et suivre sur le plan sanitaire des milliers de voyageurs étrangers par jour», ajoute-il.

Question de moyens

Question donc de moyens et de logistique pour un pays dont le système de santé reste fragile comparativement à celui des pays développés. Entre l’urgence touristique et le risque sanitaire, le Maroc semble avoir fait son choix. Rester fermé aux voyageurs étrangers plutôt que de perdre les acquis du confinement !  

Cependant, les binationaux et les résidents marocains notamment en France continuent à regagner leur pays d’accueil via des vols spéciaux le plus normalement du monde sans qu’ils soient soumis à des mesures de quatorzaine. Une chance que les citoyens marocains désireux de se rendre en France ou ailleurs n’ont pas pour le moment. Déconfinés dans leur propre pays mais superbement confinés pour les déplacements internationaux.

L’Union européenne a élaboré une batterie de critères pour qu’un pays figure sur sa liste positive (des admis), notamment un taux de nouveaux cas de Covid-19 proche ou en-dessous de 16 pour 100.000 habitants (moyenne dans l’UE) sur les 14 derniers jours. Or, ces mesures d’assouplissement  ne doivent pas masquer  la réalité : la pandémie, qui vient de franchir deux seuils symboliques – plus d’un demi-million de morts et dix millions de cas – « est loin d’être finie » et « s’accélère » même, a averti lundi l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Face à l’apparition de nouveaux foyers épidémiques, plusieurs pays comme l’Allemagne, le Portugal, la Corée du Sud et l’Angleterre ont dû reconfiner les agglomérations infectées. Difficile dans ces conditions de retrouver la vie et la stabilité d’avant.

Le tourisme national dans le brouillard

Comme l’a écrit le Canard il y a plusieurs semaines, la saison estivale est tombée à l’eau. En cause, le maintien de la fermeture des frontières nationales qui empêche l’arrivée des touristes étrangers. «Même les nationaux ne se bousculent pas au portillon des hôtels », se désole un hôtelier de Casablanca où  nombre de grands hôtels comme le Four Season et le Casablanca ont décidé de ne pas rouvrir leurs portes. Idem Agadir et à Saaïdia. Dans ces deux stations balnéaires, certaines unités d’hébergement ont fait le choix de rester closes  plutôt que de rouvrir au risque de ne pas  recevoir assez de clients pour pouvoir payer en serait-ce que les charges. « Puisque la fin du paiement de l’indemnité forfaire mensuelle de la CNSS est intervenue fin juin,  si j’ouvre, cela veut dire,  je dois payer les salaires du mois de juillet, août et les mois suivants » , explique un patron d’hôtel à Agadir.  « Or, ajoute-t-il, je ne sais pas si je vais rentrer dans mes frais. Donc, je préfère ne pas rouvrir et m’épargner une éventuelle grève du personnel avec l’agitation syndicale habituelle ».

Le Maroc du tourisme et des loisirs en est aujourd’hui dans cet état d’esprit. Son avenir n’a jamais été aussi incertain. Sombre.  Les professionnels du secteur, tous prestataires confondus, ne sont pas dans leurs assiettes. Quant à la ministre du tourisme, Nadia Fettah Alaoui, elle ne répond même plus aux coups de fil des dirigeants de la FNT. Elle s’est offerte une cure de farniente à Mir Left ?

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