La mosquée de Tinmel sérieusement endommagée...

Le Maroc s’apprête à restaurer les monuments historiques qui ont subi de graves dégâts, allant jusqu’à l’effondrement total ou partiel...

Le Maroc s’apprête à restaurer les monuments historiques qui ont subi de graves dégâts, allant jusqu’à l’effondrement total ou partiel. Une décision qui est loin de faire l’unanimité.

Plusieurs monuments historiques de grande importance, dont la fameuse mosquée Tinmel, ont été malheureusement totalement ou partiellement détruits par le terrible séisme qui a frappé le Maroc en septembre. Et là où on attendait l’émergence d’un débat autour d’une question, à savoir « reconstruire ou ne pas reconstruire les monuments historiques ? », aucune question n’est d’actualité. Du moins aucune qui ne soit apte à changer le cours des choses. Ce cours des choses est : Le Maroc va reconstruire à l’identique ce qui, d’historique et culturel, a été détruit. En d’autres termes, nous aurons des monuments historiques construits par des gens portant des casques jaunes et utilisant un matériel de pointe. De quoi donner des idées à l’Egypte pour faire repousser le nez du Sphinx. En effet, selon Hassan Harnane, directeur régional du ministère de la Culture dans la région de Marrakech : « Nous avons déjà procédé à l’étayement des monuments historiques qui en avait besoin. Pour les dommages graves, des études ont été lancées par les cabinets d’architectes, labos… suite à nos appels d'offres. Nous recevrons les CPS (NDLR : cahier de prescriptions spéciales) dans une dizaine ou une quinzaine de jours et nous pourrons lancer la phase de reconstruction ». Pas si vite ! Reconstruction ? Mais… ne doit-on pas en parler avant ? C’est si simple que ça ? « La reconstruction aura bel et bien lieu, à l’identique. Nous suivons les orientations royales pour que les choses redeviennent comme avant le séisme. Les sites qui en ont besoin seront reconstruits avec des moyens traditionnels et seront tels qu’ils étaient avant. D’ailleurs, ce n’est pas une nouveauté. Même avant le séisme on reconstruisait ce qui avait besoin de l’être sans aucune modification par rapport à ce qu’étaient ces monuments avant», nous répond-il, de manière catégorique. Nul n’a son mot à dire, semble être le résumé.

Pourtant, tout le monde a son mot à dire, même les citoyens ; cette question divise fortement. Beaucoup de citoyens, mais pas tous, nous ont grosso modo expliqué qu’ils préféreraient encore des ruines avec une pancarte « détruit par un séisme en 2023 » que ce qui va prochainement voir le jour. D’autres expliquent que les populations environnantes ont besoin que ces monuments « demeurent » car leur pain en dépend. Mais, dans tous les cas, toutes les personnes que nous avons questionnées sont d’accord sur cela : cette question (qui ne se pose pas ni ne se posera) est extrêmement importante. Elie Mouyal, architecte de renom spécialisé en architecture de terre et bio climatique (et qui donc a tout intérêt à ce qu’on reconstruise à l’identique) nous donne ses opinions, des opinions en défaveur de la reconstruction à l’identique : «Il y a certes des règles internationales pour la restauration/reconstruction des monuments historiques, des règles bien instaurées, établies par l'ICOMOS qui relève de l'UNESCO. Les limites sont établies de manière très stricte. Mais mon sentiment est qu'il est difficile de bien reconstruire. En le faisant, on peut aller dans quelque chose de... "pas authentique". Si 10% d'un monument reste debout, il vaut mieux le garder, le maintenir et le préserver. Ainsi aura-t-on un témoignage qui n'est pas altéré ». Toujours selon M. Mouyal, si on reconstruit tout à 100% ou en grande partie, on risque de reconstruire avec beaucoup d'erreurs et on va troubler la lecture historique des monuments. Ça c'était pour le « contre ».

