Abdellah Chankou
10.11.2021 23:18

«Il ne nous reste plus qu’à transformer nos hôtels en unités Covid et notre parc roulant en ambulances», lance en guise de boutade un grand baroudeur du tourisme national. Cette saillie traduit l’état d’esprit de nombreux opérateurs du secteur qui ont du mal à rebondir face à une crise sanitaire qui ne cesse de jouer les prolongations. Vive, donc, l’économie de la guerre… du Covid, la seule qui affiche une prospérité insolente, visiblement bien partie pour durer ! Pas plus rassurés qu’au début de la pandémie, les représentants des professionnels du tourisme national sont sortis de la réunion du mardi 2 novembre avec la ministre de tutelle Fatim Zahra Ammor avec un sentiment mitigé. Si cette dernière s’est engagée à accélérer la mise en œuvre des mesures d’urgence en faveur d’un secteur très sinistré, les opérateurs, eux, n’ont toujours pas obtenu l’essentiel : une visibilité sur le devenir de leurs professions et des métiers du tourisme qui leur permettrait de se projeter dans l’avenir. En cause, la résilience phénoménale de cette pandémie hautement anxiogène qui accouche de vagues successives d’infections au Covid, empêchant les acteurs du secteur de voir pour de bon le bout de tunnel.

Ce « stop and go », qui inscrit l’épidémie dans un temps long préjudiciable à la reprise touristique, fait peser au-dessus de la tête des opérateurs l’épée de Damoclès des suspensions soudaines de vols  avec les pays qui enregistrent un regain des contaminations, jugé grave par le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb comme ce fut le cas récemment avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Mesure extrême difficilement compréhensible s’il en est, qui nous rappelle celle des débuts du Covid, puisque les autorités auraient, à l’instar de nombre de pays touristiques, pu exiger des passagers étrangers de produire un test-PCR négatif. Une telle approche aurait fait éviter  des annulations de réservations en cascade qui ne font qu’aggraver le cas d’un secteur à l’agonie tout en décrédibilisant la signature du Maroc aux yeux des TO qui ont justement du mal à concevoir qu’ils ne soient pas prévenus à l’avance avant de suspendre les vols aériens. A peine le tourisme a-t-il sorti la tête de l’eau qu’il reçoit un coup de massue dessus. Et ce jeu mortifère dure depuis bientôt deux ans. Résultat : les plus fragiles parmi les prestataires, qui n’ont pas une bonne assise financière, ont rendu l’âme depuis plusieurs mois tandis que les plus solides ne peuvent pas, selon certaines sources, résister au-delà de juin 2022. Question de pression permanente sur la trésorerie du fait de l’insuffisance des recettes et de la chute vertigineuse du chiffre d’affaires.

Sans capitaux, matériel et humain, l’on voit mal comment la reconstruction du secteur et sa durabilité peuvent être assurées nonobstant les efforts appréciables de l’ONMT et de ses équipes dynamiques en vue de la reconquête des parts de marché perdues par la destination Maroc.

Facteur aggravant, l’industrie touristique nationale a juste bénéficié d’un sursis sous forme de moratoires et autres reports de crédits bancaires là où leurs collègues européens ont obtenu des aides directes de l’État étant donné que la crise sanitaire relève de la force majeure. Quant au soutien accordé par les pouvoirs publics via le Fonds anti-Covid, il n’a pas dépassé l’indemnité modique de 2.000 DH par mois, accordée au personnel des hôtels, transporteurs et autres agents de voyage. Or, cette subvention est largement insuffisante face à l’ampleur de la crise qui, selon les estimations de l’OMT, fera perdre au tourisme national qui pèse quelque 6,8% du PIB, la bagatelle de 138 milliards de DH entre 2020 et 2022. Sauf à injecter des fonds d’aide dans les entreprises touristiques exsangues, ce passif colossal est difficile pour ne pas dire impossible à résorber et agirait comme un boulet susceptible de plomber, voire de compromettre une relance future de l’activité. Plus pessimistes, certains évoquent le scénario de la disparition si rien n’est fait pour sauver le secteur qui paie le plus lourd tribut au Covid.

Structurel, un tel déficit est accentué encore plus par une autre hémorragie, celle des compétences. Les cadres hauts et moyens, qui touchaient des salaires assez conséquents, ont quitté, la mort dans l’âme, des employeurs désespérés qui n’ont plus les moyens de les rémunérer comme avant pour embrasser d’autres activités. La reprise risque, là aussi, d’être fortement handicapée par cette pénurie de techniciens expérimentés que les entreprises touristiques ont mis des décennies à former. Sans compter les milliers d’emplois détruits dont les victimes sont allées renforcer la cohorte des chômeurs longue durée.

Sans capitaux, matériel et humain, l’on voit mal comment la reconstruction du secteur et sa durabilité peuvent être assurées nonobstant les efforts appréciables de l’ONMT et de ses équipes dynamiques en vue de la reconquête des parts de marché perdues par la destination Maroc. L’équation est complexe. La résoudre implique de comprendre une fois pour toutes que le virus ne disparaîtra pas malgré les vaccins administrés même en surdose, et qu’il faut apprendre à vivre avec en assouplissant au maximum les mesures de restriction. C’est cela la nouvelle normalité à laquelle tout le monde doit s’adapter au lieu de verser, en continu, dans la peur par anticipation de nouvelles contaminations venues d'ailleurs. Tuer toute une économie, pourvoyeuse de devises et d’emplois, parce que le Covid a décidé de vivre encore longtemps parmi les humains équivaut au suicide de tout un pays.

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