Abdellah Chankou
20.10.2021 20:23

Les cumulards d’ici et d’ailleurs ont toujours été la cible d’une critique populaire forte. Les citoyens leur reprochant, à juste titre d’ailleurs, leur indisponibilité au travail, sur tout de proximité qu’ils ont choisi pourtant d’accomplir. Un député-maire par exemple n’a pas suffisamment de temps à consacrer à ses administrés puisque l’action parlementaire est connue pour être très prenante. L’exercice de tel mandat se fait forcément au détriment de l’autre…  Or, le non-cumul des mandats n’est pas marocain. Malgré l’adoption d’un arsenal juridique assez étoffé visant à limiter les situations d’incompatibilité, les trois derniers scrutins ont fait émerger une réalité qui tend, bien au contraire, à consacrer le cumul comme une pratique bien enracinée dans les mœurs politiques marocaines. Le cas du Premier ministre, sur lequel ont glosé bien des confrères, qui se trouve être en même temps maire d’Agadir, n’est pas le plus représentatif. Ni le plus méchant. Aziz Akhannouch, qui a montré sa capacité à bien s’entourer et déléguer dans sa gestion du ministère de l’Agriculture, Pêche maritime et Développement rural avec l’efficacité que l’on sait, est chargé de concrétiser la haute vision royale pour la capitale du Souss. Maintenu depuis plus d’une décennie dans une léthargie qui lui a fait perdre son attractivité, Agadir est appelé à vivre une belle transformation pour devenir un pôle économique de première importance qui fera la jonction « entre les parties septentrionale et méridionale » du Royaume. Qui est mieux placé pour mener à bien un tel chantier ambitieux que l’enfant prodige du Souss, qui a fait ses preuves aussi bien dans le service de l’État que dans la gestion de ses propres affaires ? Le meilleur allié de M. Akhannouch sur ses énormes challenges locaux n’est pas seulement son pouvoir de chef du gouvernement. Il y a aussi sa crédibilité, et l’autorité morale qu’incarne celui auquel rien dans la loi n’empêche de mener de front les deux charges.

Les vraies situations sur le non-cumul des mandats, en contradiction avec la loi organique n° 065-13 du 19mars 2015 décrétant une incompatibilité entre le mandat de parlementaire et la fonction de membre du gouvernement, sont légion au sein de l’exécutif actuel. A commencer par le cas de Fatima Zahra Mansouri qui cumule son mandat de député-maire de Marrakech avec une fonction ministérielle importante. En situation de cumul, l’avocate du PAM doit en principe démissionner de ses deux mandats électifs. Idem pour le patron duPAM, Abdellatif Ouahbi, dont la réélection en tant que député de Taroudant et l’élection à la tête de son conseil communal se sont enrichies de sa nomination au poste de ministre de la Justice. Le même problème se pose pour le ministre chargé des Relations avec le Parlement etPorte-parole du gouvernement le RNI Mustapha Baitas qui s’est fait réélire député de Sidi Ifni. Quant au cas de sa collègue du partiNabila Rmili, qui a fait couler beaucoup d’encre et fait grincer des dents, il a été royalement tranché, l’intéressée ayant officiellement demandé d’être dispensée de sa charge de ministre de la Santé et de la Protection sociale pour se consacrer pleinement à sa mission de mairesse de Casablanca.  

L’interdiction du cumul des mandats électifs doit en principe être décrétée indépendamment du nombre d’habitants, et obéir plutôt au souci d’éviter les conflits d’intérêts tout en permettant aux élus de se consacrer pleinement à leur mission citoyenne.

Si Mme Mansouri, M. Baitas et M.Ouahbi étaient en France, par exemple, la loi obligerait la première et les suivants à céder leurs fauteuils de mairesse et de député au profit de leurs suppléants respectifs, et ne garder que leurs fonctions ministérielles. Au nom de la séparation des pouvoirs, les trois ministres en question sont tenus de démissionner des mandats qui les placent en porte-à-faux avec la loi. En sa qualité de ministre de l’Aménagement du territoire, de l’urbanisme, de l’Habitat et de la politique de la ville,Fatima-Zahra Mansouri nage en plein conflit d’intérêts, surtout par rapport à son mandat de mairesse. Dans un pays où bien des fortunes colossales se sont construites sur les délits d’initiés liés au foncier, la position politique de cette femme est franchement très sujette à caution. Sauf à considérer qu’elle est une sainte de l’exercice du pouvoir qu’elle ne va utiliser qu’à bon escient, elle est exposée à toutes les tentation set autres pressions du lobby du béton du fait de la concentration entre ses mains  de tous les pouvoirs exécutifs, à la fois à l’échelle locale et nationale, qui lui permettent d’accéder par exemple à  des informations privilégiées en relation avec les zones à urbaniser dans le futur à Marrakech et même ailleurs. Ce qui rend le délit d’initié aussi simple qu’apposer sa signature en bas d’un compromis de vente. En somme, nous sommes sur ce cas d’espèce face à une situation inédite porteuse de toutes les dérives.

En fait, le Maroc politique ne se serait pas retrouvé, à l’issue du triple scrutin du 8 septembre, dans ces confusions à la pelle qui chahute sérieusement la volonté du législateur de mettre de l’ordre et de la transparence dans l’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives. En cause, la loi organique n° 04-21 sur le non-cumul des mandats, une loi franchement paradoxale, mi-figue mi-raisin qui interdit sans vraiment interdire, qui prohibe le cumul tout en le tolérant dans certaines situations… Résultat : Une disposition qui a autorisé le parlementaire à cumuler sa fonction avec la présidence d’un conseil régional, provincial ou même municipal d’une ville de moins de 300.000 habitants. Ce qui revient à dire que l’interdiction des cumuls obéit au Maroc au critère du nombre des administrés jugé déterminant dans l’ampleur de la charge du travail de l’élu en chef. Or, l’interdiction du cumul des mandats électifs doit en principe être décrétée indépendamment du nombre d’habitants, et obéir plutôt au souci d’éviter les conflits d’intérêts tout en permettant aux élus de se consacrer pleinement à leur mission citoyenne. Ce que ne reflète que partiellement la législation actuelle sur le cumul des mandats qui cache certaines pratiques de pouvoir se caractérisant par le désir de concentration par la classe politique des positions d’influence locale et nationale. Pour conserver ses privilèges, cette dernière a tendance à se tailler des lois sur mesure  conçues par des députés qui sont le plus souvent des édiles communaux ou régionaux disposant d’une multitude d’intérêts dans les collectivités locales qui les poussent à se servir plutôt que de servir. Autrement dit, le député légifère quelque part au profit de l’élu local qu’il est aussi. Vous avez dit proximité?

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