Abdellah Chankou
11.2.2021 1:56

Quand des gens bravent le froid et violent le couvre-feu nocturne pour battre le pavé  c’est qu’ils n’en peuvent plus, estimant qu’ils n’ont plus rien à perdre. C’est ce qui est arrivé dans la soirée du vendredi 5 février. Plusieurs dizaines de personnes, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, sont descendues dans la rue pour réclamer, non sans incidents, la réouverture du point de passage Tarajal-1 avec Sebta, fermé en novembre 2019 par les autorités marocaines pour mettre fin à la contrebande en provenance de cette enclave marocaine contrôlée par l’Espagne.

La décision aurait été louable si le gouvernement avait offert aux familles du Nord qui vivent depuis plusieurs décennies de ce commerce frontalier des activités de substitution dignes de ce nom pour pouvoir subvenir à leurs besoins dans la dignité. Or, l’assèchement de cette source de revenus, trustée en grande partie par de gros bonnets de la rente contrebandière, est entré entre-temps en collusion avec la crise sanitaire provoquée par la pandémie du coronavirus ; ce qui a eu comme conséquence directe d’impacter durement les conditions de vie des petites mains de la contrebande qui font partie de ces millions de laissés-pour-compte sans numéro de CNSS ni filet social, qui vivent de petits boulots de l’informel dans de nombreuses villes du pays. Au nord du Maroc, où la culture de la contestation sur la voie publique est plus ancrée que dans le reste du pays, le coup d’arrêt imposé à la contrebande n’est pas passé comme une lettre à la poste. Cette décision a donc provoqué les premières tensions sociales dans un contexte covidé, porteur de toutes les menaces…

Pourquoi les décideurs marocains ne se sont-ils pas rapprochés de leurs voisins espagnols pour un partage d’expériences en vue d’une mise en valeur commune, dans le cadre d’un partenariat win-win, des attraits naturels du nord du pays ?

Au-delà de son aspect factuel, la jacquerie de Fnideq interroge directement le gouvernement qui a été incapable d’impulser dans le sillage des grands chantiers d’infrastructure initiés par le souverain  (port Tanger-Med, routes, autoroutes et la  LGV Tanger-Casablanca…) une véritable dynamique dans la région. La seule promesse sur laquelle s’est engagé l’exécutif, la mise en place d’une zone franche à Fnideq comme alternative économique, est restée lettre morte. Or, un tel investissement qui ne se décrète pas  doit s’inscrire en se construisant sur le moyen et le long termes dans une vision de transformation profonde de la zone nord  qui vit essentiellement de la contrebande, du trafic de drogue et des réseaux d’émigration clandestine. Une situation dont les pouvoirs publics, dont l’ambition s’est curieusement limitée à l’usine Renault de Tanger, se sont toujours accommodés malgré les dangers qu’elle comporte alors que cette partie du Royaume recèle d’un potentiel de développement considérable. Le tourisme dans sa dimension balnéaire et culturelle aurait pu être une formidable locomotive de développement régional. Mais dans ce domaine, le ratage est monumental.

La preuve par la belle côte tétouanaise transformée en zones immobilières en front de mer  qui ont  tué dans l’œuf toute dynamique touristique viable et durable. La frustration est d’autant plus grande qu’à quelques encablures de Fnideq, juste un bras de mer de 15 kilomètres à traverser, se déploie le sud de l’Espagne et son tourisme balnéaire propre, séduisant et abordable qui attire chaque année des millions de touristes en grande partie des nationaux. Un engouement sans cesse grandissant qui signe l’échec du tourisme national empêtré dans des problèmes d’attractivité et de bon rapport qualité-prix. La question qui se pose à cet égard  est la suivante: pourquoi les décideurs marocains ne se sont-ils pas rapprochés de leurs voisins espagnols pour un partage d’expériences en vue d’une mise en valeur commune, dans le cadre d’un partenariat win-win, des attraits naturels du nord du pays ? Ce qui aurait permis à cette zone mal exploitée de profiter de la vitalité touristique ibérique en termes de flux et de fréquentation au lieu de rester maintenue dans le carcan du sous-développement et des trafics en tout genre qui produisent du dénuement et de la frustration sociale.  

La même coopération bilatérale pourrait être développée via la création de plates-formes de transformation des produits agricoles à Fnideq dans un esprit de mutualisation des moyens et de partage d’expertise  dans le domaine agro-alimentaire. Avec une vision tournée vers l’export en Afrique. Le travail à l’usine dans un cadre propre et organisé est en tout cas beaucoup plus digne que le spectacle choquant de femmes-mulets dont l’échine ploie sous le poids des produits de contrebande venus de Sebta. Les autorités des deux pays, liés par une communauté de destin de par leur proximité géographique, leur héritage historique et  la similitude de leurs systèmes politiques,  se félicitent régulièrement de la qualité de leur coopération dans la lutte contre les réseaux de trafic de stupéfiants et l’émigration illégale. Celle-ci gagnerait franchement à aller au-delà pour se déployer sur le terrain économique et commercial en Méditerranée.

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