CANETON FOUINEUR

Plusieurs patients de l’hôpital 20 Août perdent la vue

Victimes d’une gouvernance aveugle ?
Amine Amerhoun
Laila Benhmidoun, directrice de l’hôpital 20 Août.

Relevant du CHU de Casablanca, l’hôpital 20 Août 1953 dirigée par le Dr Laïla Benhmidoun s’est retrouvée récemment au cœur de deux...

Relevant du CHU de Casablanca, l’hôpital 20 Août 1953 dirigée par le Dr Laïla Benhmidoun  s’est retrouvée récemment au cœur de deux affaires concomitantes mais  bien distinctes. L’une est loufoque mais grave. Quant à l’autre, elle est au contraire pour le moins tragique et triste.

Bien que la première affaire suit la seconde si l’on se réfère aux mesures de Chronos, nous la choisissons pour entamer ce discours. Il s’agit de… tenez-vous bien !... l’organisation d’un mariage, au sein même de l’hôpital 20 Août , avec groupe musical, youyous et tout le tintouin, en pleine nuit et jusqu’à très tard la nuit, et ce, en présence de nombreux invités. S’il est interdit de klaxonner à proximité de l’hôpital, il semble, si ce fait est avéré, que ne le dérangent point les gais mélodies, ou même celles plus rythmées, ainsi que les assourdissantes manifestations de joie lors des heureux événements au Maroc. « Un mariage !, s’exclama un confrère  avec son habituel humour désopilant. Allons vite leur demander si on peut réserver un créneau. Peut-être leurs tarifs sont-ils abordables ». Et inutile de contacter un traiteur. J’ai le sentiment qu’ils s’occupent de tout ; ils ne sont quand même pas à ça près.


Mariage à l’hôpital ? Quèsaco ?


On imaginait déjà la standardiste de l’hôpital, répondant aux appels avec un script hilarant : « Bonjour ! Votre appel concerne l’hôpital, la salle de fêtes ou le traiteur ? Avec qui dois-je vous mettre en contact? » Avec le budget restreint de la santé et donc des hôpitaux, dans un monde pas trop regardant, cela n’étonnerait effectivement personne. Il suffirait de fournir des boules Quies aux patients peinant à enlacer Morphée au beau milieu des tintamarres de ces youyous et « slaaa ou slam ». Ces pauvres malades auraient en effet du mal s’endormir à cause de tout ce boucan aux sons hétérogènes qui, mêlé à la musique forte mais de qualité, ne peut que donner la migraine à tous ceux qui n’en sont pas spécialement aficionados (mes hommages, Mesdames !). Ce sont des vidéos à chercher, à voir et à revoir… Astuce : n’oubliez surtout pas que c’est un hôpital. Par contre, quelle ne fut pas notre déception quand la directrice de l’hôpital, le Docteur Laïla Benhmidoune, a tout nié en bloc. Certes, elle aurait pu plutôt d’un air digne répondre « nous prenons les mesures qui s’imposent contre les organisateurs de cet événement qui n’a bien entendu pas reçu l’aval de la direction de l’hôpital » ou même vociférer « C’est ce tout-permis de Brahim, le gardien, le fautif ! C’était le mariage de Chaimae, sa fille cadette ! Il pensait que ça passerait inaperçu ! Il a des neurones en moins ! On lui en passe des choses, mais celle-là aucune chance. Mais toutes mes félicitations, Chaimae, ma chérie ! Que Dieu vous comble de bonheur ! », mouhim un truc du genre, à l’occidentale ou à l’orientale. Mais non ! Cette dernière, le Docteur Benhmidoune, d'un abord très aimable, était catégorique : « Il n’y a eu aucun mariage organisé au sein de l’hôpital. A l'hôpital, nous avons des patients hospitalisés au sein de services médicaux qui reçoivent des traitements et soins médicaux, de jour comme de nuit.  L'hôpital n'est pas un lieu d'organisation de mariages. Malheureusement, certaines personnes profitent de situations pour diffuser n'importe quoi ! ». Circulez, il n’ y a rien à voir ni à célébrer. Le second sujet, fort malheureusement, ne prête absolument pas à rire et est d’une importance ultime.

