Ahmed Zoubaïr
8/10/2020 14:54
Abdelkader Amara, le ministre de l'Equipement, du Transport, de la Logistique et de l'Eau.

Les coupures d’eau ça n’arrive pas qu’aux autres. Depuis quelques jours, l’eau ne coule plus 24 heures sur 24 dans...

Les coupures d’eau ça n’arrive pas qu’aux autres. Depuis quelques jours, l’eau ne coule plus 24 heures sur 24 dans les robinets des ménages à Agadir et certaines de ses localités. Le pire est à craindre.

Depuis samedi 3 octobre, la ville d’Agadir et plusieurs communes avoisinantes sont confrontées à des mesures de rationnement d’eau courante. Ainsi en a décidé la Régie automne multi services d’Agadir (RAMSA) qui dans un communiqué, diffusé la veille, a annoncé que des coupures d’eau quotidiennes de 22 heures à 5 H 30 du matin seraient effectives à Agadir, Dchira, Inezgane, Aït Melloul, Aourir, Drarga et la station touristique Taghazout. Ces mesures restrictives, qui impactent les habitants et leur quotidien, ont un lien direct avec la baisse alarmante des réserves hydriques dans la région. Le principal barrage de la région Abdelmoumen affiche un taux de remplissage quasi nul…Pour une économie régionale basée essentiellement sur le tourisme et l’agriculture, cette situation ne coule pas de source…C’est la douche froide pour les habitants.

Alimentée par les bassins du Souss (16.200 Km²), de Massa (6.280 Km²), de Tamri-Tamghart (2.600 Km²) et par la plaine de Tiznit Sidi Ifni (2.800 Km²), la région d’Agadir paie depuis quelques années déjà la baisse continue de la pluviométrie qui était de l’ordre de 31 % en 2020 par rapport à la moyenne sur 30 ans, passant ainsi de 348 à 239 mm. Le spectre de la sécheresse n’est pas loin… La solution d’un retour à la normale réside dans la station de dessalement d’eau de mer, fruit d’un partenariat public-privé (PPP) entre le ministère de l’Agriculture, l’ONEE et le groupe espagnol Abdengao. Sauf que ce projet d’une enveloppe de 4,4 milliards de DH, destiné à l’irrigation agricole de la plaine de Chtouka et à l’approvisionnement du Grand Agadir d’eau potable, ne sera opérationnel qu’en mars 2021.

En attendant, les gadiris doivent prendre leur mal en patience en s’adaptant à une situation de tous les désagréments dont l’origine se trouve principalement dans l’agriculture intensive pratiquée depuis des décennies dans la région, axée essentiellement sur des cultures très gourmandes en eau qui représente 60% des exportations marocaines des fruits et légumes.  Compte tenu des périodes de sécheresse, longues et sévères caractérisant cette partie du Maroc, les grands exploitants agricoles se tournent essentiellement vers les eaux souterraines qui constituent l’essentiel du potentiel en eau du bassin de Souss-Massa. Cette activité agricole intense et intensive a conduit à une surexploitation chronique de la nappe phréatique. Cette donnée structurelle, dont les habitants ne sont que les victimes collatérales, pose le problème de la viabilité de ce type de cultures (tomates et agrumes). Ce qui  pousse certains  experts à s’interroger si les pouvoirs publics doivent continuer sur cette voie qui hypothèque le développement et la vie  dans la région du Souss ou bien encourager davantage des modes de culture moins gourmands en eau. La pénurie d’eau ça n’arrive pas qu’aux autres. Depuis quelque temps, les autorités sud-africaines ont instauré des restrictions d’eau draconiennes dans les grandes villes du pays. Objectif : éviter le scénario-catastrophe tant redouté : le Jour zéro », quand l’eau cessera de couler du robinet.