Côté « pour »

Abdallah Fili, enseignant et chercheur en histoire et archéologie médiévales, à l’université d’El Jadida, est d’un autre avis : « Ces monuments détruits par le séisme sont très divers et se composent de sites archéologiques désertés, des mosquées, des palais et des maisons encore en fonction. Pour le scientifique que je suis, la reconstruction à l’identique de ces derniers exemples est une obligation selon les normes internationales en vigueur tout en préservant leurs valeurs techniques, historiques et symboliques ». A en croire le professeur Fili, il ne faut rien voir de négatif dans la reconstruction : « Avec des règles d’intervention reconnues par les chartes internationales et la législation nationale, on ne crée pas des copies conformes mais on pérennise la vie des monuments encore vivants en améliorant les services qu’ils rendent au public ». Voilà donc un autre point de vue, et pas  de n’importe qui. Nous pensions que M. Fili, de par son statut, serait contre la reconstruction. Car qu’aurait de médiéval quelque chose construit au 21ème siècle ? Le professeur nous éclaire d’ailleurs sur un autre point : « Toute intervention doit faire l’objet d'études. Chaque monument est à prendre comme un cas singulier. C’est un travail pluridisciplinaire où archéologue, architecte, ingénieur… travaillent en synergie pour réussir chaque projet. Généralement, ces monuments ne sont pas complètement détruits et donc reconstituables. Le cas échéant, les fouilles archéologiques de sauvetage permettent de restituer ces édifices d’une façon scientifique.

D’autres monuments sont déjà étudiés dans les moindres détails comme la mosquée de Tinmel ; et c’est sur cette documentation ancienne et récente que l’intervention doit s’appuyer. Il y aura toujours des questions en suspens et des zones d’ombre, mais les professionnels trouvent souvent des solutions adaptées ». Bref, ceux qui ont l’air d’être pour sont contre et ceux qui ont l’air d’être contre sont pour. Drôle de monde !

Beaucoup de nuances de gris

Faten Safieddine, historienne et vice-présidente chez Association Turāth pour la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel de Marrakech et de sa région, livre pour sa part un avis pour le moins mitigé. « Entre le blanc et le noir, il y a infiniment de nuances de gris. Il en est de même entre laisser un monument, patrimonial ou pas, déjà détruit par un séisme ou toute autre catastrophe naturelle, (comme l’incendie de Notre-Dame de Paris) continuer à se dégrader sous l’effet du temps, des intempéries ou de manque d’entretien, ou le restaurer pour le rendre comme un sou neuf», explique-elle d’emblée. Et elle ne base pas ses avis sur rien : « Jamais la mosquée de Tinmel construite au 12e siècle, ni le Palais Badii, construit au XVIe siècle, l’un et l’autre plusieurs fois détruits et saccagés par l’homme ou la nature, ne pourraient ressembler à ce qu’ils furent lors de leur construction. Les monuments français bénéficient d’une pléthore de documents, descriptions, plans et peintures d’époque, alors que nous ne disposons pour le Palais Badii par exemple, que de descriptions, plus ou moins précises et véridiques, de quelques chroniqueurs et historiens de cette époque, comme Mohamed Fechtali ». En d’autres termes, avant même le séisme nous n’avions pas, entre guillemets, les vrais monuments. Avouons que c’est fort intéressant.

Encore ! Encore ! « Pour le Palais Badii, le choix s’imposait donc pour le ministère de tutelle, à savoir le ministère de la Culture, de continuer les fouilles archéologiques, de restaurer l’existant tel quel, et d’arrêter au mieux tout risque de dégradation future (NDLR : Mme Safieddine parle ici de précédents travaux, précédant le séisme). Pour la mosquée de Tinmel, dépendant du ministère des Affaires islamiques, le choix fut différent. Restaurer au mieux le peu d’éléments architecturaux et décoratifs ayant résisté aux aléas du temps, et reconstituer certains éléments architecturaux détruits, selon les traces subsistantes des différents éléments architecturaux.

Le résultat fut cette bâtisse, belle certes, mais pseudo-ancienne et totalement dénuée du charme que donne la patine du temps ». Très bien dit ! « Il s’agit à mon avis aujourd’hui, poursuit Mme Safieddine, de trouver le juste milieu entre laisser totalement se dégrader des monuments emblématiques de cette importance et les restaurer comme un décor pour films hollywoodiens. Et ce séisme est une occasion à ne pas rater par toutes les parties concernées pour faire le bon choix en termes de restauration et de reconstruction ». Désolé, Madame, les parties « concernées » ont déjà fait leur choix. On n’attend que les CPS.

Et sujet, pour nous, clos ! Oui… Reconstruisons. Notre propos ne concernait que les monuments réels. Tels qu’ils ont été construits la première fois. On dirait que nos questions arrivent bien trop tard. Aucune objection à reconstruire des monuments déjà « modifiés à l’identique », ou même pas...

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La rédaction
18/6/2020