Le grand nettoyage a-t-il commencé ?

A ce rythme d’expédition à l’ombre de députés pour divers délits, le Parlement finira par tenir ses réunions en prison, s’est exclamé dans une boutade  un internaute dans la foulée de l’emprisonnement de  deux figures du PAM, Said Naciri et Abdenbi Bioui,  pour trafic de drogue et blanchiment d’argent. Le président du Wac et le patron de la région de l’Oriental ont rejoint à Oukacha l’ex-ministre et également député , le MP Mohamed Moubdii en détention provisoire depuis avril 2023 en raison de sa mauvaise gestion de la commune de Fkih Ben Saleh pour tenir compagnie à un autre député, de l’UC celui-là, Babour Sghir condamné en mars 2022  à  cinq de prison ferme  pour escroquerie. Entretemps, les deux prisonniers verront débarquer un autre collègue, le RNI Mohamed El Hidaoui et président de l’Olympique de Safi qui a écopé en août dernier  de 18 mois de prison ferme dans l’affaire du trafic des billets du Mondial de Qatar. Un autre député RNI de Fès,  Rachid El Fayek, purge depuis l’été  dernier une peine de 5 ans pour viol  sur une mineure souffrant d’un handicap mental. La liste s’allonge avec l’obtention en novembre 2023  par le député UC d’El Ghrab Yassine Radi d’un séjour pénitencier d’un an pour non-assistance à personne en danger lors d’une soirée bien arrosée avec des filles de petite vertu et la mise en détention provisoire d’un député USFP Abelkader El Boussairi accusé en sa qualité de vice-président de la mairie de Fès  de plusieurs infractions comme  les détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, corruption et falsification de documents officiels. D’autres députés et présidents de commune sont dans le collimateur  et risquent de troquer leur siège parlementaire contre une place dans une petite chambrée. Cela fait évidemment beaucoup de responsables politiques sous les verrous. Jamais le Maroc n’a connu autant de cas de députés et d’élus  déchus pour des actes répréhensibles par la loi et que la morale réprouve. Mais faut-il s’en étonner lorsque l’on sait que cette situation n’est que la résultante d’une longue dérive des structures partisanes  et  le dévoiement de l’exercice et de la militance politiques dans ce pays.

Les Naciri, Bioui et les et leurs semblables ont été enfantés par  cet état de délitement  très avancé de ce qui fait la noblesse de l’engagement et du service du pays.  Dans un système politique  profondément malade et dont  le discrédit qui le frappe ne fait que s’aggraver au fil des années, ces profils obscurs, nantis en avoirs d’origine souvent douteuse et pas en savoir dont a besoin le pays pour avancer,  sont devenus la norme et la normalité. Faisant étalage de manière ostentatoire de leurs attributs d’opulence  suspecte, ils ont même commencé à faire de l’ombre aux fameuses notabilités locales qui sont en train de vivre leurs dernières heures de gloire. Ce sont eux qui sont aux-avants-postes, peuplent les communes, accèdent  aux mandats électifs et à la responsabilité sportive. Dans cet univers de toutes les opacités et des micmacs, la probité et la compétence sont devenues l’exception qui a très peu de chances d’émerger par le suffrage universel. La mauvaise monnaie chassant la bonne, selon la fameuse loi de Gresham, les institutions politiques sont affaiblies et se démonétisent. L’affaire Naciri-Bioui avec tout ce qu’elle promet encore de révéler et de faire tomber comme nouvelles têtes  montre à quel point les instances de représentation nationales, parlementaires et partisanes, ont été investies par les barons de la drogue en quête de protection, de respectabilité et de couverture à leur business illicite. Si le phénomène n’est pas nouveau- des élus étant régulièrement arrêtés et condamnés pour leur implication dans des réseaux de trafic de cannabis- il semble qu’il a pris de l’ampleur et une nouvelle dimension au cours de ces dernières années avec l’intrusion dans le paysage des drogues dures comme la cocaïne.

On ne bâtit  pas un pays sur des bases solides avec une gouvernance politique minée, voire gangrenée, qui concourt à la baisse généralisée du niveau à laquelle nous assistons.

