L’entrepreneuriat miné par l’informel

Une enquête, intitulée «Profil entrepreneurial du Maroc», coproduite par le ministère de l’Économie et des Finances avec  la Banque africaine de développement (BAD), dresse un état des lieux de l’écosystème entrepreneurial dans le pays. Du profil des entrepreneurs aux besoins de financement, en passant par le potentiel en création d’emplois, le cadre réglementaire et le poids du secteur informel. Celui-ci, et c’est le principal trait saillant de cette étude, pèse aussi sur l’écosystème de l’entrepreneuriat, à hauteur de 70% de l’activité globale à l’échelle nationale . Ce qui est énorme. Ce chiffre dit une réalité récurrente, qui a la peau dure : L’environnement de l’acte d’entreprendre et les diverses  contraintes qui le lestent. «Les diverses réglementations (fiscalité, charges sociales et procédures administratives) et l’instabilité de l’activité économique sont perçues comme les principales contraintes à la formalisation», expliquent les auteurs du sondage qui a porté sur un échantillon de 9.085 personnes dont 2.297 entrepreneurs, en exercice ou potentiels.  Mais l’accès au financement reste le principal frein, selon cette étude, qui  souligne que 80% des sondés font état d’un besoin de liquidités pour financer leurs projets alors que le pays est fort d’un potentiel entrepreneurial évalué à quelque  25% de la population âgée de 18 ans et plus.
Un  paradoxe puisque nombre de banques se vantent, à grand renfort de communication,  de disposer de formules de financement adaptées aux TPME. Dans ce domaine, le fameux adage, on ne prête qu’aux riches,  semble être encore de mise. Le phénomène de l’informel, qui trouve son origine dans un faisceau de facteurs (crise de financement, environnement contraignant, faiblesse du niveau de qualification, …) est assez complexe et c’est ce qui explique, sans doute, la difficulté rencontrée par les pouvoirs publics d’en venir à bout. Plus qu’une question de loi et d’arsenal répressif, l’informel procède d’une nécessité économique et sociale propre aux pays en voie de développement comme le Maroc. D’où la prolifération de l’informel qui représente autour de 30% du PIB selon chiffres 2018 de Bank Al Maghrib  (les institutions nationales et internationales estiment qu’entre 60% à 80% de la population active occupée au Maroc exercent une activité informelle). Ce qui constitue un poids assez important en comparaison avec les pays de l’OCDE (17,2%) et des pays de la région Mena (25%).

Le phénomène de l’informel, qui trouve son origine dans un faisceau de facteurs (crise de financement, environnement contraignant, faiblesse du niveau de qualification, …) est assez complexe et c’est ce qui explique, sans doute, la difficulté rencontrée par les pouvoirs publics d’en venir à bout.

D’ailleurs, la crise sanitaire liée au Covid a révélé l’ampleur de cette réalité socio-économique peu reluisante à travers l’indicateur de la main-d’œuvre non déclarée à la CNSS et donc sans couverture sociale (80% de l’emploi au Maroc est informel à en croire des statistiques de l’Organisation internationale du travail). L’informel c’est ce qui permet à une économie de faire respirer un certain nombre d’activités considérées par l’Etat comme une solution au chômage galopant des jeunes et une économie de survie pour les bataillons de laissés-pour-compte du Maroc aussi bien des villes que des campagnes. Dans son avis rendu en 2021, le conseil économique, social et environnemental (CESE) s’inquiète de ce qu’il appelle les formes « hors informel de subsistance » qui constituent la véritable menace pour notre pays, à l’image de la contrebande, des activités souterraines des entreprises « formelles » (sous-déclaration du chiffre d’affaires ou des employés, etc.), ainsi que l’informel « concurrentiel» au niveau duquel les opérateurs se soustraient délibérément de leurs obligations bien qu’ils disposent des ressources et des structures nécessaires pour s’en acquitter».
Au Maroc, l’informel joue plus que le rôle de soupape sociale, il  nourrit souvent des pans entiers de l’économie formelle dans des proportions qui dépassent de loin celles des vendeurs ambulants, artisans, plombiers, peintres de maison, maçons, taxis,  commerçants,  menuisiers,  domestiques, chauffeurs, auto-entrepreneurs à domicile, etc. Ceux-là représentent la face visible de l’iceberg que les autorités tolèrent pour des considérations sociales et au nom du principe que «tout le monde doit pouvoir vivre» quitte à générer bien des désagréments pour la collectivité et un manque à gagner annuel  considérable pour le budget de l’État ( impôts, taxes et autres droits…) estimé dans une enquête de la CGEM datant de 2016 à pas moins de 40 milliards de DH. Une véritable hémorragie que les décideurs semblent incapables de stopper en raison des politiques suivies qui ne font au fond que favoriser l’informel et le doper.

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