Abdellah Chankou
27.10.2021 23:29

Le navire européen tangue et il y a de quoi. A peine s’est-il remis de la déferlante du Brexit qu’une autre vague le secoue non sans violence. Il s’agit du bras de fer politique entre l’Union européenne et la Pologne au sujet de la primauté du droit de l’UE sur les propres lois des pays membres. Varsovie a eu le courage de contester cette prééminence via son tribunal constitutionnel qui n’a pas, contrairement à ce qui a été écrit par une bonne partie des médias européens, décrété l’incompatibilité de certaines dispositions avec la Constitution polonaise. En vérité, les sages polonais ont dans leur décision du jeudi 7 octobre remis en cause les derniers arrêtés de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui, s’appuyant sur des dispositions très générales des traités, tendent à interférer avec le système judiciaire polonais et par conséquent à en restreindre les compétences.

Bruxelles considère l’initiative de Varsovie  comme une attaque inédite contre les valeurs qui fondent l’UE tout en accusant le parti conservateur nationaliste au pouvoir, Droit et justice (PiS), de menacer la démocratie et l’État de droit dans ce pays. Le gouvernement polonais « joue avec le feu » et pourrait provoquer « une rupture » avec l’UE, a renchéri le ministre des affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, alors que l’Allemagne a, pour sa part, appelé la Pologne à appliquer «pleinement» les règles communes. Justement, ces dernières, vécues comme un rouleau compresseur qui réduit leur souveraineté nationale, passent de plus en plus mal auprès de nombre d’États membres où les langues se sont déliées. A commencer par la France dont plusieurs candidats à la présidentielle comme Valérie Pécresse contestent la primauté du droit de l’UE sur les « identités constitutionnelles ». De son côté, l’ancien négociateur européen Michel Barnier qui a mené les négociations sur le Brexit, également candidat à la course à l’Élysée, est allé jusqu’à plaider, à la stupéfaction de ses anciens collègues à Bruxelles, pour une « souveraineté juridique» des 27.

Loin d’être un phénomène politique à la mode, « le national souverainisme », vu du Maroc, a les allures d’une lame de fond qui pousse vers l’émergence d’une nouvelle Europe moins bureaucratique et plus fédératrice qu’elle ne l’est aujourd’hui. Au lieu de se recroqueviller  sur leurs certitudes, au risque d’accentuer la tentation de l’Europe de chacun pour soi, en menaçant Varsovie de représailles financières pour la faire rentrer dans le rang, les dirigeants européens sont appelés à écouter les voix dissonantes qui montent, et bien regarder la réalité en face. Sans vanité ni excès de confiance. A savoir que la primauté du droit de l’UE, qui après tout n’est pas la Bible, aggravée par une commission européenne bureautique, voire autocratique, crée des malaises sérieux au sein des 27 et même au-delà.

Il est quand même paradoxal de constater que la Pologne est de tous les membres de l’UE le seul État franc du collier qui s’est affranchi sur le dossier du Sahara marocain de la belle duplicité européenne en la matière…

Arrivée dans le sillage du Brexit qui a amputé l’UE d’un membre de taille pour des raisons encore plus compréhensibles, la sédition polonaise, qui pourrait déboucher sur un Polexit si la crise n’est pas désamorcée, est un signal d’alarme sur la nécessité d’une refonte salutaire des fondements de l’Union européenne. Celle-ci, telle qu’elle dysfonctionne aux yeux de nombre de responsables européens, menace la pérennité du projet commun du club des 27.

N’est-ce pas au  nom de cette même supériorité du droit de l’UE que les institutions  judiciaires de cette dernière se sont permises, via différents arrêtés, de contester la souveraineté du Maroc sur son Sahara en annulant les accords, halieutique et agricole, signés avec Bruxelles ? Ces coups de semonce qui mettent gravement Bruxelles en porte-à-faux avec son partenariat privilégié avec Rabat ne font que réjouir momentanément le Polisario connu pourtant de tous pour être une entité chimérique ainsi que son géniteur et sponsor algérien qui s’empresse de saluer une «victoire du peuple sahraoui». Du côté du Maroc, de ses dirigeants et de ses forces vives, les décisions de la justice européenne créent en revanche une incompréhension totale du fait de l’ambivalence de l’UE envers son grand partenaire du sud. Cette ambivalence qui a quelque chose de chronique pousse le Royaume à accélérer la diversification de ses partenariats à l’international et à se tourner vers des pays qui respectent son intégrité territoriale.

C’est quoi donc cette UE dont le système judiciaire braque ses membres au lieu de les conforter dans leurs choix communautaires, et qui foule du pied les accords commerciaux signés par ses instances politiques avec des parties tierces ? Il est quand même paradoxal de constater que la Pologne est de tous les membres de l’UE le seul État franc du collier qui s’est affranchi sur le dossier du Sahara marocain de la belle duplicité européenne en la matière… Grâce à l’entregent de l’ambassadeur du Maroc à Varsovie Abderrahim Atmoun, une mission économique polonaise a débarqué en septembre dernier à Laâyoune et Dakhla pour y prospecter des opportunités d’affaires. Des investissements considérables ont déjà été annoncés dans divers secteurs.

C’est le comble ! Une telle initiative, prise dans le sillage de la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur ses territoires du sud, devait en principe émaner des pays européens historiquement et géographiquement proches, officiellement amis du Maroc, la France et l’Espagne précisément, où ils possèdent des intérêts économiques colossaux. Et non pas de cet ex-pays du bloc soviétique avec lequel le Maroc entretient des relations dépourvues de la même charge historique et émotionnelle… Le petit Poucet de la zone Euro est en train de damer le pion aux « grands amis » européens du Maroc en leur donnant au passage une leçon de cohérence, de géopolitique et de realpolitik. Quelle époque !

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