Septembre noir…

Dans la seconde moitié du mois de septembre, très exactement 16 personnes ont perdu la vue, totalement, après injection dans les yeux, à l’hôpital 20 Août , d’un traitement anti-VEGF (un médicament s'opposant à la formation de nouveaux vaisseaux par l'organisme). Une source bien informée, un médecin de profession souhaitant conserver l’anonymat, nous explique les choses au début de nos investigations, alors même qu’on ignorait de quel principe actif il s’agissait : « On leur a injecté du bevacizumab, plus communément appelé Avastin. C’est un produit très sensible et très utile dans le domaine médical, surtout pour son bas prix et son extrême efficacité. Il existe d’autres alternatives thérapeutiques, comme le Lucentis, mais elles sont horriblement onéreuses. Trente fois plus chères que l’Avastin! ». Notre cher médecin n’énonce pas cela, ces alternatives, pour rien. En effet, nous avons découvert que le laboratoire Suisse Roche, propriétaire de l’Avastin, malgré les pressions inouïes du ministère de la Santé et d’organismes privés et publics (rien que ça !) de très nombreux pays, dont la France, refuse depuis des lustres que ce produit soit utilisé pour des raisons ophtalmiques. Ou du moins d’endosser la responsabilité en cas de tragédie, comme celle que nous vivons… Pour eux c’est un traitement qui, selon les autres médicaments avec lesquels on l’associe, soigne principalement les cancers métastatiques ou bronchiques. Alors que dans notre cas, il était utilisé pour des patients diabétiques ou des patients souffrant de DLMA (dégénérescence maculaire liée à l'âge). Si quelqu’un souhaite l’utiliser pour des fins ophtalmiques, soit ! Mais Roche ne serait aucunement être tenu responsable de ses conséquences fâcheuses. Voilà le topo. Ce qui est arrivé et arrive encore à ces 16 personnes aveuglées, Roche s’en lave donc les mains, sachez-le bien ! L’Avastin n’est pas produit ni indiqué (selon le laboratoire qui le déconseille fortement) pour soigner les maux qu’on a tenté de soigner avec. Effrayant cas de figure, n’est-ce pas ?! Soulignons par contre dans ce chapitre-là qu’il est utilisé un peu partout dans le monde pour soigner ces mêmes maux-là et que des études ont prouvé que niveau risques et efficacité, le bevacizumab (Avastin) n’avait rien à envier au Ranibizumab (Lucentis). En outre, le ministère de la Santé et d’autres organismes publics accusaient (et accusent encore) Roche de ne pas s’engager dans l’usage ophtalmique de l’Avastin car le laboratoire suisse a des intérêts dans le Lucentis, propriété de Novartis. En résumé, que Roche n’embêtait  son monde que pour gagner sur deux fronts ! Mais ce n’est pas si simple, comme nous le verrons.

Zyeutons-y de plus près !

Une association de patients et de professionnels de santé en France, l’association DMLA, appuie Roche dans sa position : « En aucun cas, une utilisation systématique de l’Avastin ne peut être acceptée pour des motifs purement économiques ». Cette dernière association n’en reste pas là : « Les récentes données scientifiques ne permettent pas d’écarter une éventuelle augmentation des effets secondaires, notamment gastro-intestinaux, ou du risque d’endophtalmie lié au reconditionnement ». En bons paranos et conspirationnistes, on pourrait légitimement se dire que ce type d’associations est très proche des labos (et le lobbying des labos est ahurissant !), mais quand on contacte la cheffe de service ophtalmologie de l’hôpital 20 aout, Asmaa El Kettani, professeur universitaire et docteur spécialiste en ophtalmologie (mais aussi peintre et photographe à ses heures perdues ! Tiercé gagnant… Vive la vue !), cette dernière place un mot, un simple mot, qui nous met la puce à l’oreille : « Nous soignons encore les 16 patients. On en a renvoyé cinq chez eux tout en les suivant encore, et les autres sont encore à l’hôpital. Les cinq répondent bien au traitement contre l’endophtalmie qui les a atteints. Tous sont encore atteints de cécité, mais des améliorations sont possibles. Et il faut aussi savoir que la vue de ces patients était à la base très basse » (euh… Et alors? Ne voir que des couleurs et des formes, de la lumière, ce n’est pas ne rien voir du tout. Bref, passons…). Question pour un champion : quel mot a-t-elle utilisé pour les maux qui les atteignent? Endophtalmie, pour sûr… Le même utilisé par l’association. Voilà qui est bien suspect ! A savoir que le reconditionnement est, dans notre cas, le fait d’utiliser un produit pour en faire ressortir plusieurs doses. C’est d’ailleurs ce qui se fait partout dans le monde, pour l’Avastin, dans son usage ophtalmique: un seul flacon pour une ou deux dizaines de patients.

