Abdellah Chankou
22.10.2020 1:43

La France est de nouveau meurtrie, touchée au cœur, par un acte sauvage qui a déchaîné indignation et colère aux quatre coins du pays. Cette fois-ci, la victime est un professeur d’histoire-géographie qui s’est fait décapiter en plein jour, vendredi 16 octobre, aux abords de son collège dans les Yvelines par un jeune d’origine tchétchène. Le criminel, qui sera abattu par la police, serait un loup solitaire qui a attenté à la vie de Samuel Paty pour avoir montré pendant son cours une caricature du messager de l’Islam. Cet acte barbare, dont on ne connaîtra peut-être jamais le vrai commanditaire ni les véritables desseins, commis par un fanatique d’origine musulmane, né à Moscou, mérite d’être dénoncé avec force et vigueur. Aucune religion n’appelle à tuer son prochain parce qu’il s’est rendu coupable d’une injure ou d’un blasphème a fortiori un enseignant qui selon le poète Ahmed Chawki «a failli être un prophète». C’est dire le respect immense dont bénéficie celui qui a eu la bienveillance du message de l’islam en ces termes: «Apprenez la science, apprenez la science avec sérénité et patience et soyez modestes envers qui vous l’enseigne» ou encore «je préfère le mérite du savoir à celui des dévotions ».

Comme ses prédécesseurs, le tueur de 18 ans venu du froid, qui a commis l’innommable, est le produit ou le bras  d’une idéologie ténébreuse sans cesse instrumentalisée qui porte régulièrement atteinte à l’image de l’islam en créant cet amalgame qui nourrit l’extrémisme religieux et divise in fine un peu plus la société française. Le président français Emmanuel Macron a flairé le piège et déclaré, à la fois ému et tendu, le jour du drame, que « l'obscurantisme et la violence qui l'accompagne ne gagneront pas, ils ne nous diviseront pas ». Or, il ne suffit pas de prendre des mesures répressives (fermeture des mosquées, expulsion des individus fichés pour radicalisme, contrôle des contenus haineux sur les réseaux sociaux…) pour en finir avec la menace terroriste diffuse qui met en danger la cohésion du pays. Encore faut-il - et c’est une véritable gageure - œuvrer sérieusement pour éradiquer le terreau (xénophobie, racisme et islamophobie) qui alimente sans cesse les manipulations d’individus d’origine musulmane aux parcours obscurs et incertains pour atteindre souvent des objectifs inavoués.

Les dirigeants français, M. Macron en tête, ont tous condamné comme un seul homme une «attaque contre la liberté d’expression et les valeurs de la République française ». Mais derrière ce discours se profilent des contradictions qui le décrédibilisent. Force est de constater, en effet, que la classe politique et médiatique locale a une notion large et absolue de la liberté d’expression, élevée au rang de valeur sacrée dès qu’il s’agit de l’islam et qui s’arrête tout d’un coup quand il est question par exemple de rire de tout y compris de certaines choses comme la Shoah. Là, on ne rigole plus. Ici s’arrête la parole libre et libérée ! Pire,  la censure revient  au galop dans « le pays des lumières»  et cela fait quelque peu désordre.  

Que viennent faire des caricatures à caractère religieux dans une école laïque? Même si rien ne peut justifier l’assassinat de M. Paty, insulter la foi de deux milliards de musulmans sous couvert de la liberté d’expression est symptomatique d’une volonté d’attiser le feu de l’intolérance et de la division.

L’humoriste Dieudonné M’Bala M'Bala l'a appris à ses dépens en 2014 pour avoir osé tourner le sionisme en dérision en se moquant des juifs. Mal lui en a pris. Cet artiste talentueux, né en France d’un père camerounais et d’une mère française, est devenu subitement infréquentable. La bête noire de la sphère politico-médiatique. Censure et interdiction se sont abattues en cascade sur celui dont les spectacles étaient pourtant appréciés et très courus. Du jour au lendemain, il est viré comme un malpropre, voire un dangereux criminel, des médias français et empêché de se produire par la force de la justice. Et pour cause…

Il s'est vu coller par le pouvoir politique une étiquette infamante: antisémitisme. Même le Conseil d’Etat a été mobilisé pour interdire le spectacle programmé du comédien à Nantes. Une décision pour le moins surprenante dont s’était inquiétée publiquement la présidente de l’extrême droite Marine Le Pen en la considérant comme une «censure» qui bouleverse «l’ordre juridique» en France… Question qui coule de source : Pourquoi refuser à Dieudonné le droit à la transgression et tolérer en même temps le droit au blasphème du prophète de l’islam? Quels sont les ressorts subtils qui justifieraient ce distinguo? La Shoah serait-elle plus respectable que le guide des musulmans qui ne serait pas digne d’être vénéré ?

Abstraction faite des motivations de Dieudonné ou de savoir qui a tort ou a raison dans cette histoire, c’est l’excommunication dont il a fait l’objet qui est intéressante. Elle montre qu’il y a bel et bien une ligne rouge à ne pas franchir et que  la liberté d’expression n’est pas aussi absolue que l’affirment les gouvernants français dans leurs envolées lyriques sur les valeurs de la République; elle peut et doit s’arrêter probablement là où commence le respect de ceux qui considèrent que croquer leur prophète est un acte offensant…Sauf à vouloir verser dans la provocation jusqu’à l’obsession en se moquant de la sacralité de la personne du dernier messager de Dieu alors que tout le monde sait l’importance qu’elle revêt encore aujourd’hui dans la sensibilité musulmane.

La publication de dessins blasphématoires par le journal danois Jyllands-Posten n’a-t-elle pas déchaîné en 2005 une immense vague de colère dans de nombreux pays musulmans et même occidentaux ? Et c’est la publication des caricatures du prophète qui avait fait de Charlie Hebdo la cible des deux frères Kouachi qui ont décimé sa rédaction  en 2015. Le même journal a récidivé en republiant dans son édition du 1er septembre 2020  les caricatures du malheur, à l’occasion de l’ouverture du procès des attentats. «Nous ne nous coucherons jamais. Nous ne renoncerons jamais», a justifié le directeur de Charlie Hebdo, Riss. «La haine qui nous a frappés est toujours là et, depuis 2015, elle a pris le temps de muer, de changer d’aspect pour passer inaperçue et poursuivre sans bruit sa croisade impitoyable», a-t-il ajouté. Mais qui au fond nourrit la haine, celle qui alimente le désir de vengeance et provoque des tueries qui pouvaient être évitées ?

Et puis, que viennent faire des caricatures à caractère religieux dans une école laïque? Un cours d'histoire-géo est-il le lieu approprié pour aborder un tel sujet qui plus est très explosif ?Même si rien ne peut justifier l’assassinat de M. Paty, insulter la foi de deux milliards de musulmans sous couvert de la liberté d’expression est symptomatique d’une volonté d’attiser le feu de l’intolérance et de la division. L'islamophobie rampante ne se limite plus seulement aux tribunes médiatiques et aux discours politiques où elle tient le haut du pavé. Manifestement, elle vient de faire son entrée dans l'école de la République. La France doit se ressaisir.

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