Face à la montée de la grogne sociale et la multiplication des manifestations dans plusieurs villes du pays en raison d’une inflation galopante, le gouvernement a fini par prendre la véritable mesure de la gravité du phénomène. Depuis vendredi 7 avril, le Premier ministre Aziz Akhannouch enchaîne les réunions avec les représentants des fédérations agricoles comme la Comader et la FIPEL. Objectif : provoquer une baisse des prix de certains produits agricoles notamment les légumes pour atténuer les effets de cette flambée vertigineuse sur le pouvoir d’achat des démunis qui n’en peuvent plus. Ce renchérissement que les campagnes de contrôle des prix d’avant et pendant les premiers jours de Ramadan n’ont pas réussi à stopper  met en lumière une rupture de l’équilibre habituel entre l’activité de l’export des fruits et légumes et l’approvisionnement du marché national.

Derrière cette situation préoccupante, c’est tout l’écosystème des produits de la terre, construit de longue date, qui donne visiblement des signes d’essoufflement, révélés par une  conjonction de facteurs internes et externes. En interne, est certainement en cause le recul des surfaces cultivées en raison de la baisse drastique du niveau des barrages dans un contexte de stress hydrique aggravé par l’instauration de la TVA sur toute la chaîne de production y compris les intrants et le matériel agricole (Le Canard avait alerté début mars sur « les ingrédients d’une nouvelle hausse en ébullition » qui risque de rendre « le tagine encore plus cher » à cause de l’instauration de cette TVA). Le tout assaisonné probablement  d’une création monétaire excessive lors des deux années covid marquées par un arrêt  de plus de 60% du tissu économique national et la distribution  d’aides financières directes à des  millions de citoyens confinés sans autre production que les résidus de la digestion.Tout comme la France et le «quoiqu’il en coûte » désastreux de son président, le Maroc paie aussi dans une certaine mesure ses largesses pour faire face à la réduction considérable  d’activité et les pertes d’emplois.

A l’international, la guerre en Ukraine et ses perturbations du marché des carburants et du gaz dont les prix tout comme ceux des intrants (produits phytosanitaires, semences…) se sont envolés. La raison du triplement du prix de la pomme de terre  dans le commerce (12 Dh le kilo actuellement  contre 4 DH) est à chercher certainement dans la pénurie mystérieuse  des semences de ce tubercule très prisé par les Marocains. Impossible d’en trouver sur l’ensemble du réseau commercial national. Rupture dans la chaîne d’approvisionnement ou problème de spéculation ?  

C'est tout l’écosystème des produits de la terre, construit de longue date, qui donne visiblement des signes d’essoufflement, révélés par une  conjonction de facteurs internes et externes.

Dans ce domaine,  l’agriculture nationale est devenue dangereusement dépendante aux  plants  made in Israël. Quid de la filière  semencière nationale qui remonte aux années 20 ? Est-elle toujours performante et source d’innovation et de progrès ? Quelle est sa contribution réelle dans les différentes cultures ? Où sont passées les variétés du cru qui faisaient le bonheur des agriculteurs du bour ? L’accès de ces derniers aux semences, à l’ère du plan Maroc Vert, est-il vraiment assuré et à quel prix? Autant  de questions qui invitent à  une réflexion en la matière. La souveraineté alimentaire, concept à la mode utilisé à toutes les sauces, en dépend grandement. Et avant de parler de la sécurité alimentaire, il serait judicieux de se pencher sur la  sécurité semencière. Ce sont ces enjeux cruciaux que les performances à l'exportation de certaines filières agricoles ne doivent pas escamoter.  Il ne faut pas trop se focaliser non plus sur le problème des  intermédiaires - cela brouille la vision d'ensemble - qui a au demeurant  toujours existé sans que les prix des denrées alimentaires de base ne prennent l’ascenseur.

Le temps est venu  peut-être de sortir de l’informel synonyme d’opacité, ces facilitateurs   nécessaires à la chaîne de distribution. Ce qui suppose de reconnaître la pratique d’intermédiation comme  une profession avec ses droits et ses obligations. Courtier en agriculture serait pas mal. En somme, il est des réformes à entreprendre malgré les résistances potentielles des forces de l’inertie  pour introduire une bonne dose de transparence dans la chaîne de valeur agricole.

La poussée inflationniste actuelle, qui a renchéri au-delà du raisonnable le coût de la vie pour les couches défavorisées et même moyennes, découle d’un faisceau de facteurs imbriqués les uns dans les autres. Ces facteurs contraignants  n’ont fait quelque part que révéler puis amplifier les limites du modèle agricole national dont il convient de s’interroger sur sa capacité à assurer une production abondante et à nourrir  à bas prix la population. Au gouvernement d’actionner les bons leviers, d’agir sur le réel pour le changer. Dans ce cadre, une évaluation objective par le biais d'un audit expert des différentes filières agricoles (végétale et animale) ne serait pas de trop. Il s'agit, sans perdre de vue l'importance cruciale de la donne climatique, d'identifier les fragilités et de corriger les dysfonctionnements afin d'accompagner dans le cadre d'une approche concertée toutes les parties prenantes vers des solutions gagnantes pour tout le monde, le producteur et le consommateur. Le défi consiste à dépasser à l'autosatisfaction qui présente le grand défaut de s'accommoder du statu quo en pétrifiant les problèmes au lieu de les attaquer de front. La patate chaude est là. Au gouvernement d’agir  au-delà du colmatage des brèches en actionnant les bons leviers susceptibles de garantir un équilibrage durable de l’offre et la demande. Faute de quoi, c’est l’équilibre social du pays qu’une inflation maîtrisée peut menacer sur fond de colère sociale.

A travers cette inflation qui s’accélère, le pays est confronté à un défi majeur  en relation avec la sécurité alimentaire et la sécurité tout court. Celui d’immuniser durablement  les composantes du tagine de la fièvre des prix.  Il y a de quoi en faire tout un plat.

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