Abdellah Chankou
5.1.2022 23:23

L’université marocaine est-elle devenue un excellent laboratoire d’essai des expérimentations hasardeuses en série ? On est fortement tenté de le penser au vu de la dernière expérience malheureuse en date : l’instauration depuis la rentrée 2021 du Bachelor dont les modalités de mise en œuvre viennent d’être vertement critiquées par le Conseil supérieur de l’Éducation. Bienvenue aux cobayes du Bachelor ! Majeurs mais toujours pas vaccinés contre les épreuves fâcheuses... Censé remplacer le système LMD (Licence-Master-Doctorat) ; jugé moins adapté aux défis actuels dans le domaine du savoir et de l’emploi, ce nouveau cycle de 4 ans résume dans la manière  ayant présidé à sa mise en œuvre tous les travers qui minent le système éducatif depuis des décennies : le syndrome du raccourci et de l’improvisation qui se manifestent par l’envie folle de brûler les étapes là où il est judicieux de faire les choses par étapes. Pas à pas. Dans les règles de l’art.

Il va sans dire qu’il est impossible, sauf si cette démarche procède d’un mode de gouvernance spécifiquement marocain, de construire le premier, le 2ème ou le 100ème étage si l’on n’a pas au préalable jeté les fondations de l’édifice. Le drame du Maroc c’est que de nombreux décideurs croient sincèrement pouvoir construire quelque chose de solide et de durable sans prendre la peine de bâtir les assises et de passer directement au 6ème étage sans avoir même édifié le premier ! Cela fait des décennies que cette vision erronée des choses joue des tours au pays avec les contre-performances dans plusieurs domaines que l’on sait et les diverses déperditions (énergie, argent et temps) qu’elle implique. Résultat : l’échafaudage s’affaisse immanquablement puisqu’il n’a rien d’un bâtiment, pour beau qu’il soit en apparence, construit selon les normes… Faire les choses à moitié en voulant brûler les étapes condamne in fine au surplace et celui qui n’avance pas recule, comme dit l’adage. Le retard accumulé au fil des années, qui enfante le sous-développement, vient principalement du temps que l’on perd à réaliser de travers, pour une raison ou une autre, tel ou tel projet en mettant souvent de la constance, de la ténacité et même du dévouement. Est-ce un hasard si le Maroc renvoie sans cesse l’image, malgré les atouts innombrables dont il dispose, d’un avion immobilisé sur le tarmac et qui peine à décoller ?

L’affaire du Bachelor est symptomatique de cette gouvernance de l’imprévoyance et de la précipitation dont les partisans ne se donnent pas le temps nécessaire en termes de réflexion, d’analyse et de concertation pour aboutir à un projet très bien ficelé.

L’affaire du Bachelor est symptomatique de cette gouvernance de l’imprévoyance et de la précipitation dont les partisans ne se donnent pas le temps nécessaire en termes de réflexion, d’analyse et de concertation pour aboutir à un projet très bien ficelé qui emporte l’adhésion de toutes les parties prenantes. Peu importe que le résultat final escompté par tous soit au rendez-vous. Ce qui compte à leurs yeux c’est l’effet d’annonce et de surfer sur la vague en vogue du moment. La mise en place du Bachelor vite fait mal fait participe sans conteste de cette pensée à la mode consistant à faire basculer le Maroc dans le système anglo-saxon réputé plus innovant et souple que son homologue francophone avec en plus des perspectives jugées intéressantes pour le recrutement. De là est née la conviction que le dispositif LMD, inspiré de la culture française, a perdu de son utilité académique et qu’il fallait faire opérer dare-dare un virage anglo-saxon à l’université marocaine alors que celle-ci est plombée par ces maux rédhibitoires et des insuffisances chroniques.

Dans la précipitation, les promoteurs de cette réforme qui relève du cosmétique n’ont pas douté un seul instant, oubliant au passage de se poser certaines bonnes questions. Histoire de savoir par exemple si l’université marocaine dispose des prérequis nécessaires à l’implémentation d’un Bachelor en termes de ressources humaines qualifiées en nombre suffisant, de programmes bien étudiés et d’outils pédagogiques appropriés et uniformes. Il s’agit aussi de savoir si un étudiant arabisé jusqu’aux derniers neurones depuis le primaire jusqu’au bac dans une école publique en crise a des aptitudes réelles pour obtenir un Bachelor qui ne soit pas un simple titre plein de vide au point de vue habilités et bagage académique. Il ne suffit pas en effet d’ouvrir des cycles Bachelor pour que les entreprises du cru et d’ailleurs s’arrachent ses lauréats comme des petits pains… La performance éducative ne se décrète pas. Elle se construit dès le premier échelon de l’apprentissage scolaire. Dans ce domaine essentiel, celui de bâtir l’homme, nous avons certainement encore du chemin à parcourir et des choses à reconstruire sur des bases solides et dans l'humilité et la rigueur avant d’aspirer à monter vers l’excellence.

Les plus lus
CONFUS DE CANARDUne attractivité à soigner

Certaines voix au Maroc continuent à s’émouvoir de la signature le 25 mars dernier d’un accord d’octroi des visas Schengen entre le consulat général de France à Rabat et le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM)...

Abdellah Chankou
17.4.2024 23:02
CONFUS DE CANARDLa face obscure des réseaux sociaux

Un gramme d’information dans une tonne de désinformation ! Sans grande exagération, on est dans cet ordre de grandeur avec les réseaux sociaux noyés de plus en plus dans un flot continu de fake news...

Abdellah Chankou
10.4.2024 1:14
CONFUS DE CANARDMendicité sans frontières

Ils sont partout et en grand nombre. Aux abords des mosquées et pâtisseries, à la sortie des magasins et marchés, envahissant carrefours, feux rouges, ou simplement la voie publique...

Abdellah Chankou
28.3.2024 1:23
CONFUS DE CANARDDécalage des saisons

Le climat de ce mois de mars est inhabituel, ressemblant étrangement à celui de l’automne et de l’hiver. Ce n’est pas un temps printanier marqué habituellement par quelques jours de pluie fine. Cette situation exprime clairement...

Abdellah Chankou
13.3.2024 23:58