CANETON FOUINEUR

L’État subventionne à hauteur de 2 milliards de DH le transport maritime des MRE

Un acte de générosité dans un grand naufrage
Jamil Manar
17/6/2021 2:05
Reconstruire le pavillon national est un impératif stratégique...

La décision du gouvernement de soutenir au prix fort les tarifs de la traversée pour les MRE entre en résonance avec une triste réalité : La disparition du pavillon national et la dépendance du Maroc vis-à-vis de la flotte étrangère pour le transport de passagers et de marchandises.

Quelque 2 milliards de DH ! C’est l’enveloppe que l’État marocain devrait mobiliser au titre de la subvention exceptionnelle des tarifs de la traversée maritime pour les MRE vivant en Europe dans, le cadre de l’opération Marhaba 2021. C’est le prix à payer - et il est colossal - pour obtenir un prix préférentiel des billets aller-retour conformément aux instructions royales pour faire bénéficier les Marocains du monde de tarifs abordables et désamorcer la flambée des prix au-delà du raisonnable sur les parcours de contournement  des ports espagnols habituels notamment Algesiras) décidés par le Maroc: Gènes en Italie et Sète en France. Ces deux lignes seront renforcées d’une troisième ligne Marseille-Tanger Med et d’une autre ouverte dans le port portugais de Portimao.    

L’itinéraire aller-retour Sète-Tanger pour deux adultes, trois enfants et une voiture coûtait initialement un peu plus de 3.000 euros. Une fortune. A quoi il convenait d’ajouter des frais supplémentaires pour les familles marocaines qui habitent au sud de l’Espagne, qui doivent se rendre jusqu’à Sète en raison du contournement cette année encore des ports espagnols habituels notamment Algesiras remplacés également par celui de Gênes en Italie.  

Grâce à l’effort financier des pouvoirs publics, une famille de 4 personnes avec voiture débourse seulement 995 euros pour les lignes long-courriers et à 450 euros pour les parcours moyen-courriers. Le gouvernement n’avait d’autre choix que de mettre la main à la poche étant donné qu’il ne pouvait pas faire pression sur les compagnies étrangères pour revoir leurs tarifs à la baisse. Le geste de l’État est louable, sauf qu’il représente une perte sèche pour les finances publiques- déjà exsangues en raison des effets dévastateurs de la pandémie- et une manne extraordinaire en devises qui profite aux ferries italiens et français. Ce qui revient au fond à subventionner les économies de ces pays européens.

Privatisation

Le gâchis est monumental ; il rappelle une triste réalité : le démantèlement incompréhensible du transport maritime national, fret et passagers dans le sillage de la faillite de Comarit de Mohamed Abdelmoula et la disparition d’IMTC de Mohamed Karia, précédées par la privatisation en 2007 de l’armateur public Comanav, tombé dans l’escarcelle de l’armateur français CMA-CGM. Résultat : le Royaume a quitté la navigation sur le détroit alors qu’il assurait jusqu’à 1996, grâce à ses armateurs, près de 75% du trafic passagers sur ce bras de mer de 15 kilomètres… Est-il sain que le Maroc, qui possédait naguère plusieurs vraquiers, n’en possède pratiquement plus aucun aujourd’hui pour le transport de ses plusieurs dizaines de millions de tonnes de produits comme le blé, le charbon, le pétrole et les phosphates ?

A croire que l’âge d’or du pavillon national, les années 70-80, n’est plus qu’un doux souvenir dont se délecte une poignée de nostalgiques. A cette époque, l’armement national comptait 66 navires qui assuraient 25% du commerce extérieur du pays. Aujourd’hui, la flotte marocaine avoisine zéro, résultante de l’inconséquence incroyable des dirigeants du secteur. Quant à la Marine marchande, elle a sombré depuis longtemps dans la médiocrité, devenant tellement superflue qu’on n’entend même plus parler… Outre son coût social non négligeable (des bataillons de sans-emplois issus de l’institut supérieur des études maritimes (ISEM) viennent grossir chaque année les rangs des diplômés-chômeurs), le grand naufrage du maritime se traduit pour le budget de l’État par un coût financier exorbitant qui confine au scandale : quelque 25 milliards de DH pour le fret et quelque 4 milliards de DH (auxquels il faut ajouter la subvention actuelle de 2 milliards de DH) pour le transport passagers.  Soit un manque à gagner total en devises de plus de 30 milliards de DH (à revoir à la hausse suite à la flambée du prix du fret en raison de la crise sanitaire) qui profite exclusivement au pavillon étranger qui assure plus de 95% du commerce extérieur national.

