La Grande Fête

Noureddine Tallal
24/6/2022 20:41
La Grande Fête

Réjouissez-vous chers compatriotes, «le cheptel sera de qualité et à un prix abordable», selon le ministère de l’Agriculture et, serait-on tenté de dire, de la paix sociale ! Une de ses missions principales étant de veiller à ce que chaque croyant puisse acquérir une bête en bonne santé et à un prix prétendument abordable… Soit deux à trois fois le SMIG! En tout cas, selon les termes du communiqué officiel, «le mouton, cette année, ne sera pas plus cher que lors de la campagne précédente»…. Qu’en termes diplomatiques tout cela est dit! Il sera donc tout aussi accessible que l’année dernière… pour ceux qui ont la chance de disposer d’un revenu conséquent ! Ou, tout au mois, d’une capacité d’endettement suffisante pour contracter un crédit à la consommation… Un de plus !

En tout cas, on a pu voir, dès dimanche,  éleveurs et intermédiaires affluer dans les souks hebdomadaires pour y commercialiser leurs bêtes sous l’œil vigilant des représentants du ministère de tutelle… Lequel a fait sa part du job en assurant le suivi rapproché  des bêtes promises au sacrifice sur le plan sanitaire et nutritionnel, notamment grâce aux aliments généreusement subventionnés mis à la disposition des agriculteurs pour leur éviter le pire en cette année de rude sécheresse…

Certains affirment, cependant, que le prix des moutons aurait augmenté de 20% cette année, n’en déplaise au ministère de l’Agriculture, au communiqué rassurant...  

Le Sardi, considéré comme le seigneur des ovins, devrait se vendre entre 4.000 et 9.000 dirhams, selon des observateurs qui se veulent avertis… Il faut dire que le Sardi est au mouton ce que le cheval arabe est à la race équine ! Beau, fier et altier, sa chair est de surcroît réputée particulièrement savoureuse… Mais pas de panique, pour peu que vous soyez moins exigeant sur le « physique», vous pourrez vous rabattre sur des races certes moins photogéniques mais dont la viande est également très appréciée…

Pour 2.500 à 4.000 dirhams, vous aurez ainsi droit à un Bergui, court sur pattes et qui ne paye pas toujours de mine mais, au moins, vous en aurez pour votre argent ! Encore faut-il pour cela, bien entendu, que votre tendre moitié n’oppose pas son veto… Sinon, à vous les délices du crédit à la consommation dont les sociétés se frottent déjà les mains en attendant le rush des « moutons » à leurs guichets ! C’est le moment aussi pour les nantis de penser aux petites gens, domestiques et concierges, qui peuvent tout au plus mobiliser 1.000 à 1.500 DH pour l’achat d’un mouton ou d’une chèvre… Un petit geste de votre part ne peut être que le bienvenu sachant qu’à ce prix-là on ne saurait avoir droit qu’à un agneau non sevré et non encore « éligible» au sacrifice !

Bouffée d'oxygène

Si, comme Lhaj Miloud, vous n’êtes pas trop fan  des souks hebdomadaires où vous  n’osez pas vous aventurer parce qu’allergiques à la poussière, aux pickpockets et aux marchandages sans fin, vous pouvez vous adresser à votre hypermarché préféré où vous aurez la garantie de la traçabilité avec un prix au kilo savamment étudié…

Veillez toutefois  à choisir une bête au ventre plat, et à l’allure sportive… Autant de kilos en moins sur la balance! Vous aurez aussi la possibilité de récupérer votre bête le matin même de l’Aïd ! A ce propos, voilà un service qui a fait bien des émules ! Dans certains quartiers populaires, on voit fleurir des «Foundouks» improvisés où les gens peuvent laisser leurs bêtes jusqu’au matin de l’Aïd...

On y assure le gardiennage ainsi que «le gîte et le couvert» moyennant quelques dizaines de dirhams… Une façon comme une autre de ne pas transformer son modeste logement en étable malodorante !

La plupart de nos concitoyens attendent avec angoisse cette grande fête... Une fête sacrée pour les musulmans du monde entier qu'ils soient sunnites ou  chiites, Arabes, Berbères, Perses ou Pachtounes...

Une fête qui perpétue le sacrifice d'Abraham et qu’on pourrait objectivement considérer comme une tentative avortée d’infanticide ! Heureusement que de là-haut, le Tout-Puissant  s’empressa d'envoyer un beau bélier à  Abraham sauvant ainsi la vie de l'enfant.  Mais avouez qu’il s’en était fallu d’un cheveu ! Toujours est-il que le peuple élu,  pour des raisons que Lhaj Miloud serait bien incapable de vous expliquer, ne perpétue pas ce rite…  Ni les Chrétiens d’ailleurs qui  ont carrément fait... une croix dessus ! Il n’y a donc que les Musulmans qui continuent imperturbablement à égorger - dans des conditions souvent inappropriées - des moutons par millions !  Pas seulement des moutons d’ailleurs…

Tout ruminant peut faire l’affaire, mais de préférence « bien cornu et fourchu», nous expliquent doctement nos dignes Oulémas…  Il faut aussi que l’animal ne présente aucune malformation et ait un look qui en jette… Des conditions plus draconiennes que celles qu’on se fixe pour le choix d’un futur gendre… Bref, un « beau gosse » qu’on exhibera fièrement pour en mettre plein la vue aux voisins… Et vous comprenez dès lors le pourquoi de la popularité de la race Sardi auprès des ménagères de plus (comme de moins) de quarante ans !

Comme chaque année donc, pendant cette dernière ligne droite précédant le grand sacrifice -tant rituel que financier - on ne parlera que de l'Aïd… Un Aïd qui fait  l'affaire des éleveurs, tout heureux de se refaire une santé dans un contexte économique difficile… Et s’il y avait une seule raison que Lhaj Miloud trouverait pertinente pour continuer à perpétuer cette fête - pour ceux qui peuvent en supporter le coût - c’est bien ce coup de main salutaire qui vient chaque saison apporter une bouffée d’oxygène à ces braves gens qui ont été à la peine durant toute l’année… Même si les véritables profiteurs en sont plutôt les intermédiaires, à tous les stades de la filière!

Quant à Lhaj Miloud, l’âge Aidant, il a jeté l’éponge depuis quelques années, ne pouvant plus supporter la vue du sang et les odeurs nauséabondes des abats  jetés aux coins des rues… Des scènes de désolation dignes de films de guerre auxquelles on assiste, hélas, trop souvent le jour de l’Aïd… Alors, si le cœur vous en dit, faites comme lui et réservez quelques jours dans un de nos beaux hôtels qui, eux aussi, ont beaucoup souffert de la pandémie… Vous joindrez ainsi l’utile à l’agréable… Et éviterez les corvées de l’Aïd ainsi que ses incontournables «salamalecs » !

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