Unions, Coalitions et Alliances : Entre espoir et désillusion

Abdelkabir Rafiky
10/11/2022 0:58
Unions, Coalitions et Alliances : Entre espoir et désillusion

Le nouvel épisode de la série « Ligue arabe » a pris fin le 2 novembre 2022 avec une déclaration d’Alger sans suspense. Pas de quoi  intéresser les observateurs étrangers.

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ».  Sénèque.

Qu’elles soient temporaires ou relativement durables, les unions, coalitions et alliances ont de tout temps configuré la géosphère politique, idéologique, religieuse,  culturelle, économique et militaire dans le monde. Elles se créent, se maintiennent ou se développent selon les affinités et les bénéfices qu’elles procurent aux pays solidaires, notamment en termes économique, de survie ou d’opposition à un ennemi commun.

On attribue à ces formes d’accords avant leur finalité économique, un rôle de modération, d’équilibre et de retenue en prévenant les conflits et en générant des ententes entre Etats dans le but de tirer bénéfice de leur commerce, de tempérer la fougue d’un partenaire fulminant ou de dissuader un État belliqueux.  

Le nombre d’unions et d’alliances contractées durant la période 1815-2018 s’élève à 687 (soit 3,4 alliances par an pour une durée de vie moyenne d’une dizaine d’années seulement)*. Ce chiffre important nous renseigne sur le caractère éphémère de ces groupements dont le sujet a été largement traité dans la littérature des relations internationales. Mais il serait intéressant d’aborder ce sujet pour le rapporter au contexte géostratégique de notre pays et à ses choix passés et actuels dans un monde aux turbulences multiples.

Le phénomène d'inversion magnétique semble aujourd'hui  frapper  les relations entre les Etats de ce monde dont un grand nombre perd le sens de l'orientation pour ne pas dire le Nord.

Au 20ème siècle, la guerre froide a engendré deux camps distincts, l'Est et l'Ouest et un troisième qui n'avait pas de point cardinal comme ligne de mire, mais composé de nombreuses mouvances voulant dans  une quête d’indépendance et de souveraineté entière, se distinguer par leur neutralité ou leur appartenance géographique,  linguistique ou religieuse, ou le tout à la fois, de l’Occident « impérialiste » sous la bannière de l’OTAN et des pays communistes à l’idéologie révolutionnaire scellés par le Pacte de Varsovie.

Une posture qui bien qu'affichant une volonté de se démarquer des tendances bellicistes de l'Est et de l'Ouest, permettait aussi à plusieurs Etats de jouer sur les deux tableaux, par intérêt ou par soumission à l’emprise de l’ancienne puissance coloniale ou par nécessité d'une couverture d'un grand frère (URSS, USA). Les pays concernés sortaient pour la plupart d'une longue hibernation coloniale et prenaient dans la foulée de leur indépendance, de leur révolution, ou d’un coup d'Etat, leur posture en réaction au pays colonisateur ou au bloc dominant.

Sauf qu'une relation coloniale ne s’achève pas aussi facilement le jour de la proclamation de l’indépendance, puisque des tentacules de domination de forme économique et culturelle persistent bien après l'époque coloniale. Ce que l’on connaît sous le vocable de « Néo colonialisme » qui est un vrai frein à toute liberté d'affranchissement total eu égard à un  enchevêtrement économique, social et culturel, couverts souvent sous des formes institutionnelles  fédératrice taillée sur mesure pour perpétuer l’influence des Etats dominants, comme le Commonwealth ou la Françafrique. Ce qui confère toute sa pertinence au doute sur l’efficience des mouvances tiers-mondistes  construites sur les échafaudages de la libération et les artifices des discours et slogans militants souvent avérés creux bien qu’ayant servi à dorer des dictatures et à doper les peuples pour maintenir la flamme du combat contre l’éternel ennemi externe, parfois imaginaire pour entretenir la longévité des pouvoirs en place.

La disparition du mur de Berlin et l'éclatement de l'ex URSS - en réalité du communisme et du socialisme- puis l'avènement de la mondialisation, allaient dévoiler la fragilité voire l’inutilité de ces alliances et faire perdre la boussole à de nombreux pays ne sachant plus quel cap tenir, ni à quel saint se vouer.


