CANETON FOUINEUR

Autodafé du Coran entre Maroc, Danemark et Suède

Les flammes de la haine
Amine Amerhoun
7/12/2023 0:08
Une provocation qui enflamme la rue arabe et musulmane…

Les profanations du Coran au Danemark, plutôt celles permises par les autorités danoises, seront bientôt de l’histoire ancienne. Une bonne..

Les profanations du Coran au Danemark, plutôt celles permises par les autorités danoises, seront bientôt de l’histoire ancienne. Une bonne nouvelle pour le Maroc et les Marocains qui dans leur majorité condamnent vigoureusement de tels actes. Par contre, en Suède, c’est une tout autre histoire. Enquête.

Que des pays permettent les profanations du Coran, le Maroc n’a jamais vu cela d’un bon œil. Et il le fait toujours savoir. Fin juin dernier, par exemple, le Chargé d’Affaires du Royaume de Suède à Rabat a été convoqué au siège du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, et simultanément l’ambassadeur du Maroc en Suède a été rappelé sur instruction du Roi Mohammed VI en consultation pour une durée indéterminée, cela après que le gouvernement suédois a autorisé une manifestation au cours de laquelle le Coran a été brûlé devant une Mosquée à Stockholm. En outre, autre exemple éloquent, et environ un mois après, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé à l’unanimité une résolution proposée par le Maroc contre l’autodafé du Coran et les discours de haine. Ce n’est pas rien… Et ce n’est pas tout. Ce ne sont que des exemples. Côté citoyens marocains, bien que les avis soient quelque peu mitigés sur les solutions envisageables, on retrouve quasiment partout la même indignation. Nabil B. nous fait part de ses avis : « Ça me touche qu’on brûle le Coran, c’est sacré pour moi mais ça n’a pas la même valeur chez celui ou celle qui fait l’acte. Il/elle cherche à attirer  l’attention, donc pour moi il faut l’ignorer. Et, franchement, ça fait polémique pour rien ». Mais pour Chaimaa M., il est impensable de passer l’éponge : « C'est un acte méprisant qui suscite un conflit interculturel intense, et qui n’est pas intégré dans la liberté d'expression. Les États doivent intervenir promptement pour interdire les autodafés du Coran, vu que ça se considère comme un abus de la liberté d'expression, étant donné que ça touche d'une manière néfaste la religion islamique. Normalement quelles que soient nos origines, nos nationalités ou religions, nous devons impérativement respecter les convictions religieuses d’autrui dans le but d'assurer la paix universelle et la protection des droits civiques de chacun de nous ». Même son de cloche chez Asmaa J., qui parle même de répercussions qui vont de soi, de haine qu’il ne faut surtout pas attiser : « Les autodafés de textes considérés comme sacrés sont une atteinte aux droits des autres de voir leurs religions et leurs croyances respectées. C'est pour ça que les incinérations du Coran ne relèvent  pas de la liberté d'expression mais d’une atteinte  directe aux sentiments de milliards de musulmans. Les autorités danoises et suédoises ne doivent pas permettre de tels actes car ils instillent de la haine et du mépris entre les peuples. Et tout comme il y a des extrémistes dans les pays nordiques pouvant brûler des Corans, il existe également des extrémistes dans les pays musulmans qui peuvent nuire aux intérêts des pays nordiques… ». D’autres Marocains voient même beaucoup plus loin que ça, telle Hasnaa M. qui nous explique : « Je pense que permettre les autodafés du Coran et autres textes sacrés peut mener à des choses graves, à moyen ou long terme. Cela motivera beaucoup plus de gens à témoigner progressivement moins de respect qu’ils ont pour une religion particulière et en fin de compte ça peut engendrer des problèmes gravissimes. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce genre de graines que tentent de semer certains. Hitler a commencé « petit » à répandre ses théories… On l’a laissé faire et puis voilà ». Le pire, c’est que ça se tient ! Et ça donne froid dans le dos… Voyons alors un peu ce qui se passe dans les pays concernés.

Chez les Danois !

