Le bilan à mi-mandat du gouvernement : Des incohérences et des questions en suspens

Abdeslam Seddiki
Le bilan à mi-mandat du gouvernement : Des incohérences et des  questions en suspens

En présentant le bilan mi-mandat la semaine dernière devant les deux chambres parlementaires, le Chef du gouvernement n’a pas manqué d’exprimer sa satisfaction de ce qui a été réalisé. Qui plus est, il estime que les réalisations ont « dépassé toutes les attentes ». Sans préciser s’il s’agissait des attentes du gouvernement ou des attentes des citoyens. Une différence de taille !
Il y avait dans le discours présenté devant le parlement un biais méthodologique qui empêche d’en faire une bonne lecture. En effet, quand on présente un bilan, c’est par rapport à des objectifs annoncés initialement soit dans la déclaration gouvernementale - qui constitue un contrat entre le gouvernement et le peuple- soit dans les lois votées par le parlement dont notamment les lois de finances. Tel n’était pas le cas à de rares exceptions.  On s’est limité à avancer une « corbeille » de chiffres sur les différents secteurs sans les mettre en adéquation avec les engagements pris. Par ailleurs, sur certaines questions « gênantes », le gouvernement n’avait pratiquement rien à dire faisant sienne la boutade selon laquelle « ce qu’il y a de mieux à faire est de ne rien faire ». C’est ce qu’on peut relever concernant la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, la lutte contre l’économie de rente, l’enrichissement illicite, le conflit d’intérêts, les cadeaux accordés au grand capital…
Une autre limite méthodologique de la présentation   de ce bilan à mi-mandat réside dans le fait qu’il est plus quantitatif que qualitatif. Ainsi, les chiffres, nonobstant leur importance, ne sont pas suffisants à eux seuls pour traduire la réalité et surtout le ressenti des populations.  
Le gouvernement a beau exprimer sa satisfaction de son bilan, ce qui est somme toute normale, mais ce n’est guère suffisant pour convaincre et avoir l’adhésion des citoyens qui sont les « récipiendaires » des politiques publiques. Le gouvernement est là en principe pour servir d’abord les citoyens et les rendre heureux.  Prenons juste un exemple, celui de la généralisation de la protection sociale qui constitue effectivement un « chantier révolutionnaire » et nous étions les premiers à le reconnaitre.  Ce qui intéresse le citoyen, c’est d’abord une facilité d’accès aux soins de qualité et un accueil humain dans les établissements de santé, de préférence publics. Sans polémique aucune, il faut reconnaitre qu’on est loin malheureusement d’atteindre cet objectif. Pour se faire soigner, il faudrait avoir des moyens et s’adresser à une clinique privée. D’ailleurs, un chiffre sur lequel on aimerait bien avoir l’avis du Gouvernement : plus de 80% des dépenses de la santé profitent au secteur privé ! La marchandisation de la santé avance à grands pas.

Application

En outre, certaines questions sont à peine abordées, voire gentiment esquivées. C’est le cas de la problématique de l’emploi et du chômage. Sur cette question sociale qui est déterminante pour assurer la dignité des citoyens et la prospérité du pays, la politique gouvernementale a connu un échec.  Les programmes autour desquels on a fait beaucoup de tapage n’ont pas donné l’effet escompté. Les chiffres avancés par le gouvernement sont sujets à caution. Ainsi, on estime que le programme « Awrach », doté d’une enveloppe de 4,5 milliards DH, a créé 221000 emplois !  Des emplois fictifs dans la mesure où ils n’apparaissent pas dans les statistiques du HCP.  Le gouvernement   reconnait que les activités non agricoles ont créé   en moyenne 116000 postes d‘emplois en 2022 et 2023 contre une moyenne de 58 000 postes d‘emplois entre 2010-2015 et une moyenne de 66000 entre 2016-2021. Ce qui est juste mais il oublie de préciser que cela est dû à la création en 2022 de 164 000 emplois dans les services qui sont pour l’essentiel des emplois précaires et de survie.  Comment alors expliquer la hausse vertigineuse    du taux de chômage en 2023 à un niveau   jamais atteint au cours des deux dernières décennies ?
Pour résoudre cette énigme, le Gouvernement, visiblement en panne d’inspiration, compte recourir aux services d’un bureau d’études étranger, en l’occurrence McKinsey.  Ce même Bureau qui a élaboré le fameux « Plan Maroc Vert » dont on paie aujourd’hui les frais !
Précisons, toutefois, que nous ne sommes pas par principe, ou par chauvinisme, contre le recours à une expertise étrangère. Au contraire, à chaque fois que nous manquons d’une expertise dans un domaine de pointe, il n’y a aucun complexe pour recourir à un apport étranger. Et tous les pays sont passés par là y compris le géant chinois. Mais dans un domaine comme celui de l’emploi, comme d’ailleurs celui de l’agriculture et autres, notre pays dispose de compétences qui n’ont rien à envier aux compétences étrangères.  Ce dont nous avons besoin en la matière c’est d’une stratégie faite par les Marocains, avec les Marocains et pour les Marocains.
Pour rappel, nous avons élaboré une stratégie nationale pour l’emploi en 2015 qui a été considérée par l’Organisation Internationale du Travail   parmi l’une des meilleures au niveau de la région MENA. C’est un travail réalisé par un groupe de Marocains, universitaires et praticiens, avec l’implication des partenaires sociaux et des principaux ministères concernés par l’emploi. Cette stratégie, débattue et adoptée par le Conseil de gouvernement de l’époque (2 juillet 2015), est accessible sur les sites de l’OIT et du Ministère de l’inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences (MIEPEEC). Bien sûr, il ne suffit pas de confectionner de bonnes stratégies, domaine dans lequel nous excellons, encore faut-il les mettre en application.  Ainsi la stratégie nationale pour l’emploi ne demande qu’à être actualisée et surtout appliquée.
Par conséquent, recourir à un Bureau d’études étranger est économiquement injustifié et politiquement inacceptable.  Un tel acte constitue un mépris de notre intelligence collective et un manque de confiance à l’égard des compétences scientifiques dont regorgent nos universités et notre administration. Sans oublier l’apport des Marocains du Monde. Seuls les Marocains seraient en mesure d’apporter les solutions adéquates à nos problèmes.   De grâce Monsieur le Chef du gouvernement, ne dilapidez pas les deniers publics pour enrichir les bureaux d’études étrangers qui n’apportent aucune valeur ajoutée. Si ce n’est des PowerPoint en couleurs que nous autres Marocains saurons mieux le faire.  Avec une vision nationale et un esprit patriotique en plus !

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