A en croire un récent rapport réalisé il y a quelques années par un think tank américain du nom de World Resources Institute (WRI), le Maroc devra affronter un niveau de stress hydrique extrêmement élevé d'ici à 2040. Tout comme une trentaine de pays de la région Mena (Middle East & North Africa), le Royaume risque même de perdre plus de 80% de ses ressources actuelles en eau d’ici à 25 ans, selon cette étude intitulée « Palmarès des plus menacés par le manque d'eau en 2040 ». A plus court terme, le stress hydrique commencera à toucher  le pays dès 2020. Nous y sommes déjà et  le Royaume a fait connaissance bien avant cette date avec les conséquences directes de cette crise : les protestations des populations victimes du manque de cette ressource vitale. Des milliers de personnes avaient investi les rues de Benslimane, de Sefrou, de Khénifra, de Zagora, de Fès, de Taza, de Taounate, d’Ouezzane et de Chefchaouen pour manifester leur colère et réclamer de l’eau.

A Zagora, un groupe de manifestants de la soif a même été condamné à la prison pour avoir pris part à une marche de contestation qui a tourné à la confrontation avec les forces de l’ordre.  Surnommé le « hirak de la soif », ce mouvement a fait réagir le chef de l’Etat qui a donné ses instructions au chef du gouvernement, Saâd Eddine El Othmani en Conseil des ministres, pour trouver une solution à ce problème dans le cadre d’une commission d’experts. Il faut dire que les pouvoirs publics ont été très lents à la détente face aux rapports alarmants des spécialistes, des centres de recherche et des organisations onusiennes. Entretemps, l’exécutif par la voix de Charafat Afilal, ex-secrétaire d’État auprès du ministre de l’équipement, du transport, de la logistique et de l’eau, chargée de l’eau, annonce  « un plan d’action urgent » pour faire face à la pénurie d’eau dont le gouvernement commence à prendre conscience. Ce plan est axé essentiellement sur le renforcement du recours à l’exploitation des ressources souterraines pour un budget de 48 millions de DH dans lequel le département  de la ministre contribue à hauteur de 28 millions de DH. Les agences hydrauliques ont été également mises à contribution pour une participation de 20 millions de DH.

Gaspillage

Aujourd’hui, sans faire son mea culpa, l’exécutif change son fusil d’épaule et entend traiter le problème dans son intégralité. Un rapport élaboré par le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la désertification a tiré aussi la sonnette d’alarme, expliquant que le Maroc est passé en matière d'eau de l'étape du manque à celle de la rareté, ce qui se traduira  par une réduction drastique de l’ordre de 49% de  la portion d’eau pour chaque citoyen. D’où le « Plan national de l’eau », stratégie mise en place par les pouvoirs publics pour anticiper cette pénurie aux conséquences incalculables. Une stratégie que les responsables de l’ONEE concrétisent déjà sur le terrain pour mobiliser de nouvelles ressources en eau de surface et souterraines  par l’investissement dans des dispositifs adaptés,  tels que « l’autoroute de l’eau» pour un montant de 1,7 milliard de DH  qui bénéficiera d’ici à 2030 à 8 millions d’habitants vivant le long de la côte atlantique (Rabat, Casablanca, Tamesna, Témara, Mohammedia, Bouznika, Ben Slimane, etc.) ou par les stations de dessalement d’eau de mer comme celle d’Agadir.

Les raisons de cette crise hydrique, que le changement climatique contribue à aggraver, sont nombreuses. Il y a d’abord la prépondérance de certains secteurs d’activité très gourmands en eau, principalement l’agriculture notamment celle tournée vers l’export. Or, le Maroc jouit d’un climat clément qui lui permet de disposer d'importantes réserves en eau. Pourtant, une grande partie de cette denrée précieuse est gâchée pour différentes  raisons. Sans oublier le fait qu’elle est mal repartie dans le pays  notamment dans le monde rural où elle est massivement utilisée par les grandes exploitations agricoles et dans les villes pour un usage à la fois domestique et industriel. Dans les ménages citadins, l’usage de l’eau reste souvent abusif, victime du gaspillage dans des proportions inquiétantes là où une rationalisation de son usage est devenue une urgence nationale. A cet égard, des campagnes grand public de sensibilisation à l’économie de l’eau - qui fait l’objet d’un gaspillage à grande échelle - et - l’importance de vitale de sa préservation   sont nécessaires. La politique des barrages initiée sous le règne de feu Hassan II a permis au Maroc de développer son secteur agricole tout en  réalisant des stockages importants d’eau. Pour déjouer les pronostics pessimistes, le pays doit s’inspirer de l’expérience de Singapour, pays cité en exemple en matière d’efficacité des mesures prises pour faire face au stress hydrique.

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