Mais…

Il y a un mais. Comme nous l’explique le docteur Sirine Rezki, ophtalmologiste du secteur libéral, il y a une différence et non des moindres  entre le protocole d’utilisation dans le public et celui dans le privé : « La différence entre le privé et le public c’est qu’au privé la pharmacie de la clinique se permet d’acheter le produit en grande quantité ou en petite quantité, tout dépend du besoin et du nombre d’ophtalmologistes qui travaillent dans cette clinique ». Bref, c’est la clinique qui l’achète, ce qui n’est pas (toujours ?) le cas pour le public, selon le même docteur : « Je présume que la pharmacie hospitalière, en raison d’un manque de moyens ou autre chose, comme des ruptures, ne dispose pas ou pas toujours de l’Avastin. Alors les médecins se regroupent, chacun avec ses patients, pour établir de petits programmes pour que les patients ne ratent pas leurs injections, parce que c’est vital. Ce sont très souvent des urgences, des baisses d’acuité, des chutes de vision qui sont très importantes, pour le diabète notamment. L’injection est la seule alternative dont ils disposent pour sauver l’œil. Les médecins réalisent donc de petits programmes et demandent aux patients de cotiser entre eux pour se procurer le produit depuis les pharmacies à l’extérieur, ou des laboratoires ou délégués de laboratoire ».

Ici, notre source bien informée vitupère ; vraiment, on ressentait de la colère dans ses propos. Ce dernier n’y va pas par quatre chemins pour condamner le protocole hospitalier : « A mon sens, il est tout simplement impensable pour un médecin d’accepter un médicament aussi délicat d’utilisation des mains d’un Kaddour ou d’un Lmâati qui est allé le chercher à la pharmacie. Peut-être l’aura-t-il oublié longtemps dans son coffre, ou sous la chaleur et les rayons de soleil alors qu’il mangeait un casse-croûte. Peut-être aussi l’aura-t-il fait tomber ou a accidentellement ouvert le flacon puis l’a refermé. C’est tout simplement inacceptable d’accepter que des personnes étrangères aux services aient la responsabilité de l’achat et de la logistique d’un pareil produit!» Avec tous nos respects pour les Kaddour et les Lmâati… Mais il a bien raison, de l’avis de tous ceux qu’on a questionnés, et pour vulgariser, injecter l’Avastin doit être soumis à des règles de précaution telles qu’on n’en voit que pour les opérations chirurgicales les plus délicates. Ce traitement peut se révéler très dangereux. Mais, si les protocoles sont bien codifiés et bien suivis, aucun risque. Tout le monde est aussi d’accord là-dessus. Qu’en pense la directrice de l’hôpital  20 Août Laïla Benhmidoun qui est professeur d’ophtalmologie ? Tous ces détails décisifs auraient-ils échappé à sa vision  censée être rigoureuse et experte ?  La cheffe du service ophtalmologie de l’Hôpital 20 Août donne son avis sur cette question de protocole ? « L’idéal serait très certainement d’avoir de l’Avastin à la pharmacie hospitalière. Nous ne sommes pas contre un changement de protocole à ce sujet », nous avoue le professeur El Kettani, « Mais il faut savoir que nous faisons quotidiennement dix ou vingt injections d’Avastin et c’est la première fois que nous avons ce genre de problème ». Alors d’où vient le problème, docteur ? « Dès l’apparition des premiers cas, une enquête interne a été diligentée pour établir les responsabilités. Elle est actuellement en cours, bénéficiant des meilleures conditions. On a des éléments à notre disposition, mais il faut encore une enquête plus approfondie », ajoute-t-elle. Très peu informatives ces explications, convenons-en. Tournons-nous donc vers notre source bien informée qui pourrait nous renseigner : « Plusieurs pistes sont suivies, notamment celle en rapport avec le transport du produit depuis la pharmacie à l’hôpital, mais aussi celle de l’erreur de manipulation. On parle aussi de cause criminelle !» Cause criminelle ?! Vous voulez dire, docteur, que quelqu’un aurait attenté à la vue de ces gens ?  « Mais non ! Peut-être que le technicien chargé de faire ressortir les doses du flacon en aurait de temps en temps chapardé quelques unes… »

