Ahmed Zoubaïr
22/6/2023 2:36
Ahmed Lahlimi Alami, Haut-commissaire au Plan et Ryad Mezzour, ministre de l'Industrie et du Commerce.

Les statistiques de Haut-commissariat au plan sur le nombre d’emplois industriels créés au cours de l'année 2022 n’ont pas trouvé grâce...

Les statistiques de Haut-commissariat au plan sur le nombre d’emplois industriels  créés au cours de l'année 2022 n’ont pas trouvé grâce aux yeux du ministre de tutelle Ryad Mezzour qui en excellent juge et partie affiche des chiffres bien plus supérieurs.

Les chiffres du Haut-commissariat au plan ne plaisent pas généralement au gouvernement qui s’empresse de le faire savoir sur un ton plus ou moins amène.  La polémique porte essentiellement sur le nombre d’emplois créés dans le domaine de l’industrie, et la dernière en date  a éclaté au Parlement grâce au ministre concerné, celui de l’Industrie et du Commerce Ryad Mezzour. Ce dernier a contesté le 18 juin dernier devant les députés la démarche du HCP pour la détermination du nombre d’emplois créés qui ne fait que ressortir  « l’absence de valeur ajoutée, de diversité et de la faiblesse des postes de travail créés ». Cela fait « dix ans » que le HCP martèle que  « rien n’a été fait et que la politique industrielle déployée n’a pas eu d’impact, ni en termes de valeur ajoutée, ni en termes d’emploi ». Ce qui ne correspond pas à la réalité selon M. Mezzour qui fustige des « rapports erronés et manquant de crédibilité », concluant que  par un « si nous avions suivi le HCP, nous aurions arrêté tous les projets de développement ». En toile de fond de cette nouvelle controverse, le décalage entre les données chiffrées du HCP et celles livrées par le ministère  de l’Industrie et du Commerce au sujet des emplois générés par le secteur industriel. S’exprimant à l'occasion de la Journée nationale de l’Industrie  co-organisée  avec la CGEM le 29 mars dernier, Ryad Mezzour a fixé  à 96.345 emplois nets industriels générés depuis l’avènement  du gouvernement Akhannouch en octobre 2021.  Mieux, notre ministre s’est même permis d’annoncer par anticipation, en évoquant les indices en sa possession, qu’il finira son mandat ministériel en 2026   avec  la création de 400.000 emplois industriels. Donc, tout roule comme sur des pneus flambant neufs, sur une autoroute bien éclairée. C’est cet optimisme  extrapolatif  que les services de Ahmed Lahlimi ont contredit  dans leur enquête  sur la situation du marché du travail en 2022. Le HCP fait état de 28.000 emplois créés  dans l’industrie, l’artisanat compris.  On est loin des chiffres officiels communiqués  par notre grand ministre qui est du reste d’un bon commerce. Ce n’est pas la première fois que le HCP et le ministère de l'Industrie s'étripent sur les chiffres de l'emploi. C'est une tradition bien respectée. Ahmed Lahlimi  a l'habitude de se faire  reprocher sa minoration de « la performance en main d’œuvre » de l’industrie essentiellement délocalisée.

Ce n’est pas la première fois que le HCP et le ministère de l'Industrie s'étripent sur les chiffres de l'emploi. C'est une tradition bien respectée.