Quand la boussole s’affole


Aujourd’hui les unions, coalitions et alliances sont encore nombreuses et diverses, certaines en veilleuses, d’autres se créent par un jeu d’opposition ou de riposte à d’autres, comme les BRICS (Brésil, Russie, Chine et Afrique du Sud) en contrepoids au G8 (France, Etats-Unis, Russie, Allemagne, Japon, Italie et Canada), ou l’Organisation de Coopération de Shanghai (Chine, Inde, Iran, Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Pakistan, Russie, et Tadjikistan) pour contrecarrer l’hégémonie américaine.

Le nouvel ordre économique et politique mondial, issue de cette situation, a engendré des interdépendances créant des intérêts contradictoires ou concurrentiels entre alliés, particulièrement dans le camp occidental (Etats-Unis/ Union européenne) et a révélé que des alliés sur le plan militaire pouvaient être des antagonistes sur un plan commercial ou stratégique. L’affaire de l’annulation du contrat de vente de 12 sous-marins français à l’Australie, (34 milliards d’euros) dit « Contrat du siècle » au profit des Etats Unis et de la Grande Bretagne, éclaire sur une alliance à géographie variable.

La guerre entre la Russie et l’Ukraine a exacerbé ce phénomène et a ébranlé les mécanismes classiques de fonctionnement de la gouvernance mondiale, forçant la répartition des cartes dans un monde instable où c’est le gaz et le blé qui dessinent aujourd’hui les contours des relations internationale. Une situation qui rend même anecdotique certaines décisions comme la volonté exprimée par l’Algérie ou l’Arabie saoudite de rejoindre les BRICS.

D’autres unions connaissent des bouleversements comme l’Union Européenne, avec la montée ou l’accès au pouvoir de l’extrême droite dans un certain nombre de pays membres à la faveur d’un populisme croissant sur fond de crise économique et sociale  et  qui veulent se  libérer de la tutelle de l’UE et revenir à l'État-Nation. Le Brexit est à cet égard une grande secousse bien ressentie à Bruxelles. Tandis que certaines Unions s’apparentent à des étoiles filantes comme l’Union pour la Méditerranée initiée par la France en 2008 et qui se trouve aujourd’hui aux abysses de la Marée Nostrum.

Le Maroc n’a pas manqué au lendemain de son indépendance de s’engager dans la voie des unions et alliances pour manifester sa pleine adhésion à des groupements comme le mouvement des non-alignés (Créé en 1961), à la ligue arabe (créée en 1945), à l'Organisation de l'Union Africaine et à l’Organisation des Etats Islamiques (créée en 1969). Notre pays est donc, musulman, arabe, africain et non aligné à la fois ! Nous avons coché toutes les cases.

Nombreux expliqueront  ce choix multiple par le contexte historique de l’époque marqué par les pressions politiques internes et par les difficultés de notre pays au lendemain de son indépendance à se positionner dans un monde d’après-guerre déjà géopolitiquement configuré, mais acculé à ordonner les Etats libérés du joug colonial dans un jeu d’échec entre Est et Ouest préoccupant.  L’intention de notre pays était probablement  louable eu égard à l’élan solidaire avec les pays du Sud ou dit tiers-mondistes, sauf que le résultat des actions de ces groupements est plus que mitigé et nous éclaire sur leur contribution négligeable à l’évolution du monde. Un bilan bien garni de communiqués ou de résolutions sans incidence, dictées par le consensus et le ménagement des sautes d’humeur et saluées in fine par l’exhibition du grand V de la victoire. Elles ne dépasseront pas l’expression d’un vœu, d’une condamnation ou d’une solidarité de circonstance. A titre d'exemple, le mouvement des non-alignés n'a désormais aucune empreinte sur la scène internationale,  bien que l’Algérie, se trompant d’époque, use de tous les artifices pour le raviver.

On ne s'étonnera point qu’elle se mobilise pour dérouler le tapis rouge à cette Organisation, après avoir fêté l’accueil du chétif sommet de la Ligue arabe.  


