Devant le déficit pluviométrique persistant qui frappe le pays, les Marocains, le cœur plein d’espoir, se tournent vers le tout-puissant pour implorer sa miséricorde. Mais aléas météorologiques obligent, le ciel ne saurait être généreux à chaque saison que Dieu fait en respectant en plus le calendrier des temps agricoles et une répartition géographique équilibrée des précipitations entre les différentes régions. Les hommes, qui détiennent le pouvoir de décision sur terre, doivent agir pour adapter leurs politiques publiques. En somme, le changement climatique, dont nous subissons de plein fouet les contrecoups néfastes, appelle un changement politique à la mesure des défis qu’il impose. Là où l’on voit l’étendue du pouvoir de la pluie et de ses multiples vertus. Si celle-ci arrivait à manquer comme c’est le cas aujourd’hui, c’est tout le pays avec son économie qui se grippe et tourne au ralenti. Du coup, l’argent circule moins, le commerce devient atone, la frilosité s’installe et la consommation des ménages, déjà aux prises avec la vie chère et l’inflation, baisse pendant que les petits paysans réclament, tenaillés par le désespoir, le soutien du gouvernement pour survivre et nourrir famille et bétail.
De cette sécheresse qui s’installe, conséquence du réchauffement climatique, résulte un début d’assèchement des oueds et une baisse drastique des réserves des barrages tout en faisant planer une menace de restrictions d’eau dans nombre de villes. Or, le déficit pluviométrique agit comme un révélateur de deux vérités essentielles : La persistance de la dépendance de l’économie nationale de la clémence du ciel et le poids prépondérant de l’activité agricole dans le taux de croissance (environ 14% du PIB). Ce qui met en lumière deux principaux constats : Primo, le Maroc n’est pas parvenu, malgré les efforts remarquables déployés pour la modernisation de son agriculture et sa diversification, à se soustraire des caprices de la météo alors que l’urgence d’une solution à cette grosse contrainte était posée depuis plus de trente ans.
Deuxio, les autres secteurs économiques, notamment l’offshoring sur lequel ont misé les pouvoirs publics dès 2005 comme nouveau moteur de l’économie, ne sont pas arrivés à déclencher un processus de croissance généralisée susceptible de compenser les contre-performances agricoles dues au stress hydrique. Cette situation confirme la pertinence d’un autre choix qui reste à faire, celui du déploiement à l’échelle nationale d’une capacité productive forte qui ne peut venir que d’un appareil industriel solide et des services à haute valeur ajoutée, développés essentiellement autour d’un capital national patriote et entreprenant. Atteindre cet objectif suppose évidemment un certain nombre de prérequis dont l’investissement dans la formation aux métiers de l’industrie et du high-tech (digital) pour les rendre attractifs. C’est dans ce changement de paradigme, qui relève du rôle d’un État stratège et engagé, que réside la fin de la spirale infernale des importations massives qui déséquilibrent au-delà du supportable la balance commerciale du pays. L’aléa pluviométrique est un sujet vital qui nécessite des réponses de long terme dans le cadre d’une nouvelle gouvernance hydrique.
Le déficit pluviométrique n’exige-t-il pas plutôt d’actionner les leviers de la sobriété sur ces cultures hydrivores et agir pour garantir l’accès aux aliments agricoles de base à un prix raisonnable ?
Faut-il continuer à exporter comme avant la tomate et l’avocat connus pour être trop consommateurs d’eau ( une ressource qui manque dangereusement) ? Le déficit pluviométrique n’exige-t-il pas plutôt d’actionner les leviers de la sobriété sur ces cultures hydrivores et agir pour garantir l’accès aux aliments agricoles de base à un prix raisonnable ? Ce n’est que contraints et forcés, sous la pression de l’amenuisement du potentiel hydrique national , que les décideurs ont commencé à envisager le recours à d’autres alternatives comme le dessalement de l’eau de mer pour les besoins d’irrigation des grandes exploitations tournées vers l’export qui engloutit près de 80% des ressources en eau. Cette agriculture-là, bien qu’elle n’occupe que 15 % des superficies cultivées, contribue à plus de 40 % en moyenne de la valeur ajoutée agricole et intervient pour 75 % des exportations agricoles.
Mais quid de la petite agriculture bour, représentant le gros du secteur, qui dépend essentiellement des précipitations aussi bien pour les produits de la terre que pour l’élevage ? Une bonne saison agricole au Maroc est synonyme d’une récolte entre 60 et 80 millions de quintaux de céréales, qui constitue le principal indicateur de performance du secteur agricole et même des autres activités économiques. Cela fait quelques années, en raison du retard des précipitations et de leur insuffisance, que le Maroc recourt aux importations de blé pour nourrir sa population… Est-il raisonnable que le blé reste encore l’étalon de mesure du dynamisme de l’économie nationale dans sa globalité ? La vigueur de la filière agricole est-elle condamnée à être mesurée sans la moindre planification ni prévoyance à l’aune du volume des quintaux de céréales réalisés en interne ? Est-ce une fatalité que la culture céréalière qui représente près de 70% de l’activité agricole fasse toujours partie des impondérables ? Ne faudrait-il pas multiplier les systèmes d’irrigation et de transfert d’eau pour sécuriser à l’avance les 60 ou 80 millions de quintaux, de façon à les sortir définitivement de l’aléa climatique ? C’est la seule solution envisageable pour éviter au pays de vivre en permanence dans cette incertitude qui menace sa souveraineté alimentaire, pèse sur le PIB agricole fortement corrélé au taux de croissance et met en danger la vie des communautés rurales, l’environnement et la biodiversité. Renverser la vapeur suppose une véritable politique de transformation du monde rural, qui est une question transversale. Il s’agit pour les différents départements ministériels concernés d’élaborer un plan de développement ambitieux pour les paysans dépendants des cultures pluviales.
Objectif : garantir à la petite paysannerie l’accès, qu’il pleuve ou pas, à des revenus stables et durables pas nécessairement à caractère agricole. L’agro-alimentaire et le tourisme vert peuvent être un excellent levier de cette nécessaire mutation. Mais encore faut-il agir sur le réel via des alternatives viables pour rendre caduque la fameuse phrase de Lyautey : « Au Maroc, gouverner c’est pleuvoir ».