Oui, mais dans ce cas on n’aurait pas des complications pour tous les patients (car oui, tous les patients du flacon concerné ont des complications), n’est-il pas, docteur?! S’il ne grappille que quelques doses… « Tu oublies qu’il devrait les garder jusqu’à ce qu’on lui en apporte un autre flacon ! » Ah ! Pour pouvoir le revendre. C’est brillant ! Brillante source confidentielle ! Oui, cela se peut, effectivement… Et quand on demande au professeur Kettani son avis sur cette possibilité, que répond-t-elle, selon vous? « Nous ne pouvons rien écarter et l’enquête dévoilera le fin mot de l’histoire ». Elle ne nie pas ! Elle ne nie pas la possibilité que ce soit un acte criminel… Attendons donc le fin mot de l’histoire, comme elle a dit. Grâce à l’enquête menée par le Comité  de lutte contre les infections nosocomiales ( CLIN ) du CHU, on y verra peut-être un peu plus clair…

Cécité Accidents  sous d’autres cieux…

Cette histoire de cécité liée à l’Avastin n’est pas purement marocaine. En farfouillant un peu sur le net, en plusieurs langues (même en russe), nous avons trouvé plusieurs cas de groupes ayant été atteints de cécité suite à une utilisation groupée de ce produit : Inde, Pakistan, Russie, Nigéria, Etats-Unis… Certains pays ont cherché des boucs-émissaires, le Nigéria et la Russie par exemple s’étant contenté de blâmer les médecins qui n’auraient pas dû opter pour un type de traitement utilisant un médicament qui n’est même pas recommandé (le traitement) par le laboratoire lui-même. On peut également citer le Pakistan qui a parlé de médicaments contrefaits portant le label Roche (alors même qu’un seul groupe avait été atteint de cécité. Ces bandits machiavéliques n’avaient-ils contrefait qu’un seul flacon ?). Certains autres font état  d’erreurs de manipulation et de sanction des responsables. Bref, des goûts et des couleurs, en matière de bobards étatiques, on ne discute pas. On voit que pour le même cas (à l’international) chacun invoque je ne sais quoi et que partout dans le monde on utilise les moyens qu’on peut pour embobi… Euh, pardon ! on utilise les moyens qu’on peut pour apaiser la population, la bercer d’illusions, et faire oublier les histoires qui puent. Mais ce n’est pas de ça dont les Marocains ont besoin. Ils veulent la pure vérité. Un « je ne sais pas » vaut toujours mieux qu’un mensonge motivé par de la politique et saupoudré de boucs-émissaires innocents. Les Marocains n’ont pas besoin d’un responsable sur qui pointer le doigt, mais juste de savoir ce qui se peut et (nous insistons sur le « et ») ce qui ne peut pas se savoir. Car, avec ce protocole hospitalier à deux sous, nous ne voyons pas comment les responsabilités pourraient être établies, sauf pour un technicien chapardeur de doses (à qui les revend-il ?). Et puis qui sait ?! Attendons demain pour voir et espérons un bon rétablissement à ces 16 patients pour qu’ils puissent à nouveau admirer le lever du jour. Soulignons qu’en Inde, grâce à des opérations chirurgicales, les médecins ont réussi à redonner la vue à tous leurs patients dans le même cas. Comment ont-ils fait ? Piste à suivre, amis docteurs… si pas trop de différences pathologiques.  A.A

Les plus lus
Un tiers de confiance digne d'intérêt

Un différend avec votre banque ou organisme de crédit ? La solution existe et elle a pour nom le Centre marocain de médiation bancaire...

29/7/2022
CANETON FOUINEURLe Roi siffle la fin de l'ambivalence

Le discours, prononcé par le souverain le 6 novembre 2021, à l’occasion du 46ème anniversaire de la Marche Verte, était très attendu...

La rédaction
10/11/2021
CANETON FOUINEURLa traversée du désert d'un parti

Député-maire de Laâyoune, Hamdi Ould Errachid a réussi à verrouiller le système politique local et régional dominé...

Jamil Manar
21/4/2021
CANETON FOUINEURTebbouniades au pays des Soviets

Cela se voit que Vladimir Vladimirovitch Poutine s’ennuie à mort et qu’il a besoin de divertissement pour déstresser de la guerre en...

Saliha Toumi
22/6/2023