Les Danois ont depuis quelques mois commencé à prendre le taureau par les cornes. En l’occurrence en engageant  le dur et incontournable  périple de la promulgation d’une loi, visant à interdire les autodafés du Coran, de manière assez indirecte. En effet, le projet de loi dans sa forme actuelle, condamne tout « traitement inapproprié des écrits ayant une signification religieuse importante », sous peine d’une amende ou d’une peine de prison de deux ans, alors qu’avant le texte proposait de condamner toute atteinte à des « objets ayant une signification religieuse importante ». Bref, l’objectif est clair. « On ôte et change ce que vous voulez dans le texte de loi pour peu que les autodafés du Coran soient interdits », semble dire l’appareil législatif danois. Karin Liltorp, parlementaire danoise, nous explique un peu ce qui se passe –encore- dans ce pays scandinave : « Au Danemark, nous pouvons tous exprimer librement nos opinions. Nous pouvons critiquer tout le monde, y compris le Premier ministre et toutes les autres personnes puissantes. C'est pourquoi nous laissons également la parole à ceux qui ont des "attitudes antipathiques", car nous pensons que c'est la meilleure façon de parvenir à la compréhension : l'ouverture mène au débat. Si vous dites quelque chose de stupide et d'antipathique, on vous traite d'idiot, mais vous ne risquez pas d'être puni. Et la police danoise est obligée de protéger les personnes qui manifestent, même si elle pense que le but est extrêmement stupide et antipathique ». Mais notre interlocutrice voit une différence de taille entre cette liberté accordée et ce qu’en font des extrémistes : « Nous avons des lois contre le racisme ! Brûler des Corans, comme nous l’avons vu, a pour but de se moquer des musulmans. Nous considérons cela comme un acte raciste n’ayant d’autre but que la provocation. C'est pourquoi nous souhaitons que cela cesse, car nous ne pouvons pas accepter que des actes racistes soient commis en public et obligent ainsi la police à protéger les provocateurs. Très peu de personnes sont responsables de ces incendies et ne représentent en aucun cas les Danois. Par conséquent, le contexte de la loi est que nous n’accepterons plus que les Corans soient brûlés, car cela vise uniquement à provoquer ».

Mais en Suède…

Chez les Suédois, on ne voit pas encore les choses de la même manière, malgré l’exemple Danois. Stefan Olson, parlementaire suédois, nous donne sa vision au sujet de cette problématique pour le moins très problématique : « Je ne soutiens aucun changement dans les lois sur la liberté d'expression. Nous avons ces lois depuis très longtemps et elles fonctionnent bien. La raison pour laquelle nous avons des provocateurs qui brûlent le Coran est que certains tentent d'empêcher l'adhésion de la Suède à l'OTAN. Dans moins d’un an, tout redeviendra normal ». Et quand on lui dit que, vraiment, ça dérange au Maroc par exemple, même si des milliers de kilomètres nous séparent, ce dernier opte pour la diplomatie : « Les peuples marocain et suédois ont des coutumes différentes. Nous vivons en paix les uns avec les autres. Nous respectons les coutumes de chacun. Je ne vois aucune raison de changer une relation longue et amicale ». Et même quand on lui rappelle  que l’Union européenne elle-même avait, à travers son porte-parole Nabila Massrali, exprimé son « ferme rejet » de l'autodafé du Coran devant une mosquée à Stockholm, très récemment, un acte qu’elle a jugé « offensant, irrespectueux» et constituant « une provocation manifeste », Stefan Olson ne lâche rien : « L'Union européenne n'a pas condamné les incendies de Coran. De telles décisions doivent être prises par le Conseil européen pour produire leurs effets. Il n’existe pas de telles décisions ». Face à cette imperméabilité, le Canard s’est dit que la majorité des Suédois faisant partie de l’Église luthérienne, on devrait peut-être aller voir ce qu’ils en pensent, de la profanation de textes sacrés. Ce sera peut-être intéressant ce qu’on entendra chez les Luthériens à ce sujet… Et ça l’est ! Martin Larsson, cadre du service presse de l’Église luthérienne nous éclaire : « L'Église de Suède dénonce totalement l'incendie des saintes écritures. Ces actions doivent être considérées comme des expressions de haine, visant à diviser la société. Nous nous félicitons d’une enquête visant à clarifier si ces actions peuvent relever de la définition juridique d’un crime de haine. Cependant, nous sommes contre les restrictions des lois actuelles sur la liberté d'expression et nous ne préconisons pas non plus l'introduction d'une nouvelle loi générale contre le blasphème. En tant qu’Église luthérienne, nous sommes nous-mêmes le résultat des vives critiques de Martin Luther contre l’Église catholique du XVIe siècle. Comme l'a dit l'archevêque de l'Église de Suède, Martin Modeus : « Le problème n'est pas la liberté d'expression, le problème est la haine et le manque de respect, et cela ne peut être résolu par une correction des lois. On ne peut pas légiférer contre un manque de discernement » ». Oh ! Une absence de position en faveur de l’interdiction venant du fait que le fondateur de la religion lui-même critiquait avec virulence la religion prédominante de son époque, very interesting, isn’t it ? Donc même l’Eglise, en Suède, accepte ce type de liberté d’expression… A savoir que la Suède est un pays laïc, au contraire du Danemark (qui va imposer une loi, si tout se passe bien), pour qui la religion Luthérienne est: religion d’Etat.