Hémorragie

Comment un pays réputé pour son passé maritime prestigieux qui dispose de deux façades maritimes longues de plus de 3.000 kilomètres et construit l’un des meilleurs ports sur la Méditerranée (Tanger Med a-t-il pu laisser mourir son armement sans réagir ?) La question mérite d’être posée surtout que la tendance mondiale n’est pas au désengagement des États du secteur maritime. Bien au contraire. Aucun pays de la région maghrébine n’a privatisé sa compagnie nationale de navigation. Qu’est-ce qui expliquerait alors cette résignation à accepter une dépendance commerciale presque totale envers la flotte étrangère ? Aucun responsable n’a fourni jusqu’ici la moindre réponse à cette interrogation légitime… Ironie de l’histoire, la disparition de l’armement national de la carte mondiale intervient à un moment où le Maroc a noué une série d’accords commerciaux avec ses partenaires notamment africains et arabes. Comment développer concrètement ces échanges et les hisser à un niveau souhaitable sans une flotte nationale digne de ce nom qui lui permettra de se réapproprier son destin maritime ?

Pour un pays qui jouit d’une position stratégique exceptionnelle et fort de deux belles façades maritimes s’étirant sur plus de 3.000 kilomètres, il y a de quoi s’interroger sur les subtilités ayant poussé les responsables à laisser mourir le secteur maritime national. Sans rien tenter pour le sauver ou le reconstruire alors que l’armement participe de la souveraineté d’un pays. N’est-il pas urgent d’arrêter cette hémorragie financière qui fait saigner une économie nationale déjà mal en point et qui a besoin de toute sa richesse pour croître et se développer ?  Est-il normal que le Maroc dépende de compagnies étrangères pour le transport de sa diaspora installée en Europe?

Un saignement aussi colossal doit en principe interpeller les gouvernants et les pousser à prendre le problème maritime à bras-le-corps.  Ce n’est pas avec des études qui restent dans les tiroirs, à l’image de celles confiées la plupart du temps à des cabinets étrangers, qui puisent leurs données auprès des professionnels du secteur, que le transport maritime national, trusté depuis 2011 par deux ministres  islamistes (Abdelaziz Rabbah  puis Abdelkader Amara qui ne comprennent que dalle au maritime ), ayant montré suffisamment son incapacité à relancer ce secteur stratégique sur de nouvelles bases,  renaîtra sur des bases solides. Seul le génie qui a conçu le port Tanger Med peut dans une démarche volontariste et experte redonner au maritime son prestige d’antan. Vivement le retour d’un grand ministère de la Mer dans le prochain gouvernement !

Le Maroc désarmé

Le plus gros des produits agricoles marocains exportés vers l’Europe étant acheminés par voie terrestre grâce au TIR jusqu’à Tanger pour transiter ensuite par le port d’Algesiras, il y a fort à craindre pour leur convoyage suite à la décision du Maroc de boycotter les ports espagnols après la crise diplomatique née du scandale Brahim Ghali.  Car si d’aventure, la croisade espagnole contre la tomate marocaine devait encore reprendre, comme cela est arrivé par le passé, le Maroc se retrouvera cette fois-ci complètement désarmé faute de navires à réquisitionner pour contourner le blocus espagnol via les ports français. Ce serait alors une catastrophe pour les exportateurs nationaux qui se retrouveraient avec leurs produits périssables sur les bras.    

Cette stratégie de contournement avait fonctionné en 2000 lorsque les principales fédérations de producteurs et d'exportateurs de produits horticoles espagnoles, regroupées au sein du Comité de Coordination des Organisations d'agriculteurs et d'éleveurs (COAG), avaient décrété l'extension du blocus des produits agricoles marocains à toute l'Espagne. A cette époque-là, plusieurs navires marocains appartenant à Comanav, Comarit et IMTC ont été mobilisés pour convoyer la marchandise en passant par les ports français de Sète et Marseille. Aujourd’hui, cette possibilité de déroutage du trafic n’est plus possible. Sans flotte nationale digne de ce nom, le Royaume ne saurait non plus, dans le droit de fil de la vision africaine ambitieuse de S.M le Roi Mohammed VI et sa volonté forte de développer le partenariat sud-sud, être en mesure de renforcer ses échanges commerciaux avec les pays du continent. Le même handicap maritime frappe la relation économique du Maroc avec ses pays partenaires du monde arabe dont, faut-il encore le rappeler, il est lié pour certains d’entre eux par des accords de libre-échange…Il serait utopique dans ce sens de compter sur les armateurs étrangers pour mettre en place des dessertes compétitives.

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