Le ver est dans le fruit


Certainement elle y voit un cadre dont le renouveau pourrait servir de piédestal à son idéologie et à son retour espéré sur la scène internationale dans une quête de leadership longtemps recherché. Quant à la Ligue Arabe et au Maghreb arabe qui n’ont que la langue arabe en commun (excusez la répétition), elles restent  un mythe, puisque rongés par les divergences profondes qui minent l’ensemble de la Région, nourries par les idéologies de régimes antagonistes ou par les agissements d’Etats se déclarant plus progressistes et visionnaires. Cela peut être illustré par les multiples crises récurrentes au Moyen Orient ou au Maghreb où l’Algérie joue aux coalitions insensées dans un espace géographiquement limité, se voulant dominatrice et dépositaire des idéaux mémoriels de la lutte des peuples au point, s’il lui était possible, d’attribuer des origines algériennes à un Che Guevara ou à un Mao Zedong.

On comprend ainsi, que lorsque l'idéologie est le fond d’écran d’une union ou d’une alliance, celle-ci finit par se fissurer au contact de la réalité du fonctionnement du monde et de l’insoutenable penchant à se mêler des affaires intérieures des autres États. Tous ceux qui n'ont pas les mêmes croyances idéologiques suscitent la méfiance ou sont sournoisement perçus comme des ennemis potentiels ouvrant la voie à la main mise d’un ennemi externe, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes accusés d’expansionnisme. N’est-ce pas l’attitude de l’Algérie à l’égard du Maroc qu’elle a  toujours considéré comme la porte de l’occident impérialiste et son concurrent farouche pour un leadership dans la région ? Cette Algérie va privilégier ses relations avec le Vietnam de Ho Chi Minh et du Général Giap, Cuba de Castro ou l’Egypte de Nasser, au détriment des pays voisins et de l’idéal maghrébin.

J’ai toujours eu d’ailleurs sur un autre registre, une difficulté à comprendre la construction de ces deux unions (Ligue arabe et Maghreb arabe), comme bien d’autres aussi, dans le contexte des idéologies divergentes de leurs pays membres. Comment après tant d’années et tant de déroutes et d’expériences funestes, le monde arabe n’a pas encore tiré de leçons et continue à faire le jeu des alliances parallèles diverses, où s’invitent des pays œuvrant à étendre leur influence comme les Etats Unis, la Russie, la Chine, l’Iran ou la Turquie ?  Au Maghreb, c’est le même scénario, avec une Algérie acquise à la Russie, un Maroc en excellents termes avec les Etats Unis, une Libye en déconfiture, une Tunisie à la complaisance douteuse et une Mauritanie jouant aux funambules.

L'occasion aussi de se poser la question de savoir pourquoi coller le qualificatif d'arabe à la Ligue arabe et à l’Union du Maghreb ? La réponse est sans aucun doute liée à la langue officielle dans ces pays sauf que celle-ci ne l’est plus avec la reconnaissance de l’Amazigh comme langue officielle pratiquée par une large frange de nos sociétés.

L'Union Européenne composé de 28 pays avec 24 langues officielles et qui fonctionne tant bien que mal depuis longtemps, montre que ce n'est point la langue qui fait l’union, mais plutôt les valeurs sur lesquelles est basée la cohésion de l’Europe : Respect de la dignité humaine, liberté, égalité, démocratie, droit de l'homme, Etat de droit et justice.

A la lecture de l’histoire chaotique de ces organisations et des inimitiés vécues par notre pays avec un certain nombre d’Etats dits frères, le Maroc savait sans aucun doute que le ver était dans le fruit, mais se devait de mener le combat de l’intérieur pour éviter de subir les conséquences de la politique de la chaise vide. Mais jusqu’à quand et de quelle manière  devrait-il continuer dans cette voie lorsque ses intérêts vitaux sont menacés?

Le Maroc semble avoir tiré les conclusions du mode de fonctionnement de ces unions et alliances stériles dont les Etats membres sont sensées et c'est le moins que l'on puisse leur demander, se porter mutuellement assistance pour parachever leur indépendance, sortir du sous-développement, promouvoir leurs cultures et assurer le bien-être de leurs populations. Le Maroc devait s'attendre à un soutien inconditionnel à sa souveraineté sur son Sahara  et à  sa volonté de récupérer les villes de Sebta et Melilia et autres présides honteusement encore occupées, de surcroit par un pays de l’Union Européenne. Les récentes décisions et orientations diplomatiques du Maroc, laissent apparaître un cap nouveau permettant d’espérer une rupture avec une politique consensuelle sans retour et un changement d’attitude des pays à notre égard.