Une guerre des chiffre similaire avait opposé l’ex-ministre de tutelle  Moulay Hafid Elalamy au HCP sur  le dernier bilan emplois du Plan d’accélération industrielle  à fin 2018 : pas moins de 405.496 nouveaux emplois créés par les différentes filières industrielles entre 2014 et 2018, ce qui correspond à 81% des objectifs de création d’emplois du Plan en question lancé en grande pompe à Casablanca en 2014.  « Nous avons listé toutes les entreprises industrielles formelles et nous avons croisé leurs données avec la CNSS pour ressortir les chiffres présentés », arguait  M. Elalamy lors d’une conférence de presse en mars 2018. Mais  quelle est la source de ces divergences statistiques? qu’est  ce qui explique cet écart important entre les chiffres livrés par l’une et l’autre partie ? Visiblement, le problème réside dans la méthode de calcul utilisée et les critères  retenus.  Dans son approche, le HCP  va au-delà du nombre d’emplois créés par tel secteur d’activité et comptabilise aussi les  postes détruits en se basant sur la comptabilité qui donne une image plus claire de la situation du marché national du travail. Quant au ministère, il  détermine le nombre d’emplois créés en croisant les données des projets industriels lancés dans le secteur formel avec les immatriculations de leurs  salariés à la CNSS. Donc, nous sommes face à deux approches différentes, pas du tout comparables, qui aboutissent à des résultats divergents. La polémique était telle entre  les deux responsables que le Premier ministre de l'époque  un certain Saad Eddine El Othmani, avait  annoncé la création  d’un comité de vigilance sur le marché du travail, un machin qui ne verra jamais le jour, supposé jouer le rôle de garant de  la sincérité et de la fiabilité des chiffres de l’emploi au Maroc… « Ce qui est tout de même curieux, c'est que le HCP et le ministre de l’Industrie ont été incapables à ce jour de s’entendre sur une méthodologie commune pour une estimation de l’emploi salarié dans le secteur industriel, s’étonne un ancien ministre.  

Cette guerre des chiffres est unique au Maroc et elle fait désordre. Mais quelle crédibilité donner à la démarche d’un ministère  qui entend être juge et partie, le tuteur du secteur industriel et celui qui en livre en même temps les indicateurs de performance? Or, le HCP est depuis 2003 «une administration de mission» placée sous l’autorité d’un haut-commissaire qui jouit d’une indépendance de fait vis-à-vis du gouvernement dans tout ce qui a trait à la production et analyse des statistiques officielles au Maroc. «  Et c’est  tout son problème ! Cette indépendance dérange et contrarie  car elle n’est pas faite a priori pour corriger ou sublimer les chiffres de tel ou tel secteur  mais bien de rendre compte de la réalité de sa performance à partir de sondages et d’enquêtes menés selon les standards internationaux en la matière », explique un professeur universitaire. Aurait-on imaginé en effet l’exécutif français contester les données statistiques rendues publiques par Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) sur la consommation des ménages, l’inflation, la croissance économique, le chômage, etc ? Pour éviter à l’avenir ce genre de controverse surréaliste, une seule solution: confier la statistique nationale à un cabinet comme McKinsey (qui s’est vu déjà sous-traiter la réflexion stratégique nationale) dont les études onéreuses et à grand renfort de Power point sont prises pour des oracles d’experts.

Jouahri rend la monnaie de sa pièce à Lahlimi…

Le torchon brûle entre Abdellatif Jouahri et Ahmed Lahlimi.  Le Wali Bank Al Maghrib ne s’en cache pas et il l’a même  exprimé haut et fort lors de la traditionnelle conférence de presse organisée dans la foulée du Conseil de BAM du mardi 20 juin. Le patron du Haut-commissariat a essuyé les critiques du faiseur de la politique monétaire du pays en raison de sa dernière sortie mettant en doute la pertinence du relèvement du taux directeur dans la lutte contre le phénomène de l’inflation. M. Lahlimi est allé jusqu’à affirmer que  l’inflation était devenue structurelle et qu’il fallait désormais  s’y adapter. «Je ne me suis jamais permis de commenter en public le travail des autres. Quand j’ai quelque chose à dire, j’envoie directement un courrier sans que personne ne le sache. C’est-ce qu’il faut faire entre institutions de l’État», a expliqué M. Jouahri sans se départir de son calme habituel.

M.M Jouahri et Lahlimi, deux approches de communication différentes.

Les deux commis de l’État appartiennent  à la même génération. Témoins privilégiés  tous les deux de l'évolution du Maroc et de ses soubresauts. Mais ils ont chacun, côté communication, une approche différente pour aborder les grands dossiers du pays  ! M. Lahlimi, aux antipodes de la démarche de M. Jouahri, adepte du règlement par la bande des divergences entre dirigeants des  institutions de l’État, préfère mettre le débat sur la place en dévoilant  officiellement  la vision de l’instance qu’il représente. Y compris sur les sujets sensibles et qui fâchent. L’inoxydable Abdellatif Jouahri est, comme il se définit lui-même, un vrai cachotier ou en termes plus diplomatiques partisan de l’action en coulisses. Une méthode non dénuée d'intérêt pour un Wali de sa stature évoluant dans un pays où l’information qui compte ne circule pas aussi bien que le cash…

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