C’est une véritable jacquerie, dont les images ont été relayées sur les réseaux sociaux, qu’a connu, lundi 24 avril, la petite ville  balnéaire de Skhirat.  Les raisons de la colère ? La décision de délogement, signée par le wali de à la région Mohamed Yacoubi, d’un immense quartier bidonvillois du nom de  Mhijer. Explosion de rage.  Cris d’indignation. L’opération de démolition et d’expulsion tourne à une confrontation violente avec la force publique, accueillie à coups de pierres  par une foule en furie. Bilan : Blessés graves des deux côtés et interpellation des meneurs supposés de cette insurrection. Les ménages  bidonvillois de Skhirat se sont insurgés parce qu’ils refusent l’offre des autorités de logements économiques  en guise de compensation, et réclament à la place  comme si c’était un droit, des lots viabilisés pour construire eux-mêmes leurs logements, via le recours à un tiers associé, autorisée et  encadrée par le  fameux programme national «  ville sans bidonvilles « (VSB) lancé en 2004 à grand renfort de fonds publics,  soit la bagatelle de 40 milliards de DH !  Au-delà de son aspect factuel, le fait divers de Skhirat renvoie à la figure des responsables concernés, ministre de l’Habitat  et autorités locales et élues,  le fiasco retentissant de ce méga-dispositif visant à en finir en 2010 de manière définitive  avec cet  habitat anarchique et insalubre. Une quinzaine d’années  plus tard, celui-ci  est toujours là, poursuivant sa belle et tranquille prospérité à l’ombre d’une foultitude de complicités. De quoi s’interroger sur les véritables ressorts de la gouvernance défaillante  de ce  programme  onéreux et l’absence de détermination des responsabilités face à la prolifération des bidonvilles qui n’a donné jusqu’ici lieu à aucune sanction judiciaire exemplaire…

L’on se rappelle l’aveu d’échec de VSB exprimé  en 2022 devant la Chambre des conseillers par la première responsable du secteur, la très effacée ministre PAM  de l’Aménagement du territoire et de l’Habitat Fatima Ezzahra El Mansouri. Corroborant  les dysfonctionnements en béton  relevés par la Cour des comptes dans son rapport 2019-2020 au sujet de VSB, les révélations de Madame la ministre  n’ont  curieusement donné lieu à aucune action de reddition des comptes. Tout se passe comme si les bidonvilles étaient  un business légal et que sa prospérité insolente et envahissante allait de soi… En 2021, le nombre de villes assainies ne dépassait pas une soixantaine sur un total de 85. Au rang des métropoles problématiques figurent Temara, Marrakech, Salé, Guercif, Larache, Skhirat et évidemment Casablanca.  A quand un programme de Villes avec bidonvilles  (VAB)? Quelque 300.000 familles ont pu jusqu’ici être recasées alors que 150.000 sont en attente de l’être, selon la ministre de tutelle qui a mis en cause  des « mercenaires » de l’habitat insalubre qui au lieu de le combattre en ont fait un business juteux. Une maison de bric et de broc dans un quartier bidonvillois se vend jusqu’à 30.000 DH. Une fortune.  

Ces mercenaires sont des agents d’autorité irresponsables qui encouragent avec la complicité de certains élus véreux la prolifération dans les zones périphériques des « taudis » que leurs occupants considèrent comme un investissement qui leur fera décrocher tôt ou tard lot viabilisé dans  le cadre d’une opération de recasement ou à tout le moins d’un logement social en dur en dispositif  de relogement. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé face à un véritable serpent de mer qui a englouti des fonds considérables sans grand résultat.  Malgré le recours aux satellites par le ministère de l'Intérieur pour contrôler les zones de prolifération des bidonvilles, force est de constater que les marchands des baraques non réglementaires n’ont peur de rien. L’impunité dans ce  domaine de tous les micmacs demeure en béton, dopée par  les appétits insatiables des gros bonnets de la promotion immobilière qui  ont le bras long.

Tout se passe comme si les bidonvilles étaient un business légal et que sa prospérité insolente et envahissante allait de soi…

Sur cette réalité de terrain-là, entre trafic d’influence, interventionnisme et concussion, le gouvernement ne semble pas avoir de  prise réelle . Et c’est ce qui  signe sans conteste l’échec de la politique d'aménagement du territoire réduite juste à un intitulé creux et sans substance. N’est-ce pas Fatima Ezzahra El Mansouri ? Derrière le fiasco de la résorption  des bidonvilles se cache aussi  un exode rural qui ne faiblit pas, alimenté par l’incapacité des gouvernements successifs à fixer dans son milieu naturel une partie des jeunes ruraux qui continue à déferler sur les grandes villes en quête de travail  et de meilleures conditions de vie. Le ratage de la politique d’aménagement du territoire et de la planification urbaine dans ce pays se manifeste  aussi  dans l’imprévoyance des pouvoirs publics à faire émerger très tôt des villes satellites ou tampons  dignes de ce nom autour des grandes agglomérations pour accueillir les nouveaux venus dans de bonnes conditions.

Pour survivre, ces derniers, souvent  à peine alphabétisés et dépourvus de savoir-faire, envahissent l’espace public des villes  en se transformant en grande source de nuisances. Comme on ne trouve pas de job juste en traversant la rue surtout si l’on ne justifie pas d'une formation, ils se rabattent sur les petits boulots et s’improvisent marchands ambulants de tout et n’importe quoi (fruits et légumes sur des charrettes) ou vendeurs à la sauvette de babioles chinoises aux feux rouges et autres carrefours. Profitant du laxisme des autorités, certains vont jusqu’à installer leurs « boutiques » carrément sur la voie publique,  occasionnant une gêne considérable pour la circulation alors que d’autres sont exploités par des élus malhonnêtes dans des réseaux opaques de gardiennage des voitures, cette fausse activité-pompe à fric, installée par des élus véreux  dans toutes les rues et les artères de Casablanca.

Outre le chômage, la promiscuité,  l’exclusion et la criminalité sous ses différentes formes y compris le « daechisme » , cette migration rurale non maîtrisée s’est accompagnée d’une ruralisation d’une bonne partie de Casablanca dont les décideurs semblent s'accommoder. Il a fallu attendre le début des années 2000, marquées par un boom immobilier sans précédent, pour assister à la naissance pour la première fois du Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT), centré principalement autour de l’édification de villes nouvelles. Objectif : satisfaire la forte demande en logement et décongestionner les grandes villes comme Casablanca, Marrakech et Rabat. Là aussi, le ratage est monumental. Au lieu de faire jaillir de terre des espaces de vie dotés des attributs d’une véritable ville en termes d’équipements et d’infrastructures (écoles, transports, commerces, hôpitaux…), nous avons assisté à l'émergence de  cités dortoirs avec comme seule offre des logements économiques.

En plus d’être exiguës (entre 50 et 80m2) compte tenu du nombre élevé de ses occupants à très faible revenu ou carrément sans ressources, ces habitations surpeuplées pêchent par la faiblesse de leur qualité technique. Mal conçus, mal insonorisés et mal entretenus avec des malfaçons à la pelle, ces logements sont implantés dans des zones marginalisées, dépourvues de moyens de transport et de nombreuses commodités. Une véritable bombe à retardement social. Cette politique de logement au rabais, source de précarité sociale et d'insécurité, ne fait que perpétuer une dangereuse urbanisation de façade.

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