Du côté des musulmans, « là-haut » !

Le docteur Urfan Zahoor Ahmed est le porte-parole de la Danish Muslim Union (DMU). Il nous parle un peu de comment les musulmans vivent ce type de profanation du Coran: « Les musulmans du Danemark, comme les musulmans du monde entier, accordent une grande valeur au Coran en tant que livre sacré de l’Islam. Brûler le Coran est considéré comme profondément offensant et blessant les sentiments religieux des musulmans. Cela est considéré comme un acte irrespectueux qui va à l’encontre des principes de tolérance religieuse et de coexistence». Et qu’en est-il de la liberté d’expression, Docteur ? « Les musulmans danois, représentés par le DMU, soutiennent les lois qui promeuvent le respect de toutes les écritures religieuses, y compris le Coran. Nous pensons que la liberté d’expression doit être équilibrée avec la nécessité de protéger les textes religieux contre la profanation ou tout préjudice. Nous apprécions les récents changements apportés au projet de loi visant à protéger spécifiquement les textes religieux reconnus. Cela garantit une approche plus ciblée et équilibrée de la sauvegarde des sensibilités religieuses ». Donc là où même l’Église luthérienne suédoise désapprouve l’interdiction de profanation de textes religieux, les musulmans du Danemark, eux, souhaitent qu’on interdise ce type de profanation, même s’il s’agit de textes non islamiques. Cette différence est à noter et il faut aussi savoir ici que le Conseil de coopération islamique suédois (ISR) considère l’autodafé du Coran comme une expression de violence contre les musulmans en tant que collectif. Ce conseil (constitué des associations de musulmans les plus influentes en Suède) pense que ce type de violence anti-musulmane ne doit être perçu, à en croire un de leur communiqué datant déjà de mars 2022, que « comme une incitation à la haine contre un groupe de personnes » et doit par conséquent entraîner des condamnations claires de la part du monde politique ainsi que des mesures empêchant « la survenue d'actions antidémocratiques et haineuses». Dans le communiqué, on peut notamment lire : « Nous avons suivi le cours des événements et avons eu un dialogue étroit avec les autorités compétentes, et nos associations locales sont également représentées dans des pourparlers formels locaux. […] Le message de la police est que l'autodafé du Coran n'est pas considéré comme un crime contre la loi et ne peut donc pas être interdit. Lors de toutes les réunions, tant au niveau local que national, nous avons fait savoir que cela n'était pas acceptable et que cela exposait les musulmans à davantage de haine et d'exclusion». Les choses se révèlent finalement très graves (et rappellent ce qu’a dit notre interlocutrice marocaine, Hasnaa M., en parlant d’Hitler) ! Et elles sont dites depuis des années, preuve en est la date de ce communiqué, un parmi tant d’autres. On comprend mal ce que ne comprennent pas les Suédois… D’ailleurs, même sans être musulmans, les Danois eux-mêmes semblent pour cette interdiction de profanation d’écritures considérées comme sacrées, à en croire le Docteur Urfan, qui est catégorique là-dessus: « Il est important de noter que non seulement la communauté musulmane, mais également une partie importante de la population danoise, soutiennent l'interdiction de brûler le Coran. Des sondages d'opinion publique ont indiqué qu'une grande majorité de Danois considèrent ces actes comme offensants et souhaiteraient que des mesures juridiques soient mises en place pour les empêcher. Cela reflète un consensus plus large au Danemark sur l’importance du respect des sensibilités religieuses ». Voilà bien une voix à suivre par la Suède, la voix de la raison. « Notre expérience au Danemark, affirme le docteur Urfan, fournit plusieurs idées et leçons qui peuvent être pertinentes pour la Suède et d’autres pays confrontés à des défis similaires liés à l’autodafé de textes religieux. Nous croyons au pouvoir du dialogue et de l’engagement avec les autorités et parties prenantes compétentes. Il est essentiel d’établir des canaux de communication ouverts pour répondre aux préoccupations et trouver un terrain d’entente. Il faut également trouver le juste équilibre entre la liberté d'expression et la protection des sensibilités religieuses, ce qui est une tâche complexe. Notre expérience montre qu’il est possible d’atteindre cet équilibre grâce à un examen attentif et à des ajustements législatifs ». Et ce n’est pas tout, toujours à en croire Urfan Zahoor Ahmed : « Il convient également de respecter la diversité : le Danemark, comme la Suède, est une société multiraciale  avec diverses communautés religieuses et culturelles. Il est crucial de favoriser un environnement de respect et de compréhension entre les différents segments de la population. La promotion du dialogue interreligieux et du multiculturalisme peut contribuer à l’harmonie sociale. En outre, l’autodafé de textes religieux peut avoir des implications internationales. Il est essentiel que les pays collaborent et partagent leurs expériences pour résoudre ces problèmes. La réponse du Danemark aux pressions internationales démontre l'importance de la diplomatie et de l'engagement international ».
Et le docteur de conclure : «En résumé, notre expérience au Danemark met en évidence l’importance du dialogue, des ajustements législatifs et d’une approche équilibrée pour lutter contre l’autodafé de textes religieux.
Nous pensons que partager nos expériences et collaborer avec d’autres pays, dont la Suède, peut conduire à des résultats positifs qui respectent à la fois la liberté d’expression et les sensibilités religieuses». Et les risques qu’encourent les Musulmans, Docteur ! Et les risques ! Faut pas oublier les risques… Cela rappelle la boîte de Pandore! A trop jouer avec le feu, la Suède risque de provoquer l'embrasement sur son propre sol...

