Abdellah Chankou
6.4.2023 1:32

Mais où est passé «  Massayminch»  (Nous ne jeûnons pas), ce mouvement qui revendiquait le droit de manger en public pendant le mois de Ramadan ? La dernière action spectaculaire de ce mouvement, la publication d’une photo de l’un de ses membres en train de se déshydrater sur l’esplanade de la Tour Hassan à Rabat, remonte à juin 2015. Si ce groupe de révoltés semble avoir disparu de la circulation, ce pour quoi il militait est toujours en vigueur, en l’occurrence, l’abrogation de l’article 222 du code pénal qui criminalise le fait de ne pas observer le jeûne en public: « Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps de Ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l'emprisonnement d'un an  à six mois et d’une amende de 200 à 500 DH ». Pour le mouvement «Massayminch», l'obligation de jeûner est « une atteinte à la liberté individuelle ». Ce qui n’est pas totalement faux. Le ministre de la Justice Abdellatif  Ouahbi, qui s’est érigé en réformateur déterminé à dépoussiérer le code pénal en le débarrassant de certains articles jugés rétrogrades et déraisonnables, est partisan de l’abrogation de l'article en question. Un article qui, à y regarder de plus près, pèche par bien des incohérences. Tout le monde est d’accord  sur le postulat que la religion, ou le fait d’observer ses préceptes fondamentaux,  est une démarche personnelle  entre Dieu et ses créatures. De ce principe  intangible découle  la responsabilité de tout un chacun par rapport au fait de croire ou ne pas croire, observer tel ou tel commandement divin. Et puis, en islam en particulier, à la différence du christianisme par exemple, il n’existe pas de médiateur entre l’individu et Dieu. Or, le fameux article 222 de notre cher code pénal va tout bonnement  à l’encontre de toutes ces vérités puisque le législateur, à une certaine époque, s’est arrogé le droit de punir sur terre les déjeûneurs à ciel ouvert comme s’il en avait reçu un mandat céleste ! D’un point de vue religieux, ce texte manque de pertinence, sauf à considérer que toute personne qui rompt le jeûne en public avant le coucher du soleil le fait par désir de provocation. Ce qui n’est pas le cas.  Si Ramadan est le troisième pilier de l’islam, les sourates coraniques abordant la question du jeûne laissent entendre qu’il n’est pas une obligation. « Croyants ! Le jeûne vous est prescrit comme il l’avait été aux confessions antérieures ». « Mais jeûner c’est mieux pour vous; si vous le saviez !». Selon l'islam, le jeûne est un acte par lequel  le musulman renonce, par piété, pendant la journée,  à la nourriture et aux relations sexuelles.  

Que les pouvoirs publics s’érigent sur le Ramadan en police des mœurs ou de conscience cultuelle est pour le moins incongru. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas avoir adopté dans la foulée une disposition de la même veine sanctionnant ceux qui, à l’appel à  la prière, ne prennent pas aussitôt le chemin des mosquées  pour accomplir  le deuxième des cinq  piliers de l’islam? Cet acte d’adoration divine  est considéré comme le devoir le plus important que doit accomplir le musulman si bien que la prière est considérée comme  la colonne vertébrale de l’islam. Tant qu’à sévir, autant faire aussi la chasse aux évadés de la Zakat, troisième pilier de la religion, qui compte tenu de son importance fondamentale est toujours associé avec la prière dans les versets coraniques.

On sanctionne curieusement  ceux qui refusent de jeûner alors que l’islam leur laisse le choix et on se montre en même temps indifférent envers ceux qui délaissent l’acte fondateur de la foi qu’est la prière et la Zakat, acte de charité annuel qui purifie les âmes.

On sanctionne curieusement  ceux qui  refusent de jeûner  alors que l’islam leur laisse le choix et on se montre en même temps indifférent envers ceux qui délaissent l’acte fondateur de la foi qu’est la prière et la Zakat, acte de charité annuel qui purifie les âmes. Ce n’est pas être  antireligieux que d’affirmer que ces  lois sont aux antipodes de la positivité de l'islam incarnée entres autres par  le veset 256 du Coran qui stipule: " nulle contrainte en religion"; elles sont même quelque part incompatibles avec l’esprit de l’islam marocain- qui repose sur le rite malékite- réputé pour ses valeurs de tolérance, de modération et de vivre-ensemble.

Toutes ces contradictions affaiblissent la force de l’article 222 du code pénal et heurtent le bon sens commun. C’est sur la base de cette loi que les rares restaurants, notamment les fast-foods, qui ouvrent pendant le mois sacré au Maroc refusent de servir des non-musulmans! Mais quel (abus) de pouvoir les gérants de ces enseignes convoquent-ils pour savoir qui est de foi musulmane ou pas, sachant que les pièces d’identité nationales ne mentionnent pas la confession !  

Plus kafkaïen, tu meurs ! Ces décalages avec la réalité, on les trouve aussi dans un certain nombre d’autres aspects de la loi comme l’interdiction de vendre «des boissons alcooliques ou alcoolisées aux Marocains musulmans». Ce qui n’empêche pas ces derniers d’en acheter à loisir dans les débits de boissons, supermarchés et d’en consommer  dans les bars, hôtels et restaurants du pays. Mais ils n’ont pas le droit  en vertu d’une loi de 1967 d’être en état d’ivresse une fois sur la voie publique sous peine d’emprisonnement.

Mais dans les faits, les choses se passent autrement, la bibine de fabrication locale ou d’importation est vendue au vu et au su de tout le monde dans les débits de boissons et autres supermarchés et sa consommation dans les bars, hôtels et restaurants est tolérée. Mieux, une partie du budget de l’État est alimentée par la taxe sur les boissons alcoolisées. Mais qui consomme bon an mal les centaines de millions de litres de bibine ? Les touristes, pardi !

Les effets de ces lois (interdiction de manger en public et d’acheter de l’alcool  pendant le Ramadan) sont contre-productifs. Lors de cette période, le Maroc est un pays qui tourne au ralenti avec une propension de tout reporter «après Ramadan». En plus de la baisse de la productivité dans un pays où celle-ci est déjà faible le reste de l’année, l’affluence touristique décline de manière significative. Le manque à gagner pour l’économie est assez important.

Le Ramadan devrait  être un mois comme les autres mais la loi des hommes et non de la religion, conjuguées à des réflexes qui ont la peau dure,  en ont fait un mois exceptionnel de nonchalance, voire d’oisiveté pour certains. Vivement une refonte des dispositions anachroniques et absurdes du code pénal pour un retour au sens commun.

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