Projet de refonte de la Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD) ! La belle affaire. Telle est l’initiative dont la ministre de tutelle Leila Benali  veut à quelques jours du Ramadan gratifier les Marocains. Savourez d’abord cette partie de  l’intitulé,  la refonte ! En termes clairs, cela signifie le réaménagement du dispositif initial figé au stade de phraséologie que Mme Benali entend redynamiser en le remplaçant   par une nouvelle littérature  qui soit en ligne, dit-elle, avec les recommandations du nouveau modèle de développement.

Chez Mme Benali, le schéma général  se présente ainsi. Volonté  de remodeler un dispositif qui, côté contenu, est à mille lieues des  préoccupations du citoyen lambda et donc sans prise réelle  sur le quotidien de la population. Ce qui n’a pas empêché notre brave ministre d’annoncer courageusement son projet d’aller à sa rencontre dans le cadre d’une consultation populaire. Un concept à la mode, importé d’Europe, qui fait démocratie participative. Donc branché et chic. En somme,  le genre de trucs destinés à faire croire que le citoyen est associé par les gouvernants à la prise de décision et lui faire croire par conséquent qu’il est un acteur de son propre destin. Pour faire encore plus illusion, Mme Benali recourt au virtuel en mobilisant une plateforme numérique pour recueillir les avis des Marocains sur un plan, plus grave encore, refondé et inspiré  par un cabinet de conseil étranger. Manque de pot, la polémique éclate et voilà que la Benali se retrouve contrainte de se justifier comme une gamine prise le doigt dans le pot de Nutella par rapport à ses adversaires politiques qui l'accusent de s’asseoir sur  « la préférence nationale ». Du coup, le sujet ce n’est plus son raout  sur le développement  durable mais son marché de consulting au profit d’une entité  internationale fut-elle « de droit marocain ».

Or, le vrai  problème en la matière  est moins la préférence nationale que la sous-traitance à des cabinets extérieurs de la réflexion nationale! Après la sous-traitance textile, automobile et aéronautique, bonjour  la sous-traitance de la pensée stratégique. On n’arrête pas le progrès !

Mais à quoi rime ce recours presque systématique à ces cabinets, et de quoi  leur emprise croissante sur les politiques publiques   est-il le nom ?  La sphère publique est-elle à ce point dépourvue de compétences maison  capables de confectionner ce genre de mission ?  A quoi servent alors les équipes en interne?  Quel est leur rôle ? Juste meubler le décor et gonfler les effectifs ?  

La souveraineté économique, concept qui a fait  intrusion dans le discours politique au point d’être utilisé à toutes les sauces, passe d’abord par l’indépendance intellectuelle.

Faire appel au consulting privé étranger a pris des proportions telles  qu’il fait partie depuis des années du travail routinier de nombreux  ministères, administrations publiques et entités territoriales. Ces derniers s’attachent leurs services pour s’offrir leurs propres stratégies sectorielles ou lancer une étude quelconque.  Plan Émergence, Rawaj, Plan Azur, Vision 2020 pour le tourisme, les Cités des métiers et des compétences de l’OFPPT… Dans cette course effrénée  aux labels et autres slides, il paraît que la griffe prestigieuse d’un cabinet,  McKinsey,  Price Waterhouse ou Boston Consulting Group (BCG) apposée en bas du rapport,  est en soi un gage de pertinence et de réussite de la commande… Il est grand temps que la Cour des comptes passe au peigne fin ces onéreux contrats de consulting pour en évaluer et le coût et l’efficience…

Le grand paradoxe c’est que les décideurs possèdent tous une stratégie de développement, une vision sectorielle pour le pays célébrées dans les discours mais sur le terrain le décalage est plus que flagrant. La réalité nous renvoie à chaque fois en boomerang des dysfonctionnements et des ratages en pagaille. Quelque chose dysfonctionne assurément. Comment pouvait-il en être   autrement pour des stratégies qui ne sont pas le produit d’une expertise locale capable de saisir la réalité  dans toutes ses nuances et sa complexité  mais de  prestataires étrangers de culture différente qui reproduisent des principes généraux standardisés, souvent non dénuées d’arrière-pensées…

La souveraineté économique, concept qui a fait  intrusion dans le discours politique au point d’être utilisé à toutes les sauces, passe d’abord par l’indépendance intellectuelle. C’est ce secteur essentiel avec ses enjeux stratégiques et ses différentes implications  qu’il faut questionner. Est-il judicieux de s’appuyer sur une pensée stratégique imaginée par d’autres ? La confidentialité des données ne doit-elle pas pousser plutôt à la prudence ? En faisant de la gestion  déléguée  y compris pour  des dossiers engageant l’avenir du Royaume, les pouvoirs publics renoncent  indirectement à un attribut essentiel de l’indépendance économique.

Avant de produire nos propres biens de consommation essentiellement à caractère  industriel, cessons d’importer la réflexion stratégique des autres. Pour cela, il faut faire  confiance aux talents locaux et au « Moroccan intellect » au lieu de le négliger. Le souverain a montré  pourtant la  voie à suivre quand il s’est agi d’élaborer le nouveau modèle de développement. Il n’a pas fait appel à McKinsey ou BCG mais à bel et bien à Chakib Benmoussa…

A bon entendeur, salut.

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