Une vidéo poignante a circulé il y a quelques jours sur les réseaux sociaux. On y voit un jeune homme en colère crier son désespoir jusqu’à en perdre la voix en pointant, avec insistance, du doigt le bâtiment où officie celui qu’il voue aux gémonies : le directeur de la Chambre d’artisanat de Fès-Meknès. Celui-ci est accusé de tous les maux par le jeune artisan de la capitale spirituelle qui a dénoncé le mépris dont il dit avoir fait l’objet, lui et ses collègues, de la part de ce responsable qui non seulement n’a rien entrepris pour les aider dans le contexte de crise sanitaire actuel qui a durement impacté leur corporation, mais il s’est permis en plus d’attenter à leur honneur en les taxant de fils de p… On apprend aussi de la bouche de ce lanceur d’alerte courageux que le fonctionnaire mis en cause est un membre du Mouvement populaire et qu’il a conditionné le soutien aux artisans venus lui réclamer de l’aide à leur adhésion au parti. Ce n’est guère étonnant. Clientélisme et chantage sont en effet monnaie courante dans les organisations professionnelles censées être au service de leurs membres loin de tout calcul politique, conflit d’intérêts ou esprit clanique. Mais dans la pratique, la réalité est tout autre. Beaucoup moins reluisantes : Les subventions publiques profitent d’abord au réseau des obligés du patron et de ses affidés en échange de suffrages lors des élections. La collision entre la politique et le professionnel fausse évidemment le jeu et rejaillit sur la qualité du travail de la Chambre dont les dirigeants agissent au détriment des intérêts de la profession qu’ils sont censés défendre pour servir des objectifs personnels ou partisans. C’est la loi du genre dans la majorité des organisations professionnelles au Maroc (agriculture, pêche maritime, artisanat, commerce, industrie…) qui se comporte souvent comme des antennes du parti qui en contrôle la chefferie et dont ils reproduisent les travers connus de tous.

Clientélisme et chantage sont en effet monnaie courante dans les organisations professionnelles censées être au service de leurs membres loin de tout calcul politique.

La gouvernance de ces structures tout comme leur représentativité et leur efficience ainsi que leur fonction comme outil de développement sectoriel s’en trouve minée par des réflexes d’un autre âge et pose du coup la question sur leur véritable raison d’être. À quelques mois des élections législatives, la vidéo de l’artisan audacieux de Fès vient lever un coin de voile sur une réalité souvent occultée qui s’est imposée au fil des ans comme allant de soi dans le monde des Chambres professionnelles aux pratiques opaques dont le fonctionnement et la mentalité sont aux antipodes des attentes de ses membres souvent obligés qu’ils sont de faire allégeance aux chefs pour ne pas être marginalisés. Vivement une évaluation objective du travail du tissu associatif professionnel marocain notamment dans sa composante Chambre professionnelle pour connaître son véritable apport aux secteurs qu’ils représentent. Il est fort à parier que le diagnostic révélera des chambres d’amis qui tournent en vase clos. Phagocytées par des méthodes archaïques, elles agissent souvent contre les intérêts économiques de leurs secteurs d’activité en se comportant comme des épiceries politiques où se mêlent intérêts personnels, prébendes, trafic d’influence, concussion et conflits divers sur fond de dilapidation de fonds publics… En somme, le sport national où les différents organismes de représentation excellent le plus.


P.-S. : Si le Roi Mohammed VI n’a de cesse, à l’instar du roi défunt feu Hassan II, d’entourer de sa haute sollicitude le secteur de l’artisanat à travers de multiples actions d’envergure, force est de constater que le gouvernement n’a pas fait preuve d’assez d’imagination pour opérationnaliser les initiatives royales. Preuve, malgré les efforts accomplis depuis des décennies, les artisans, dans leur majorité, sont toujours aux prises avec des difficultés énormes d’ordre financières qui les empêchent de vivre décemment de leur art. La crise sanitaire actuelle a accentué leur précarité dans des proportions considérables. Au niveau institutionnel, les pouvoirs publics ont pourtant la possibilité d’agir pour protéger les artisans de moult contraintes liées notamment à la commercialisation, au financement et à l’absence des commandes. Il suffit que l’exécutif élabore une loi qui impose le recours aux différents corps de métiers de l’artisanat dans les chantiers de construction des bâtiments publics et même privés. Une telle loi, qui s’inscrit parfaitement dans la volonté gouvernementale actuelle d’encourager le « produire local » et de limiter les importations bouffeuses de devises, n’a que des avantages : garantir un revenu correct et régulier à ceux qui vivent de ce savoir-faire ancestral inestimable, et valoriser en même temps un patrimoine immatériel que le monde entier nous envie tout en encourageant la relève qui commence à poser sérieusement problème…

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