Jamil Manar
20/10/2022 0:02
La France de Macron semble avoir choisi son camp au Maghreb…

Confrontée à la montée grandissante de la francophobie dans ses bastions traditionnels africains, la France de Macron a multiplié ces...

Confrontée à la montée grandissante de la francophobie dans ses bastions traditionnels africains, la France de Macron a multiplié ces derniers temps les gestes qui dessinent les contours d’un rééquilibrage de ses relations au Maghreb au profit de l’Algérie. Décryptage d’une stratégie où le président français semble lâcher la proie pour l’ombre.

Qui aurait dit que la relation franco-marocaine, traditionnellement inscrite sous le signe de l’entente et de l’amitié, allait un jour traverser la pire crise silencieuse de son histoire ? Qui aurait imaginé que la France d’Emmanuel Macron irait jusqu’à se payer une guerre froide aux  raisons inavouables avec son partenaire le plus important du Maghreb, voire du continent et prendre le risque de se mettre à dos une partie de la population marocaine qui depuis des mois donne libre cours sur les réseaux sociaux à une indignation grandissante confinant au désamour ? Devant cette situation pour le moins inattendue, même les plus francophiles d’entre les Marocains ont du mal à comprendre ce qui arrive à « leur France », le pays des lumières « qu’ils aiment » dont les décisions, il est vrai, sont de moins en moins lumineuses…  


Pression


Il y a de quoi en  perdre son «français» !  En cause, le rejet croissant pour des motifs souvent jugés non valables des dossiers de visas déposés par les Marocains depuis la réouverture des frontières en février 2022. Dans le lot des « recalés»  figurent parfois des personnalités, des hommes d’affaires, des médecins et même des étudiants  pour lesquels l’obtention du visa était en d’autres temps - qui semblent désormais lointains - une simple formalité.

Ces refus en chaîne, vécus comme une humiliation profonde par les intéressés et qui n’arrêtent pas d'empoisonner le climat bilatéral tout en alimentant un ressentiment antifrançais dans l’opinion, est la résultante de la décision des autorités françaises prise en septembre 2021 de réduire de 50% le volume de visas  accordés aux citoyens marocains et  algériens et de 30 % aux Tunisiens. Objectif déclaré :  mettre la pression sur leurs gouvernements, jugés peu coopératifs sur le rapatriement  de leurs ressortissants en situation irrégulière …

Mais quelques gestes ultérieurs, du côté français, sont venus  montrer que le motif des visas n’expliquait pas à lui seul la brouille entre Rabat et Paris et que  cette histoire n’était en fait que la partie visible de l’iceberg…Il s’agirait en vérité d’une réaction à froid, intervenue à neuf mois d’intervalle, à deux événements politiques retentissants : Le rétablissement par le Maroc de ses relations diplomatiques avec Israël dans la foulée de   la reconnaissance  le 10 décembre 2020 par Donald Trump de la souveraineté du Royaume sur son Sahara tout en tweetant  que « la proposition d’autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc est la SEULE base d’une solution juste et durable pour une paix et une prospérité durables ! »

Ces deux décisions stratégiques, qui ont pris de court observateurs et acteurs politiques à l’échelle régionale et même internationale, ont passablement déstabilisé  le cœur du pouvoir hexagonal. Virage majeur sur le dossier de l’intégrité territoriale du Royaume, la reconnaissance US de la marocanité du Sahara a eu comme effet immédiat de mettre la France en porte-à-faux sur ce dossier tout en lui fournissant en même temps l’occasion d’emboîter le pas à Washington. C’est du moins la nouvelle attente de Rabat vis-à-vis de son premier partenaire et allié, invité de manière allusive dans plusieurs discours royaux à clarifier son «positionnement» «d’une manière qui ne prête à aucune  équivoque».


Point de bascule


Mais la France, auréolée jusqu’ici du titre du principal défenseur de la cause sacrée du Maroc notamment auprès de l’ONU, ne fera pas évoluer sa position dans le sens souhaité, toujours attachée à sa doctrine consistant à s’en tenir à une posture ambivalente qui contente un peu  Rabat sans irriter véritablement Alger. Ce que le Maroc   dont la doctrine diplomatique a remarquablement évolué - la preuve par l’Espagne et l’Allemagne qui ont fini par apporter un soutien clair au plan d’autonomie au prix de deux crises diplomatiques majeures - n’accepte plus de son allié traditionnel européen.

