La justice traverse une période de crise qui risque de saper durablement sa crédibilité. En cause des fuites d’enregistrements largement partagées sur les réseaux sociaux, qui portent atteinte à son image et à celle des magistrats. Le dernier en date, d’une durée d’environ de 22 minutes, dont les circonstances de sa divulgation sont mystérieuses, a mis, quelques jours avant l’Aïd El Kebir, sur la place publique, la teneur d’une discussion attribuée à deux magistrats de Casablanca dont l’un est le président d’une Chambre à Casablanca et une conseillère près la Cour de Cassation. Cette conversation téléphonique met en lumière une tentative d’ingérence dans un dossier pénal en cours impliquant deux individus poursuivis en état d’arrestation à Casablanca dans le cadre d’une affaire où ils seraient injustement impliqués. Et c’est en faveur des deux accusés, dont elle dit connaître l’une des mamans, une pauvre femme de ménage, que la personnalité judiciaire en question a entrepris sa médiation auprès de ses deux interlocuteurs tout en les mettant en garde contre les agissements d’une avocate de la défense dont elle a même révélé le nom.

Auréolée d’une réputation très peu flatteuse de rabatteuse, cette dernière aurait exigé, à l’insu des juges en charge du dossier, des deux mères démunies la somme de 25.000 DH chacune pour l’obtention de la libération de leurs enfants. Visiblement, la conseillère près la Cour de Cassation est de bonne foi, ne cherchant qu’à rendre service, comme cela arrive souvent dans notre société, à une connaissance aux prises avec un monde où la justice ne semble pas souvent se rendre dans les conditions de probité requises. Et c’est pour alerter les deux magistrats sur le comportement de cette femme « dangereuse » et protéger la justice, « déjà secouée par le scandale de Béni Mellal », qu’elle s’est permis d’intervenir explique-t-elle.

Le scandale de Béni Mellal qui était encore frais a abouti à l’interpellation le 23 juin dernier d’un juge près la Cour d’appel de cette ville et un élu communal de cette même ville en flagrant délit de corruption.  Les deux hommes ont été dénoncés dans le cadre du numéro vert anti-corruption par une femme invitée à débourser la somme de 150.000 DH en échange d’une réduction de peine pour son fils.

Les deux affaires ont un point commun : les rabatteurs des tribunaux, ces intermédiaires qui agissent comme si la justice était un bien marchand ou un service négociable.

Les premières menaces qui risquent de porter atteinte à l’indépendance du juge sont consubstantielles à son statut dans son aspect matériel et moral qui détermine à la fois sa vie professionnelle et sa vie tout court…

Dans la première affaire, les choses ont pris aussitôt une tournure dramatique à cause d’une partie de l’enregistrement audio où l’un des magistrats affirme que « 90% des avocats sont des escrocs (…) et salissent notre image ». Face à ce double scandale retentissant, tentative d’ingérence dans une affaire judiciaire en cours et une mise à l’index directe de la corporation des avocats par un membre du corps des magistrats, le ministère public a agi avec célérité en chargeant la BNPJ de mener les investigations nécessaires sur les tenants et aboutissants de l’enregistrement audio en cause.

De leur côté, les avocats, via leurs différents organes de représentation, sont montés au créneau pour multiplier les communiqués de dénonciation.  Le barreau de Casablanca a fustigé une affaire qui « renferme des accusations graves et une ingérence dans la profession d’avocat » et nuit gravement à « l’indépendance de la justice» tout en touchant « dangereusement à des principes constitutionnels ».

Au-delà de l’émotion qu’elle a provoquée dans les rangs des robes noires, cette histoire interroge au fond la relation magistrats-avocats qui est visiblement loin d’être saine, et qu’il convient de clarifier, et si besoin est d’assainir.  Objectif : la protéger des brebis galeuses qui traversent du reste bien des professions et des domaines, de façon à ce que les deux professions, censées être complémentaires dans le respect de la loi et de la déontologie professionnelle, oeuvrent pour garantir dans la probité les droits des justiciables.

L’affaire de la fuite de l’enregistrement audio, qui révèle au grand jour une autre réalité moins flatteuse, est porteuse d’une tentation dangereuse. Celle du « tous pourris » alors que le corps de la magistrature et celui du barreau restent sains. Elle montre également que si l’indépendance du parquet par rapport au pouvoir exécutif a mis la justice à l’abri de l’influence du gouvernement, elle n’a pas pour autant régler le problème crucial de l’indépendance des juges.  

C’est pour cela que le président du ministère public El Hassan Daki, que l’on dit très affecté par ces deux scandales, doit agir pour protéger les juges contre les diverses pressions auxquelles ils sont soumis en permanence.

Car les premières menaces qui risquent de porter atteinte à l’indépendance du juge sont consubstantielles à son statut dans son aspect matériel et moral qui détermine à la fois sa vie professionnelle et sa vie tout court… Aussi, l’instauration des mécanismes d’un véritable État de droit est-elle tributaire de l’installation d’un cercle vertueux dans l’appareil judiciaire où le juge est la pièce maîtresse du dispositif. Ce n’est que dans un contexte où il est protégé de lui-même que la justice peut être rendue dans les conditions d’impartialité requises.

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