CANETON FOUINEUR

Un bébé sans identité nommé Brahim Kermaoui

Naissance d’une quête douloureuse
Jamil Manar
11/2/2021 1:40
Brahim Kermaoui. Un esprit tourmenté...

Il est des histoires bouleversantes qui empoisonnent la vie de leurs victimes. C’est le cas de Brahim Kermaoui qui fait partie...

Il est des histoires bouleversantes qui empoisonnent la vie de leurs victimes. C’est le cas de Brahim Kermaoui qui fait partie de ces bébés adoptés à l’étranger après avoir été volés au Maroc, et qui se battent depuis des années pour connaître leurs parents biologiques. Récit.

Il a fait tout son possible. Frappé à toutes les portes. Écrit un livre intitulé «l’enfant égaré». Et il a même effectué  un périple à vélo Paris-Rabat.  En vain pour le moment. « Il ne me reste plus qu’à escalader l’Everest », confie-t-il, mi-enjoué, mi-désespéré, pour que l’on se décide enfin à l’aider dans la quête de sa vie tourmentée : retrouver ses parents biologiques. Brahim Kermaoui- ce n’est pas son vrai patronyme- a 43 ans aujourd’hui et une énigme qui pèse des tonnes. Son histoire bouleversante est celle d’un enfant volé qui veut absolument savoir qui il est réellement. La vie de ce jeune homme jovial malgré la tristesse qui suinte de ses yeux bascule lorsqu’il avait 13 ans en découvrant qu’il était un enfant adoptif. Depuis, cette triste découverte est devenue une chape de plomb pour son existence qui l’empêche de vivre dans la sérénité.  

Circonstances exténuantes, Brahim Kermaoui c’est une enfance malheureuse à Gennevilliers, en banlieue parisienne, un père qui quitte le foyer familial aussitôt arrivé en France, une mère esseulée rongée par la dépression et un oncle maternel alcoolique qui violente le petit Brahim. Pas d’amour, que des problèmes, lâche, le regard mélancolique, celui qui passera même un séjour de plusieurs semaines à l’hôpital à cause de la maltraitance physique qu’il subit de la part de son oncle très porté sur la bouteille. Convoquée par la DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales) pour s’expliquer sur ce drame, la mère révèle alors que Brahim n'est pas son fils, qu’il a été adopté à l'hôpital de Berkane au Maroc et que de toute façon ne veut plus de lui. Et ses vrais parents? Ils seraient morts dans un accident de voiture… Depuis, c’est dans une autre galère qu’il se retrouve embarqué malgré lui. Enchaînant les familles d’accueil où il a du mal à s’adapter, il bascule dans la petite délinquance, ce qui lui vaut un séjour de 4 mois en prison pour une histoire de cambriolage.

En 2001, Brahim quitte l’ombre pour la lumière. C’est en homme libre et décidé de ne plus récidiver qu’il tente de gagner sa vie en travaillant. Il enchaîne alors les petits boulots : Reconditionnement des ordinateurs, travail à l’usine et chauffeur de poids lourds. L’ex-délinquant fonde une famille avec sa femme Farida qui lui donne  deux filles et de la stabilité tout en l’encourageant à se lancer dans une enquête sur ses origines au Maroc. Brahim Kermaoui a 32 ans, en 2010, lorsqu'il se rend  dans sa ville natale où il rencontre les membres  de sa famille adoptive qui lui font une seconde révélation, tout aussi atroce. C’est ainsi qu’il apprend, plus attristé que jamais, qu'il n'est même pas Brahim Kermaoui. Ses parents sont venus un été au Maroc où ils ont pu avoir à l’hôpital de Berkane un bébé né sous X tout en se débrouillant pour qu'aucune trace d'adoption ne figure dans le dossier. Mais ce bébé, lui confie sa tante, ce n’est pas lui puisque le nourrisson décède deux semaines plus tard. Les parents adoptifs parviennent avant de revenir en France à se faire remettre dans le même hôpital un autre bébé qui conserve les papiers du nourrisson décédé.  Autrement dit, Brahim porte l’identité d’un mort. Quel embrouillamini ! Venu trouver des réponses sur son vrai statut, il se retrouve confronté à une situation inextricable qui rend sa quête de la vérité plus complexe qu’il ne l’imaginait. Une vérité qu’une certaine omerta familiale, Brahim en est conscient, empêche d’éclater.  

Espoir

Un document, rédigé en arabe et daté de 1985, indique que Safia et Ali, ses parents adoptifs, n'ont jamais eu d'enfant, ce qui fait de Brahim un double orphelin. Il est désorienté, presque au bord du désespoir, mais aussi démuni. Surtout qu’il n’a en sa possession aucun document officiel. Juste des pistes et des intuitions nourries de la certitude qu’il fait partie de ces bébés volés au Maroc dans le cadre d’un trafic gigantesque dans les années 70 et 80 (voir encadré). « Il faut des moyens pour enquêter. De gros moyens. Au Maroc, des avocats ont refusé de m'aider. Ils disent que l'affaire est trop sensible, trop complexe. Ils me conseillent d'en trouver un en France. De porter l'affaire à Bruxelles, devant la Cour européenne… Je demande simplement l'ouverture d'un bureau administratif au Maroc pour m'aider, avec les gens dans la même situation, à retrouver nos origines grâce à une banque d'ADN », confie-t-il à un média français.

La souffrance de Brahim croît de jour en jour du fait de ne pas connaître ses vrais géniteurs malgré ses multiples tentatives et un deuxième voyage au Maroc auprès des membres de sa famille adoptive. Le fait que ses parents adoptifs ne soient plus de ce monde agit comme une difficulté supplémentaire. À moins d’un heureux coup du sort et d’une réelle volonté de l’aider, il sait que le mystère qui empoisonne sans cesse son existence ne sera jamais résolu. Convaincu que ses parents n’ont pas péri dans un accident et qu’ils sont probablement encore en vie, il s’accroche de toutes ses forces à l’espoir de voir un jour sa quête enfin aboutir. Et cet espoir ce sont les plus hautes autorités du pays, les seules à ses yeux capables de mettre fin à son calvaire pour connaître l’enfant qui se cache derrière la fausse identité de Brahim Kermaoui.

Trafic de bébés volés

Les autorités espagnoles avaient démantelé en 2013 un vaste réseau de « bébés volés » qui avait sévi dans les années 1970 et 80. Nés au Maroc ou dans l'enclave marocaine de Mellillia, ils étaient revendus entre 1 200 et 6000 euros à de riches familles espagnoles qui ne pouvaient pas avoir d'enfant. L'enquête, menée depuis 2011 suite à une plainte déposée à Valence en novembre 2011 par une association de défense de victimes, a permis d'identifier 28 cas de ces « bébés volés », avait révélé le ministère espagnol de l'Intérieur.

Le scénario de ce trafic était souvent le même : des familles marocaines démunies étaient disposées à abandonner leurs bébés pour leur offrir soi-disant « une vie meilleure » au sein de familles riches. Les femmes accouchaient ensuite chez des particuliers ou sans enregistrer officiellement le nouveau-né dans l’état civil. Mais ce trafic pour le moins indigne n’aurait pas épargné non plus les hôpitaux. Victime présumée de ce commerce, Brahim, à l’instar de bien de personnes dans son cas, pense avoir été volé à la maternité juste après leur naissance. La vérité finira-t-elle par éclater ?

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