Quelle lecture faire de la rupture récente par l’Australie du contrat  signé avec la France en 2016 portant sur  la livraison de 12 sous-marins à propulsion Diesel pour la bagatelle de 56 milliards de dollars et le choix de Canberra de s’équiper avec du matériel à propulsion nucléaire dans le cadre de l’alliance AUKUS, nouée avec les États-Unis et le Royaume-Uni ? Ceux qui connaissent les dessous des cartes en France et ailleurs savent parfaitement que le véritable enjeu de cette affaire dépasse de loin l’aspect financier du mégadeal.  Ce n’est pas tant la perte du montant colossal du « contrat du siècle » et son détournement par l’Oncle Sam à son profit qui ont mis en rogne l’Élysée, lequel est allé jusqu’à rappeler- ce qui dans le cas d’espèce constitue un précédent diplomatique notable - ses ambassadeurs à Washington et à Canberra mais la signification politique profonde du pacte Aukus (Australia-United Kingdom-United states). Au-delà du diktat américain qui découle de la prééminence du droit US, ce pacte de sécurité conclu entre ces trois pays, dessine les contours d’une nouvelle alliance stratégique anglo-saxonne où la France, le vieil allié des USA et par extension de l’Europe- n’a pas de place. Viré sans ménagement sans même être consulté au préalable. Ce qui a été ressenti dans les cercles du pouvoir hexagonal comme une grande humiliation et considéré, selon l’expression du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, comme un coup de poignard dans le dos.

Dans ce dossier éminemment politique, la France a été sacrifiée sur l’autel de la réorientation stratégique des intérêts de la première puissance mondiale imposée par la montée en puissance de la Chine dans la zone Indopacifique dont les pays qui génèrent plus de 40% de la richesse mondiale font partie du G20 (En plus  de la Chine,  la Corée du Sud, l'Inde, l'Indonésie, le Japon et l'Australie). L’ogre chinois, à l’appétit insatiable, est devenue depuis quelques années  la grande obsession des États-Unis dont il menace le leadership mondial et qu’il faut contrer à tout prix dans cette partie du monde considérée, par  Joseph Borrell,   haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, comme le nouveau centre de gravité du monde,  où Pékin n’a de cesse de renforcer son influence tous azimuts. Au-delà de sa dimension militaro-sécuritaire mise en avant, Aukus renferme aussi un enjeu économique non négligeable pour les États-Unis qui pèsent beaucoup moins que l’Union européenne dans leurs échanges avec l’Indopacifique. Aukus pourrait ainsi servir de levier susceptible d’aider Washington à combler son retard commercial avec la Chine, qui, elle, a réussi à rattraper son retard technologique avec les États-Unis en volant, selon le renseignement américain, la propriété intellectuelle de la première puissance mondiale. En somme, le géant asiatique, principal bénéficiaire de la mondialisation conçue pourtant pour profiter aux pays occidentaux, a fait tourner les vents de la géopolitique et commence par conséquent à reléguer l’OTAN, organisation créée pendant la Guerre froide pour faire face essentiellement à la menace du bloc soviétique, au rang de vestige d’un passé révolu.  Les défis et les enjeux n’étant plus les mêmes, les alliés ou vassaux américains d’hier ont perdu leur caractère stratégique.  Du moins dans le regard étasunien. Tout cela pose la question, sur fond de la remise en cause du multilatéralisme cher à la France, du rôle et de la place de l’Europe dans le nouvel ordre mondial qui se dessine. Et c’est ce qui inquiète justement Paris et dans une moindre mesure ses amis européens…

L’alliance Aukus s’inscrit plus largement dans la suite logique de la confrontation entre les deux superpuissances, américaine et chinoise, inaugurée par Donald Trump dans son style cassant et poursuivie par son successeur avec ses manières de gentleman.

L’alliance Aukus s’inscrit plus largement dans la suite logique de la confrontation entre les deux superpuissances, américaine et chinoise, inaugurée par Donald Trump dans son style cassant et poursuivie par son successeur avec ses manières de gentleman. Mais sur ce sujet fondamental qui préfigure la nouvelle politique étrangère américaine pour les décennies à venir, démocrates et républicains se rejoignent. Pas de clivages politiques possibles quand il s’agit de défendre le statut de première puissance mondiale et ses intérêts vitaux là où ils peuvent être menacés.  

Ces derniers ne sont pas plus sauvegardés   en Afrique où la Chine a pris une longueur d’avance sur les USA en réussissant au fil des ans à renforcer son hégémonisme commercial et sa prééminence en matière d’investissement, au point de devenir le premier partenaire économique du continent noir dont elle pompe les ressources naturelles dans des proportions à la limite de la prédation. Là aussi,  les Américains sont décidés à combler leur retard commercial qui profite essentiellement aux Chinois en changeant d’approche axée traditionnellement sur la  démocratie et les droits de l’homme pour faire la part belle à la coopération économique génératrice de croissance et d’emplois et aux projets  d’investissements d’envergure notamment dans les infrastructures. Dans ce sens, la reconnaissance de Washington de la souveraineté du Maroc sur son Sahara n’est pas fortuite. Signant l’avènement d’une politique afro-américaine rénovée et dynamique, elle est clairement l’expression de ce nouveau virage géopolitique dans la conception américaine des principaux enjeux mondiaux d’aujourd’hui et de demain. La volonté des dirigeants américains de s’appuyer sur la position stratégique inestimable du royaume (Porte d’entrée de l’Afrique et proximité avec l’Europe), qui a rétabli dans la foulée ses relations avec Israël, mais aussi sur le leadership africain, fort et reconnu, de son souverain,   ne fait aucun doute. La Grande-Bretagne poursuit le même objectif que son cousin américain en signant avec le Maroc, le 26 octobre 2019, un accord d’association qui s’inscrit dans le cadre du projet « Global Britain » post Brexit. Il ne manque plus que l’Australie à cette alliance anglo-saxonne pour partir avec le Maroc à l’assaut d’un continent,- qui offre le seul grand potentiel de croissance de la planète,- où se joue l’avenir des États-Unis. Soit, ils réussiront à maintenir leur statut de première puissance soit ils le perdront au profit du concurrent chinois.

Le retour en force sur la scène internationale  du Maroc,  devenu  un allié plus stratégique que jamais dans la nouvelle redéfinition américaine des rapports de force, a fait plus que grincer des dents du côté de ses partenaires  européens, à commencer par la France, qui se sont fait damer le pion sur un dossier où ils  se sont distingués par leur ambivalence. Ce qui a  donné aux Marocains le sentiment qu’ils jouaient sur les deux tableaux, alors que tout le monde savait que le Polisario est une entité visant à affaiblir le Maroc, créée et soutenue par l’Algérie dont le nouveau rapprochement stratégique Washington-Tel Aviv est en train de faire perdre la tête à sa gérontocratie militaire au pouvoir. En proie à la panique, déboussolée,  elle a appuyé ces derniers temps sur l’accélérateur des bourdes politiquement ridicules, voire dangereuses qui isolent encore plus le pays en le reléguant au rang d’impuissance régionale qui est en passe de sortir de l’histoire par la petite porte en titubant.

La bonne place que le Maroc s’est aménagé au sein bloc anglo-saxon naissant, qui formate par petites touches, clics et même claques, le logiciel géopolitique de la planète, dérange plus d’un…

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