Au diable la compétence et la probité ! Glorifiées juste dans les discours, ces valeurs ne font pas vraiment le poids face aux arguments sonnants et trébuchants. Il suffit d’en avoir suffisamment dans ses coffres forts pour pouvoir animer le souk électoral par l’achat massif des voix pour décrocher sans coup férir la précieuse accréditation en damant souvent le pion aux candidats de valeur ou aux militants maison.  Pas de place ni d’avenir pour les profils désargentés qui n’ont comme argument à déployer que leur esprit de militance ou  preuves de compétence. Le triomphe de l’argent sale, utilisé dans des proportions phénoménales afin de s’assurer un siège sous la coupole, dans une collectivité territoriale ou au sein d’une chambre professionnelle, a fini par  fausser les règles du jeu. Il faut vraiment être naïf pour croire que le candidat qui dépense plusieurs millions de dirhams dans une campagne électorale après avoir souvent payé très cher son accréditation  accepte de se délester de ces montagnes d ’argent pour les beaux yeux de ses électeurs ou pour servir la collectivité… Il s’agit  pour l’intéressé d’un investissement qu’il s’arrangera, une fois élu, de faire fructifier par tous les moyens. Bonjour l’incurie locale dans toute sa splendeur. Dans ce contexte où le principal critère pour ne pas dire l’unique est l’assise financière  du candidat,  les filtres de la représentation, censés permettre la sélection des bons éléments et l’écrémage de l’élite, deviennent inopérants, voire superflus. Au grand bazar de ces boutiques faussement politiques, seule domine  la logique arithmétique avec comme seul  souci de faire élire par n’importe quel moyen suffisamment  de candidats pour pouvoir  aller à la soupe. La quantité  plutôt que la qualité.

Là où l’on voit que les élus sont juste des chiffres et non des êtres. C’est dans ces brèches grandes ouvertes que s’engouffrent les trafiquants de tout genre, se faisant ouvrir un grand boulevard par des chefs de partis peu scrupuleux qui les courtisent en leur faisant même  des courbettes.  Peu importe l’origine de leur fortune ou s’ils justifient d’une quelconque expertise! Comme leurs aînés, les nouveaux entrants, qui parviennent à se faire coopter au sein des instances dirigeantes de leurs partis respectifs alors qu’il n’y ont jamais milité auparavant, sont appréciés à l’aune de leur générosité pour prendre en charge les frais d’organisation d’un congrès du parti ou financer les déplacements du chef et ses désirs.  Preuve que les partis sont des coquilles vides qui ne sont attrayants dans leur grande majorité  que pour les opportunistes de tout poil, les personnes à la moralité douteuse et les voleurs de l’argent public… Résultat : les intérêts de la collectivité se perdent dans les méandres du nivellement par le bas, engendré par un Parlement et des collectivités territoriales peuplés de personnages louches et sans aucune qualification. Sauf lorsqu’il s’agit  de rouler pour des intérêts strictement personnels ou par procuration. Certains pour se servir dans le banquet communal en réalisant un retour sur investissement. Par le recours à la corruption électorale. D’autres pour s’offrir une certaine respectabilité de façade et blanchir leur argent facile souvent sale en nouant des relations troubles au cœur des centres du pouvoir. Les trafiquants de drogue qui se cachent derrière des mandats électifs sont les plus dangereux à cause de leur capacité à gangrener les institutions politiques et de les vider de leur légitimité.  Les autorités, police et justice, doivent continuer à les débusquer et les combattre. L’arrestation des deux personnalités du PAM semble avoir fait sonner l’heure  des comptes.
La réhabilitation de l’action politique, sans cesse prônée par le souverain dans ses discours, est à ce prix.  Celui du nettoyage des Écuries d’Augias. Qui gagnerait sans doute à être accompagné d’un aggiornamento  en vue de provoquer une restructuration en profondeur des partis qu’il s’agit de remettre sur la voie de la compétence et de l’intégrité. On ne bâtit  pas un pays sur des bases solides avec une gouvernance politique minée, voire gangrenée, qui concourt à la baisse généralisée du niveau à laquelle nous assistons, dominée par des petits profils aux commandes politiquement très peu construits. Et que la gestion chaotique du dossier des enseignants a mise en lumière…

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