Sortir des sentiers battus


Quand le Maroc avait décidé de décliner l’organisation du sommet de la Ligue arabe à Marrakech en 2016, le message signifiait qu’il n’était pas opportun de tenir un nouveau sommet où les discours allaient donner une fois de plus, « une fausse impression d’unité et de solidarité sur fond d’un diagnostic amer de la situation de divergence  et de division que vit le monde arabe sans fournir de réponses collectives fermes et décisives pour mettre un terme à cette situation ». Au jour d’aujourd’hui le constat demeure malheureusement le même et le sommet d’Alger ne fait pas exception. L’absence du Roi Mohamed VI à ce sommet en dit long sur cette arène des illusions.  

S’agissant du retour du Maroc à l’Union Africaine, il aurait été peu percutant sans une offensive économique et commerciale parallèle en appui à notre diplomatie en voie de conquête de la reconnaissance de notre souveraineté sur le Sahara ou celle de la pertinence de la solution d’autonomie prônée par notre pays pour régler ce conflit artificiel. Il suffit de maintenir l’élan imprimé par le souverain aux relations du Maroc avec les pays d’Afrique, afin de renforcer nos positions et gagner encore du terrain dans un continent encore instable où les décisions oscillent au gré des coups d’Etats ou des changements de régimes politiques.

Dans le sillage de cette dynamique, le discours royal à l'occasion du 69ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple le 20 août 2022, a tranché avec les non-dits de la diplomatie stérile. Le souverain avait affirmé que dorénavant « le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement. C’est aussi clairement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenaires qu’il établit ».  Aussi ferme qu’intransigeante, cette affirmation ne laisse aucune ambiguïté quant à la volonté du Maroc de redéfinir ses relations avec ses partenariats à venir et permet de rassurer sur notre politique diplomatique devant distinguer dorénavant  les vrais des faux « pays amis ». Sur un autre registre, la position du Maroc vis-à-vis de la guerre entre la Russie et l'Ukraine tout comme celle relative au complexe problème de la Chine et de Taïwan renseigne sur l’indépendance décisionnelle du Maroc. Notre pays s’était abstenu en mars 2022 à l’Assemblée Générale des Nations Unies, de voter la résolution déplorant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le retrait immédiat des forces russes.  Dans la foulée, le Maroc a réitéré en août 2022 son adhésion à la politique d’une seule Chine apportant ainsi son soutien à celle-ci en pleine tension dans la région ravivée par la visite à Taïwan de Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des Représentants américaine. Dans les deux cas, la position du Maroc pourrait être interprétée comme un pied de nez aux Etats Unis. Plus pragmatique encore, le Maroc figurait parmi les 143 Etats ayant voté  le 12 octobre dernier la Résolution de l’Assemblée Générale des Nations-Unies condamnant l’annexion par la Russie des régions ukrainiennes de Donesk, Lougansk et Kherson. Cette décision qui avait suscité tant de craintes quant à un blocage russe au Conseil de Sécurité concernant la dernière résolution sur le Sahara marocain, n’a pas motivé un veto de la Russie qui a recouru à l'abstention dans la lignée de l’attitude de Moscou à l’égard de cette affaire depuis 2018.

L’ensemble de ces décisions permettent-elles de dire que notre diplomatie a choisi le bon cap? Est-elle plus réfléchie et plus libre dans ses choix et positions?  Du moins que l’on puisse affirmer, c’est qu’elle laisse entrevoir l’émergence d’une politique à l’international, basée sur les intérêts suprêmes de notre pays, rompant avec des Unions et alliances classiques qui ne lui ont rien apporté. La recherche de la case gagnante sur l’échiquier mondial n’est certainement pas une tâche facile dans un monde sous tension attisée par une succession de crises et connaissant une redistribution des cartes dictée par la montée en puissances d’autres pôles économiques, technologiques et militaires incontournables pour dessiner le monde de demain. Faire face au dérèglement des relations internationales qui n’en finit pas, requiert résilience et perspicacité de la part de notre diplomatie devant s’étoffer  davantage de stratèges et de visionnaires en mesure d’anticiper les mutations à venir.


*https://laviedesidees.fr/

La-recomposition-des-alliances-au-XXIe-siecle.html

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