Poussé dans ses derniers retranchements, ce dernier n’a pas non plus vu d’un bon œil le rapprochement maroco-israélien qui constitue le principal point de bascule de la relation franco-marocaine car perçu par Paris comme une menace sérieuse des intérêts français au Maroc et même au-delà. C’est dans ce contexte qu’il conviendrait de lire sans doute  les «enquêtes», publiées en juillet 2021 dans certains médias étrangers notamment français mettant en cause les autorités marocaines dans une étrange affaire supposée d’écoutes téléphoniques de journalistes locaux et de personnalités étrangères parmi lesquelles figurerait même le président Macron. Par quel biais? Le logiciel espion baptisée Pegasus fabriqué par l’entreprise israélienne NSO, voyons !  Est-ce véritablement une coïncidence qu’Israël se retrouve, juste après son alliance avec le Maroc,  mêlé à des allégations sans preuves, dirigées contre Rabat et ses services de sécurité ? Pour ceux qui ont un flair politique aigu, cette histoire sibylline dégage les relents d’une entreprise de sape de la réputation du Maroc et de fragilisation de la relation israélo-marocaine. Surtout qu’elle va au-delà, compte tenu de sa singularité reposant essentiellement sur une forte diaspora marocaine d’origine juive vivant en Israël et ailleurs,  d’une simple normalisation à l’image de celle d’Israël avec l’Égypte ou certains pays du Golfe comme les Émirats. Inédits dans le monde arabe, les liens affectifs denses qu’entretient Maroc avec sa communauté israélite sont en effet un puissant levier dont se sont servis immédiatement les deux parties, qui n’ont pas perdu de temps pour franchir en moins d’une année, toutes les phases d’une coopération multisectorielle prometteuse (avec échanges de visites de responsables de haut rang et de délégation d’hommes d’affaires de part et d’autre).  

C’est la dimension géopolitique de cette coopération totale incluant  des domaines  sensibles, en l’occurrence le militaire et le sécuritaire, objet  d’un accord de défense signé  le 24 novembre 2021,  qui dérange la France et son nouvel allié du Maghreb. Le régime militaire algérien ne s’est-il pas inquiété publiquement avec force déclarations brutales de ses dirigeants du partenariat militaire et sécuritaire maroco-israélien ? La France de Macron, minée par une crise multiforme qui s'est aggravée dès l'entame de son second mandat,  n’est pas loin du même état d’esprit vis-à-vis de l’alliance tous azimuts  entre Tel Aviv et  Rabat.


Toute honte bue


Il n’est pas d’ailleurs faux de lire la réconciliation spectaculaire  de Paris avec son ancienne colonie rebelle à l’aune de l’inquiétude qu’ils partagent désormais, l’un publiquement et l’autre secrètement,  à l’endroit de l’axe Rabat -Tel Aviv dont la naissance et la consolidation ont été interprétées par la macronie comme un acte hostile dirigé  par le Royaume contre la France. Le pays de Descartes, dont les dirigeants semblent fébriles et de plus en plus 6dans la réaction que l'action,  a-t-il à ce point perdu confiance dans ses capacités que les nouvelles ambitions économiques de l’État hébreu lui font peur ? Il est vrai que  ces dernières ne se limitent pas seulement au Maroc et sont dimensionnées pour se déployer davantage en Afrique où Israël, convoitant sa part du gâteau du potentiel de croissance du continent,  a  entamé il y a quelques années une opération de reconquête (c’est au Ghana qu’Israël a ouvert  dès 1956 sa première ambassade africaine). Mais c’est cela les enjeux géopolitiques et les positionnements qu’ils induisent. Une compétition internationale de plus en plus féroce où les puissances mondiales et régionales défendent crânement  leurs intérêts.

Avec le Maroc, dans le rôle du nouvel allié géopolitique et économique, c’est l’Afrique subsaharienne que Tel Aviv convoite fortement. Avec les conséquences que l’on pourrait aisément deviner pour la France qui a perdu ses bastions traditionnels sur le Continent où elle a gagné ces derniers temps progressivement  en impopularité dans des proportions jamais atteintes auparavant.

