La diplomatie transactionnelle de Donald Trump a de nouveau frappé jeudi 10 décembre. Après avoir enrôlé les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan dans la normalisation de leurs relations avec Israël, c’est au tour du Maroc de franchir le pas après avoir longtemps fait de la résistance pour des raisons plus affectives que politiques. Comment en effet rétablir les liens avec l’État hébreu, qui tue du Palestinien dont il a volé la terre tout en lui déniant le droit de disposer de son propre destin, sans que le Royaume, historiquement aux avant-postes de la défense de la cause palestinienne, passe pour un pays qui lui tourne subitement le dos ? Gros dilemme, en effet.  

Le choix devient moins cornélien lorsque la reprise des relations avec Tel Aviv est accompagnée en retour de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Là, le deal est difficile à refuser.  Du genre à vous pousser à bien réfléchir avant de dire non au risque de le regretter toute votre vie.

La première puissance mondiale qui reconnaît, en quelques tweets bien limpides, la marocanité du sahara que l'Algésario dispute au Maroc depuis 1975 est une opportunité rêvée à saisir, avant l’entrée en fonction le 20 janvier 2021 du Joe Biden issu du parti démocrate, réputé plus sensible que les Républicains aux combats des minorités. C’est dire que Rabat se devait d’accepter les termes de l’arrangement de Donald Trump, sachant que celui-ci a très peu de chance d’être proposé de nouveau à l’avenir. Il fallait faire preuve de realpolitik surtout lorsque l’on connaît la sacralité de l’intégralité territoriale nationale chez le Roi et son peuple et la détermination du Royaume, qui ne s’est jamais démentie, pour sortir de ce conflit factice  fabriqué par son meilleur ennemi et pour lequel il a payé un lourd tribut. Quid alors de la cause palestinienne? Pour les autorités marocaines, la normalisation avec Tel Aviv n’est pas antinomique avec la poursuite de la défense de la cause palestinienne dont il s’agit toutefois, aujourd’hui, au vu de l’offensive diplomatique américano-israélienne sur le monde arabe, de réviser les mécanismes pour imaginer autre chose que les positions de  confort  habituelles comme les marches de protestation ou les communiqués d’indignation qui ont montré suffisamment leur caractère inopérant. Il ne suffit pas en effet de dénoncer une réalité, l’occupation israélienne, pour la changer… Tout compte fait, il y a fort à parier que le dossier palestinien a tout à gagner dans une dynamique de dialogue, favorisée par le rétablissement des canaux diplomatiques entre le Maroc et Israël, que dans la politique de boycott adoptée jusque-là qui, force est de le constater, n’a nullement fait avancer le conflit israélo-arabe dans le bon sens. Bien au contraire.

Le déclenchement de la deuxième Intifada en 2000 a fait fermer les « bureaux de liaison » installés entre les deux pays en 1994 et isolé un peu plus les Palestiniens. Le retour du Royaume, pionnier et visionnaire à la fois dans l’ouverture de pourparlers avec l’État hébreu (l’accueil à Ifrane du Premier ministre israélien Shimon Peres par Hassan II en 1986 en témoigne ), au centre du processus de paix au Proche-Orient,  est un gage d’espoir pour le peuple palestinien. Ce dernier peut compter sur la diplomatie de la médiation marocaine servie par l’aura et le respect immenses dont jouit S.M le Roi Mohammed VI dans les milieux israéliens et même au-delà. Et c’est tout le sens du communiqué du cabinet Royal, reprenant la teneur de l’entretien téléphonique entre le président Trump et le Roi du Maroc qui a affirmé que la reconnaissance d'Israël n'affectait en aucun cas l'engagement du royaume à la résolution du conflit israélo-palestinien tout en rappelant   son soutien à la solution à deux États – israélien et palestinien, par ailleurs compromise par la poursuite illégale en vertu  du droit international de la colonisation en Cisjordanie.

A y regarder de plus près, tout dans les termes de cette transaction politique « historique », confectionnée par ce redoutable « deal maker » qu’est Donald Trump, touche la corde sensible des Marocains : l’affaire du Sahara, la cause palestinienne et la communauté juive marocaine vivant en Israël qui réclame depuis plusieurs décennies l’ouverture d’une ligne aérienne entre Casablanca et Tel Aviv. Ce sera désormais chose faite. Ces trois éléments, qui s’entrechoquent dans le cœur des Marocains, font plus appel à l’émotion qu’à la raison, à l’affect qu’aux petits calculs.

Au-delà de ces trois passions qui font du Maroc un pays à part sur l’échiquier arabo-musulman, tout observateur avisé ne manquerait pas au demeurant d’appréhender la portée stratégique de ce qui commence bien à se dessiner à l’horizon : un renforcement au grand jour de l’axe Washington-Rabat-Tel Aviv. Cette alliance tripartite, unique dans sa mécanique et ses objectifs, est un billard à plusieurs bandes qui procède d’une volonté américaine de remodelage des alliances géostratégiques au Maghreb et en Afrique. Avec comme toile de fond la nouvelle politique de Washington visant à contrecarrer la présence chinoise et russe sur le continent devenu depuis plusieurs années le terrain d’une guerre d’influence féroce entre les grandes puissances.

Qui mieux que la position stratégique du Maroc et son Sahara désormais reconnu par les États-Unis comme partie intégrante de son territoire, où Washington a annoncé en même l’ouverture d’un consulat, pour servir de fer de lance à la «Usafrique»… Pour ce faire, l’administration américaine, qui a du retard à rattraper sur ses concurrents, compte s’appuyer sur l’Overseas Private Investment Copporation (OPIC) pour réaliser des investissements dans les pays en voie de développement, à commencer par le Maroc pour lequel l’administration américaine sortante a promis dans la foulée du deal trumpien une enveloppe de 3 milliards de dollars.

Et l’Algérie dans ce qui apparaît comme le dernier clou planté dans le cercueil de l’Algésario, diriez-vous ? Sonnée par la décision de Washington de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara, en proie à une déroute politique et économique profonde, incapable de se libérer de son complexe du Maroc et partant se projeter dans l’avenir,  l’Algérie n’a d’autre choix pour sauver la face que de revenir enfin à de meilleurs sentiments envers le Maroc…

Tout porte à croire que le nouvel axe Washington-Rabat-Tel Aviv, qui semble s’inscrire dans le monde d’après, porte la promesse d’une accélération de l’histoire. Pas seulement en Afrique, au Maghreb ou au Proche-Orient mais aussi dans l’espace européen dont les membres se targuent d’être liés au Maroc par un « partenariat stratégique » incarné par un statut avancé accordé à Rabat en 2008.

Mais force est de constater que l’entreprise audacieuse de Trump a montré en creux le déphasage de l’Union européenne dans sa relation ambivalente avec le Maroc dont elle a toujours considéré le Sahara comme un «territoire non autonome» et une épée de Damoclès au-dessus de la tête du Royaume et jamais vraiment comme un pont entre l’Afrique et l’Europe. C’est toute la différence avec l’approche américaine. Donald Trump, qui a au moins le mérite de la clarté, a vu, lui, dans les provinces du sud marocaines un levier important d’un partenariat multiforme d’un genre nouveau…

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