Il ne manquait plus que l’Italie pour déclarer sa flamme à l’Afrique. C’est désormais chose faite après l’organisation du 28 au 29 janvier à Rome par la présidente du conseil italien Giorgia Meloni d’un sommet Afrique-Italie en présence de 26 représentants des pays du continent. En attendant que se manifeste une énième bonne âme qui veut du bien pour le continent…, le pays de Dante rejoint le club des puissances traditionnelles ou d’acteurs émergents qui ont fait généreusement don de leur « plan pour l’Afrique ». Entre la Chine, les États-Unis, l’Union européenne, l’Allemagne, le Japon, la Russie, la Turquie, la Corée du Sud, l’Inde, il y a, parait-il, encore de la place pour d’autres candidats à la convoitise du continent devenu malgré lui le terrain de prédilection d’une guerre sans merci entre les géants de la planète, drapée des habits de la coopération tous azimuts: économique, militaire, commerciale, culturelle et universitaire…
Dans cette course impitoyable, personne, les convoiteurs autant que les convoités, n’est dupe: ce n’est pas pour les beaux yeux des Africains, maintenus dans un état de dénuement permanent malgré les richesses immenses dont regorgent leurs pays, que les puissances se battent en coulisses en leur promettant monts et merveilles. Loin s’en faut.
Derrière la litanie formatée sur l’émergence africaine ressassée sur tous les tons et son potentiel de développement fabuleux se cache une ruée vers l’Eldorado qui rime dans les faits avec toutes sortes de prédations : minières et foncières, halieutiques et agricoles, sans compter les sorties massives de capitaux …Richesse au sous-sol et misère sur le sol, telle est l’image renvoyée par les pays du continent de 30 millions de km2. Comment pouvait-il en être autrement alors que le pétrole africain par exemple n’est pas la propriété des Africains mais des multinationales du secteur qui en sont avec les régimes en place les principales bénéficiaires?
En vérité, les tenants du discours de «l’Afrique est l’avenir du monde » ne glorifient le continent et ses multiples atouts dans leur rhétorique que pour mieux en siphonner les richesses naturelles, souvent avec la complicité de ses dirigeants corrompus, comme les terres rares nécessaires à la transition énergétique engagée dans les nations développées et émergentes. Dit crûment, c’est sur le terrain africain, où se trouvent les nouveaux relais de croissance, que se joue l’avenir de ces nations en termes de puissance et de compétitivité. Et ces enjeux de développement capitaux valent bien entendu pour les concernés toutes les batailles teintées de duplicité et d’hypocrisie.
Les tenants du discours de « l’Afrique est l’avenir du monde » ne glorifient le continent et ses multiples atouts dans leur rhétorique que pour mieux en siphonner les richesses naturelles.
Pour Giorgia Meloni, le moment est venu pour l’Italie d’avancer ses pions et promouvoir un « changement de paradigme » fondé sur la « non-prédation » et le partenariat « d’égal à égal ». Tout l’inverse de la démarche de la France dont les accusations de néocolonialisme lui ont coûté ses chasses gardées africaines, au Niger, au Burkina Faso et Mali… ou elle a fait face à tant de colère populaire souvent instrumentalisée par des puissances rivales..
Pour Meloni, il y a un bon coup à jouer surtout que la péninsule jouit en Afrique d’une image positive qui, selon sa cheffe de l’exécutif, la qualifie à devenir un pont solide entre les continents européen et africain.
Tout le monde se rappelle de la vidéo devenue virale où elle critique vertement en janvier 2019, soit avant son arrivée au pouvoir, la politique africaine de la France sur une chaîne de télévision italienne. Dans cet enregistrement, opportunément exhumé en novembre 2022 dans la foulée de la crise diplomatique ayant éclaté entre Paris et Rome autour du navire « Ocean Viking» transportant des clandestins africains, on voit la dirigeante d’extrême-droite en train de déplier un billet de francs CFA en le qualifiant de « monnaie coloniale » à l’origine de la paupérisation des populations en Afrique subsaharienne et partant de leur arrivées massives sur les côtes européennes.
« C’est ce qu’on appelle le franc CFA. C’est la monnaie coloniale que la France imprime pour 14 nations africaines, à laquelle elle applique le seigneuriage et en vertu de laquelle elle exploite les ressources de ces nations », affirme Giorgia Meloni, à l’époque déjà à la tête du parti d’extrême-droite italien Fratelli d’Italia. Autrement dit, si l’Europe est victime de vagues successives de flux migratoires c’est à cause des agissements de la France en Afrique. Le « plan Mattei » pour l’Afrique, baptisé en hommage à Enrico Mattei (1906-1962), fondateur de l’Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), la compagnie nationale des hydrocarbures et figure respectée pour son opposition à l’exploitation par les multinationales des pays du tiers-monde producteurs du pétrole, est-il porteur d’une véritable vision pour développement de l’Afrique ou accouchera-t-il à son tour d’une nouvelle forme de paternalisme à l’italienne? Force est de constater que la pléthore de plan de développement et de sommet de coopération à la gloire de l’Afrique n’ont pas permis de sortir le continent de son sous-développement chronique ni les populations de leur détresse économique grandissante . Une chose est sûre : l’Afrique doit se réapproprier son destin, comme n’a de cesse de l’affirmer le Roi Mohammed VI en donnant l’exemple à suivre, pour être une terre de prospérité et de progrès pour ses enfants d’abord. C’est sur ce socle que des stratégies de partenariats gagnants-gagnants et non perdants-gagnants peuvent se construire dans le respect mutuel et l’engagement sincère. Un tel pacte passe sans conteste par un transfert de technologie nord-sud pour une transformation sur place des ressources naturelles du continent. Les exportations des matières premières à l’état brut créent des riches et non des richesses. En dehors d’une politique de rupture dans l’approche de la relation avec l’Afrique, point de salut. Celle-ci sera condamnée à être pour ses citoyens cette source de pauvreté extrême où les puissances continueront à puiser leur enrichissement insolent, indigne, voire immoral.