ça ne concerne pas que la Suède et le Danemark !

Nous n’avons parlé que de la Suède et du Danemark,  car, là-bas, les autodafés du Coran se multiplient un peu trop. Par contre, il y a d’autres exemples à dévoiler. Aux Pays-Bas, très exactement le 22 janvier 2023, un responsable néerlandais du mouvement islamophobe Pegida, a été filmé en train de déchirer des pages d’un exemplaire du Coran à proximité du siège de la chambre basse du Parlement néerlandais, avant de les piétiner. En Norvège, le 2 juillet 2022, un extrémiste anti-islam, du nom de Lars Thoren, chef du groupe radical « Stop à l’islamisation de la Norvège » (Sian), a brûlé un Coran à Mortensrud, une banlieue d’Oslo où habite une importante communauté musulmane. Aux States, en Floride, en mars de l’année 2011, un pasteur américain, Terry Jones, a fait brûler par son assistant Wayne Sapp un exemplaire du Coran, et ce, dans son église. Cela a engendré des violences en Afghanistan, et 24 personnes ont été tuées. Cela ne semble pas avoir suffi à Terry Jones qui a remis ça en avril 2012 (à peu près une année après son premier acte) en brûlant à Gainesville plusieurs exemplaires du Coran ainsi qu’une représentation du Prophète en guise de protestation contre l’emprisonnement d’un pasteur chrétien en Iran. En Afghanistan, en février 2012, sept militaires américains ont procédé à l’autodafé d’exemplaires du Coran sur la base militaire de Bagram. S’en est suivi cinq jours d’émeutes et d’attentats sanglants. En Irak, mi-2018, un soldat américain a eu la drôle d’idée de tirer sur un exemplaire du Coran lors d’une séance d'entraînement aux environs de Bagdad. Plusieurs milliers de personnes ont alors manifesté en protestation, en Afghanistan. Ce provocateur en treillis  a été renvoyé de l’armée américaine et le président américain George W. Bush s’était officiellement excusé auprès du Premier ministre irakien. w

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