Ce sentiment anti-français, alimenté par ce que certaines élites africaines qualifient d’arrogance néocoloniale,  a permis à d’autres puissances, notamment la Russie et la Turquie, de prendre pied là où Paris est devenu indésirable. A l’instar du Mali, désormais alliée de Poutine et de son armée officieuse Wagner,  qui a chassé  en février 2022 la France de son territoire où l’armée tricolore s’était déployée une décennie plutôt au nom de la «lutte contre le terrorisme».

La démarche officielle introduite il y a quelques mois par le Gabon et le Togo pour intégrer la "grande famille" du Commonwealth s’inscrit certes dans une vision de diversification des partenaires qui est dans l’air du temps. Mais n’empêche qu’ elle en dit long sur le degré de malaise que suscite la France dans sa sphère d’influence en Afrique de l’Ouest… Si la candidature de ces deux pays est acceptée, ils rejoindront le Rwanda, nation historiquement francophone, devenu en 2009 le 45ème Etat membre du Commonwealth.

Résultat : Prise en tenailles par la Russie et la Turquie, la Chine et maintenant le couple  Maroc-Israël, menacée dans des intérêts vitaux par diverses influences concurrentes dans son pré carré francophone, la France cherche le meilleur moyen de rebondir. Comment  à cet égard ne pas percevoir dans la récente idylle retrouvée avec l’Algérie dont la relation avec son ancien occupant de plus d’un siècle est traditionnellement difficile l’expression d’une tentative presque désespérée de la part du président français de sortir la Françafrique  d’une impasse alimentée par une francophobie rampante ? C’est certainement acculé et dos mur qu'Emmanuel Macron est tombé dans les bras de l’Algérie dont il a accusé il n’ y a pas longtemps les dirigeants d’entretenir  une «rente mémorielle» tout en s’interrogeant  sur l’existence même de « la nation algérienne avant la colonisation française ». La macronie s’est-elle résignée, toute honte bue, à sacrifier  son partenariat privilégié avec le Maroc cité longtemps en modèle sur l’autel d’un espoir de retour en force dans ses bastions africains perdus en s’appuyant sur une Algérie qui n’est fiable que dans son hostilité maladive envers le Maroc ?  Au terme de la visite en août dernier de M. Macron en Algérie que la crise énergétique actuelle a fait sortir  un peu de son isolement diplomatique en faisant oublier au passage à sa camarilla de courtisans européens la vraie nature du régime algérien, le président Tebboune s’est félicité d’un rapprochement «qui va nous permettre d’aller très, très loin». Dans la reconstruction d’un «avenir partagé» illusoire ?

Le message Benchaaboun

Rien n’indiquait que la présidence Macron allait déboucher sur de graves malentendus diplomatiques avec le Maroc. Le jeune président fraîchement élu en 2017 n’a-t-il pas fait du Maroc la première destination de son voyage maghrébin, dérogeant ainsi  à une tradition politique française voulant que  le premier déplacement au Maghreb soit réservé à l’Algérie? Le choix de M. Macron est fort, procédant chez lui d’une volonté sincère d’instaurer « une relation personnelle de confiance » avec S.M le Roi Mohammed VI. Cette volonté proclamée a fait long feu, fracassée sur le récif des mauvaises lectures de la tectonique des plaques géopolitiques. Résultat : C’est la défiance qui prévaut aujourd’hui de part et d’autre alors que la relation maroco-française, arrivée depuis longtemps à maturité, était censée être immunisée contre ce genre de crises.

Est-ce pour signifier que l’ambassadeur du Maroc à Paris, l’excellent Mohamed Benchaaboun, serait plus utile dans son pays que  celui-ci a été nommé lors du Conseil des ministres du mardi 18 octobre au poste de directeur général  du Fonds Mohammed VI pour l’investissement ? Une nouvelle fonction qu’il cumule désormais avec son travail de diplomate à mi-temps ? Le message est fort et ne souffre aucune équivoque. Le Royaume n’attend plus grand-chose de la France d’Emmanuel Macron- il n’a pas  le droit de briguer un troisième mandat- dont les  électeurs tourneront la page lors de l’élection présidentielle de 2027. Le Maroc, royaume au long cours, où le temps monarchique transcende cette notion d’alternance au pouvoir dans les républiques, en a vu d’autres tout au long de son existence multiséculaire. La continuité  et le dépassement des petits soubresauts de l‘histoire sont inscrits dans l’ADN de sa gouvernance.

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